Il entre dans la composition de parpaings écolos, de crèmes de jour, de préparations culinaires ou d'huiles relaxantes. Depuis quelques années, le chanvre -cannabis sativa de son nom savant- se départit de sa réputation sulfureuse jusqu'à se réimplanter dans nos campagnes.
Avec quelque 20.000 hectares cultivés, la France est même devenue la première productrice européenne de cette plante libérienne, moins sensible que son cousin le lin aux épisodes de sécheresse et à qui l'on prête de superpouvoirs agronomiques. « La culture du chanvre est bonne pour les sols. Ses racines, puissantes et profondes, font remonter les minéraux. Cette plante est une solution écologique », vante par exemple Estelle Delangle, directrice dans l'Aube du pôle européen du chanvre.
Après avoir conquis le bâtiment et la cosmétique, chanvriers et transformateurs misent désormais sur le secteur du textile pour élargir leurs débouchés. Objectif : fixer dans l'Hexagone la totalité de la chaîne de valeur de cette filière naissante. Cela en prend le chemin. Ces deux dernières années, quelques pionniers ont élaboré avec succès de nouvelles méthodes de récolte et de première transformation. Un autre pas important a été franchi, il y a quelques semaines.
De l'art de tirer le fil
Direction le riant village de Saint-Martin-du-Tilleul dans l'Eure. C'est là que la French Filature, filiale de la coopérative agricole Natup, est parvenue, pour la première fois sur le Vieux continent, à filer industriellement les fibres longues du cannabis sativa. Et ce sur les mêmes bobineuses que celles qui moulinent pour le lin. Un petit exploit, à écouter son président Karim Behlouli. « Cela fait au moins huit ans que les filateurs européens s'y essaient sans succès. Nous avons réussi à lever un verrou technologique ».
Ici, le chanvre est traité avec un procédé dit « au mouillé » qui confère au fil une très grande finesse adaptée au tissage ou au tricotage de vêtements et de linge de maison.
A pleine capacité, l'établissement devrait en produire de quoi fabriquer l'équivalent de 600.000 chemises. Une goutte d'eau dans l'océan du prêt à porter mondial mais un vrai levier pour cette jeune entreprise qui s'est donnée pour vocation de « relocaliser les savoir-faire textiles ». « Cette plante dont les rendements sont réguliers va permettre de saturer l'outil de production à un moment où nous avons du mal à nous procurer du lin du fait des mauvaises récoltes », se félicite Karim Behlouli.
« Un capital sympathie incroyable »
A l'extrémité de la chaîne, l'arrivée de ce nouveau fil est attendu avec une certaine impatience. C'est le cas chez le tisseur de lin nordiste, Lemaitre Demeestere, une autre filiale de Natup. Depuis quelques années, l'entreprise avait délaissé le fil de chanvre qu'elle importait de Chine, faute de garanties sur l'absence de traitement chimique des fibres.
Aujourd'hui, son patron se réjouit de remettre l'ouvrage sur le métier avec une matière première 100% made in France. « Ce chanvre, c'est le top du top de la vertu environnementale. Il explose tous les scores et jouit d'un capital sympathie incroyable dans la profession. Tous les créateurs nous en demandent », assure Olivier Ducatillon, également président de l'Union des Industries Textiles.
De quoi encourager le monde paysan à se convertir à la chanvriculture. A la French Filature, Karim Behlouli reste néanmoins prudent. Il estime à environ 2.500 hectares par an les nouvelles surfaces qui pourraient être plantées en chanvre textile. « Même si c'est une plante très rémunératrice pour les agriculteurs, le goulet d'étranglement, c'est le machinisme agricole. A ce stade, les constructeurs n'ont pas la capacité de fournir suffisamment d'engins pour la récolte », explique t-il.
Le développement du chanvre bleu, blanc, rouge dépendra aussi, en grande partie, du bon vouloir des consommateurs. Seront-ils prêts à payer plus cher des chemises ou des draps au motif qu'ils sont fabriqués à leur porte ? Vaste question que la crise agricole a remis sur le devant de la scène.
Il n'y a pas que sur les terres du lin (Normandie et Hauts de France) que le chanvre gagne du galon. Dans le Grand Est, le département de l'Aube est aussi redevenu une place forte du cannabis sativa qui y avait quasiment disparu. « La culture s'est maintenue jusqu'aux années 1970 autour de la papeterie OCB, à Troyes. Quand le groupe Bolloré a mis fin à cette activité, les agriculteurs locaux ont maintenu quelques centaines d'hectares puis créé la coopérative de la Chanvrière. Plus tard, la filière a trouvé un second souffle en se tournant vers les débouchés du bâtiment », raconte Estelle Delangle, directrice du pôle européen du chanvre, un cluster local. De 2.600 hectares cultivés dans les années 1990, les surfaces ont bondi à 6.000 hectares, plus du quart du gisement hexagonal. Cette culture de rotation est désormais pratiquées dans 750 exploitations et dans un rayon de 120 kilomètres autour de Troyes, jusqu'à la Haute-Marne et aux Ardennes. Comme leurs collègues normands, les chanvriers de l'Aube orientent aujourd'hui leurs recherches vers de nouveaux usages textiles. La French Filature s'est d'ailleurs approvisionnée, pour partie, auprès d'eux pour ses premiers essais de fil. « La récolte était d'excellente qualité », témoigne son président. Une invitation à poursuivre.Dans l'Aube, de la papeterie OCB à la chanvrière
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