Le FMI et l’Europe : l’été meurtrier ?

Le désaccord entre le FMI et l'Eurogroupe sur la réduction de la dette grecque est assez inédit. Mais les enjeux politiques ont changé, surtout pour l'organisation internationale proche des Etats-Unis... Par Stéphane Cossé est ancien senior economist au FMI et membre du conseil d'administration d'Europa Nova.
Pour certains, comme la France, il est certes important de partager l'addition du plan de sauvetage avec les Etats-Unis et le reste du monde et mieux faire passer les mesures courageuses en utilisant le FMI comme « bouc émissaire »

Le FMI a donc posé ses conditions pour participer au plan de sauvetage de la Grèce : un train de réformes complet et un allègement de la dette grecque. Une telle position apparaît en contradiction avec le choix de l'Europe, qui ne souhaite pas ouvrir la question de la réduction de la dette avant qu'à minima, la Grèce n'ait fait ses preuves dans la mise en œuvre de mesures fortes dans la durée. Si les divergences entre l'Europe et le FMI peuvent exister, rarement ont-elles été ainsi mises au grand jour et sur un enjeu aussi lourd.


Une proposition politique

Le FMI, de son côté, ne fait que proposer de mettre en œuvre un mécanisme de réduction de dette qu'il a établi dans les années 90 pour des pays toutefois beaucoup plus défavorisés que la Grèce. Ce dispositif liait la mise en œuvre d'un plan de réformes économiques sur 3 ans à une réduction de dette finale. Notons en outre que, pour tous les Etats endettés, quel que soit son PIB, le FMI a recours à une analyse-type de la soutenabilté de la dette (debt sustainability analysis). En l'espèce, son évaluation est que les fondamentaux économiques de la Grèce et son potentiel de croissance sont tellement affaiblis que la position financière de la Grèce est devenue à moyen et long terme « insoutenable ». Cette analyse est d'ailleurs implicitement partagée par la BCE, si l'on en croit les déclarations de Mario Draghi. Dans le même esprit Dominique Strauss-Kahn avait proposé (dans sa première lettre) un allègement de dette (sans aide financière nouvelle toutefois) contre un programme de réformes ambitieux.

Au-delà de l'évaluation purement financière, la lecture de la position du FMI mérite une analyse plus politique. Le premier message transmis est d'indiquer que, dans ce type de situation, le FMI aurait privilégié la dévaluation, donc la sortie de la zone euro, pour renforcer la compétitivité de la Grèce à moyen terme. La dévaluation aurait rendu incontournable la réduction de la dette. Le FMI avait indiqué qu'il appartenait à l'Europe de faire cet arbitrage, finalisé en faveur du statu quo. Dont acte, semble dire l'institution à Washington.

L'influence américaine

Le deuxième message est que, une fois de plus, le premier actionnaire du FMI, les Etats-Unis, illustre le poids de son influence. Les conditions posées par le FMI lui vont parfaitement. Le FMI exige d'un gouvernement d'extrême-gauche de faire des réformes complètes et elle fait « payer » le coût du sauvetage essentiellement aux contribuables européens (l'annulation de la dette se fera en grande partie aux frais des créanciers publics de la zone euro), ce qui rassurera au passage le Congrès.

Troisièmement, le reste du monde ne souhaite plus voir le FMI surexposé sur un pays de la zone euro, qui a qui plus est fait défaut pendant quelques jours. Par ailleurs, les pays les plus influents de ce groupe s'évertuent à contourner les règles du FMI en créant des institutions de solidarité financière nouvelles. En quelques mois, deux institutions multilatérales ont ainsi vu le jour : les pays asiatiques, avec paradoxalement l'appui des grands pays européens, ont créé une Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) et les BRICS viennent de lancer un fonds avec le même objectif.

Le FMI bouc-émissaire

Et l'Europe ? Elle est potentiellement le premier actionnaire du FMI, avec environ un quart des votes. Pas moins ! Et le poids de la zone euro est à peu près comparable à celui des États-Unis. C'est en outre cette dernière qui a imposé aux Grecs que les « criminels » du FMI participent au plan de sauvetage. Et pourtant les pays européens ne tiennent pas toujours le même langage à Washington. Pour certains, comme la France, il est certes important de partager l'addition du plan de sauvetage avec les Etats-Unis et le reste du monde et mieux faire passer les mesures courageuses en utilisant le FMI comme « bouc émissaire ». Mais, la France n'est pas non plus insensible à une position plus souple qui ferait d'un allègement de dette un message de solidarité européenne. Pour d'autres, comme l'Allemagne, il s'agit de privilégier l'expérience du FMI dans les plans de sauvetage et d'éviter un face-à-face germano-grec dans l'élaboration de mesures « impopulaires ».

Les clés de la négociation sont à attendre dans une position de compromis : la Grèce obtiendra un allègement de sa dette dans la mesure où elle aura fait ses preuves sur une période qu'il faudra déterminer à l'avance. Les étapes seront longues. Mais peut-on imaginer que le FMI refuse à Angela Merkel d'aider la Grèce sur le prétexte que le train de réformes n'est pas suffisamment ambitieux, alors même en outre que la Chancelière demande son assistance?  Je t'aime moi non plus, plutôt que l'été meurtrier...

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Commentaires 2
à écrit le 06/08/2015 à 15:58
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Les Grecs auraient intérêt à augmenter le prix de l'énergie et d'utiliser cette disponibilité pour réduire les cotisations sociales affectées aux salaires. Ce serait un bon exemple pour la COP21.

à écrit le 06/08/2015 à 15:15
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Le jeu des US est d'avoir toujours, en face d'eux, des fronts désunis qui ne risque pas de faire obstacle a son leadership! L'UE en est un exemple, elle est unie (par les traités) mais pas trop (par les différences et la concurrence) grâce au manipul...

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