Le pouvoir d’achat immobilier mis à mal par la baisse du taux d’usure

OPINION. A l’heure de la présidentielle, les priorités des programmes et des candidats s’affichent et parmi elles, le pouvoir d’achat. Mais si l’on parle beaucoup du prix des carburants, du gaz et du blé ; le logement est, lui, étonnamment absent des débats, alors qu’il constitue le premier poste de dépenses des ménages. Pour couronner le tout, le crédit immobilier doit composer avec la baisse des taux d’usure. Une contraction qui pourrait bien pénaliser des emprunteurs déjà pénalisés par la hausse des taux de crédit. Par Christelle Molin-Mabille, Présidente de la CNCEF Crédit.
Christelle Molin-Mabille, Présidente de la CNCEF Crédit.
Christelle Molin-Mabille, Présidente de la CNCEF Crédit. (Crédits : DR)

Décrocher un crédit ? Une mission qui vire à l'impossible

Pour ceux qui ambitionnent encore d'acheter le fameux « toit sur la tête », gage de sécurité pour l'avenir et pour préparer les vieux jours, le rêve s'éloigne encore un peu plus ...

A y regarder de plus près, l'envolée des prix de l'immobilier n'est pas la seule raison. La remontée des taux de crédit pourrait à elle seule suffire à expliquer les difficultés grandissantes pour décrocher un prêt, mais quand elle se couple à la baisse très récente du taux d'usure, nous ne sommes pas loin de la mission impossible.

Qu'est-ce que le taux d'usure ? Disons pour résumer qu'il s'agit du taux maximum légal, au-delà duquel les établissements de crédit ne sont pas autorisés à accorder un prêt, et qu'il comprend le taux de crédit, auquel s'ajoutent tous les coûts liés : frais et rémunérations diverses, partie obligatoire des primes d'assurance emprunteur.

La mécanique est implacable : plus l'ensemble des coûts qui sont inclus dans le TAEG augmentent, plus grand est le risque qu'ils excèdent son plafond délimité par le taux d'usure ; un phénomène que les spécialistes appellent « l'effet ciseau ». Avec, à la clé, une multiplication des refus de prêt pour dépassement.

Adapter le taux d'usure aux enjeux de la période

En mars la plupart des banques ont remonté leurs taux de crédits, certaines repassant même la barre des 2% sur les durées de 20 ans et plus pour les revenus modestes. Dans le même temps, la Banque de France a baissé le taux d'usure pour les prêts de même durée (2,40% au 1er avril).

Quand on sait qu'en 2021, la durée moyenne d'un prêt immobilier s'élève à 19 ans et 7 mois (1), et que cette durée a vocation à s'allonger, de plus en plus d'emprunteurs pourraient se voir pénalisés dans leurs projets.

La vraie question est donc bien de déterminer comment et par quelles méthodes nous encadrons la délivrance de crédit immobilier.

Loin de nous l'idée de questionner le bien-fondé du taux d'usure, qui vise à protéger l'emprunteur d'éventuels abus, mais son mode de calcul doit s'adapter à l'époque dans laquelle nous vivons, en temps réel. Explications.

Lorsque la Banque de France fixe un taux d'usure basé sur les taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit, augmentés d'un tiers, dans le trimestre précédent, elle ne prend pas en compte l'évolution du taux de crédit à l'instant où l'emprunteur fait sa demande. Concrètement, le taux d'usure d'avril, mai et juin 2022 est calculé sur la base des taux de crédit accordés en janvier, février et mars. Or, ils étaient beaucoup moins hauts au premier trimestre. Un décalage extrêmement préjudiciable à l'emprunteur.

Dans l'immédiat, reporter son projet d'achat et sa demande de prêt de 3 mois - le temps que le taux d'usure remonte - peut être envisagé, mais ce n'est pas une solution viable à long terme si les taux de crédit continuent à augmenter.

Le mode de calcul du taux d'usure comporte le risque d'exclure une part grandissante de Français de l'accès au crédit : les ménages aux revenus modestes ou moyens, mais aussi ceux qui sont atteints de problèmes de santé. L'existence de pathologies lourdes chez l'emprunteur augmente en effet le taux d'usure en raison des surprimes de la part d'assurance obligatoire. Or, elles sont en recrudescence ...

En bout de chaîne, les investisseurs en locatif pourraient, eux aussi, avoir un accès restreint au crédit et, par voie de conséquence, ne plus pouvoir contribuer à loger ceux qui ne peuvent pas acheter.

Au travers de ces mécanismes, c'est bel et bien le pouvoir d'achat immobilier qui est en jeu, dans un contexte certes temporaire, mais ce qui se produit aujourd'hui peut se reproduire demain. Le risque est grand de bloquer à terme l'ensemble de la chaîne du crédit et, par un effet cascade, le marché de l'immobilier. Les taux bas ont vécu ; le prochain quinquennat doit s'alarmer de la situation et réviser le mode de calcul du taux d'usure dans cette nouvelle donne.

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(1) Observatoire Crédit Logement/CSA décembre 2021.

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Commentaires 2
à écrit le 08/04/2022 à 9:01
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Au contraire, c est une bonne nouvelle. la hausse des taux (et la baisse du taux d usure) va limiter la demande et contraindre les vendeurs a baisser leurs prix s ils veulent vendre (au prix fort aucun acheteur n aura de pret)

à écrit le 08/04/2022 à 8:37
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Ben oui c'est le great reset bientôt tout l'immobilier appartiendra aux paradis fiscaux de ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant. Parce que nous sommes bien d'accord que normalement l'immobilier devrait baisser non ? On se croirait un...

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