Lehman, 10 ans après...

Les leçons de la crise financière de 2008 ont-elles bien été retenues et le système financier mondial est-il moins fragile ? Le stratège de marchés en chef de Natixis Investment Managers, Dave Lafferty, nous livre ses réflexions à l'approche du dixième anniversaire de la retentissante faillite de la banque américaine Lehman Brothers, le 15 septembre 2008.
Dave Lafferty est Chief Market Strategist de Natixis Investment Managers.
Dave Lafferty est Chief Market Strategist de Natixis Investment Managers. (Crédits : DR)

Alors que nous approchons du dixième anniversaire de l'événement marquant de la crise financière mondiale - la faillite de Lehman Brothers - les investisseurs peuvent se demander si nous avons appris quelque chose des erreurs passées. À travers les différents points de vue des décideurs, des investisseurs et des marchés, la réponse est résolument contrastée.

Il ne fait aucun doute que les décideurs du monde entier ont fait des progrès, en particulier autour de la « vulnérabilité » des banques. Alors que le risque de concentration parmi les grandes banques mondiales s'est en fait accru depuis la crise, dans l'ensemble, le risque d'endettement et le risque de négociation sont à la baisse tandis que les ratios de fonds propres sont à la hausse. Les faillites de grandes banques demeurent un risque, en particulier dans la périphérie européenne et sur les marchés émergents, mais la réduction progressive des risques des banques devrait rendre le
système moins vulnérable à la contagion lors de la prochaine crise de type Lehman.

Là où les décideurs ont moins progressé, c'est sur le front monétaire. En dehors de la Fed américaine, les autres grandes banques centrales restent aujourd'hui en mode « crise », incapables de relever leurs taux ou d'annuler leurs programmes massifs d'assouplissement quantitatif. Les bilans sont gonflés à hauteur de 15.000 milliards de dollars, dont près de 8.000 milliards de dollars en obligations souveraines à rendement négatif, ce qui réduit la puissance des grandes banques centrales pour faire face à la prochaine récession ou crise. En fin de compte, nous pouvons être heureux que les banques aient accru leur capacité d'absorber les pertes, car les banques centrales ont certainement moins de pouvoir pour les prévenir.

Une tolérance au risque à jamais altérée

Dans la foulée de l'effondrement du secteur des technologies et des télécommunications en 2000-2001, la chute des actifs à risque au cours de la crise financière mondiale a représenté le deuxième marché baissier en huit ans pour de nombreux investisseurs. En plus de repenser leurs attentes face aux actions, l'effondrement de Lehman a mis en lumière un nouveau risque : celui d'institutions d'importance systémique trop grandes, trop interconnectées ou trop complexes pour être sauvées. Les investisseurs Millenials atteignant qui atteindront l'âge de la majorité dans les années 2000 ne considéreront peut-être jamais les actions comme les baby-boomers l'ont fait lorsqu'ils ont grandi dans le marché haussier des années 1980 et 1990. Le refrain commun dans le sillage de Lehman était que les investisseurs se souciaient davantage du "remboursement de leur capital [la distribution de dividende, ndlr] que du rendement de leur capital."

Dix ans de politique de taux d'intérêt zéro et négatif ont poussé  les investisseurs, à contrecœur, vers les actions, mais il ne fait aucun doute que la tolérance au risque des investisseurs a été fondamentalement modifiée. Ils sont en effet plus frileux et donc plus enclins à s'éclipser lorsque la volatilité se redresse. "Acheter et conserver" est passé d'une maxime de confiance à une triste platitude que de nombreux investisseurs ne peuvent plus accepter.

Enfin, tout comme les investisseurs, les marchés ont changé. Parce que la faillite de Lehman a été à parts égales une crise de crédit et de liquidité, les investisseurs en sont venus à exiger à la fois une meilleure protection et plus de liquidité dans leurs investissements. Wall Street, les gestionnaires d'actifs et les banques mondiales se sont montrés plus que disposés à développer de nouveaux produits et de nouvelles stratégies promettant de réduire la volatilité, de gérer les risques de baisse ou de réduire la corrélation avec la chute des marchés. Les actifs de ces produits se chiffrent en milliards de dollars et comprennent toutes sortes de stratégies qui utilisent la volatilité pour réduire l'exposition ou la volatilité à court terme directement. Le thème commun de ces stratégies, à un degré ou à un autre, est de réduire le risque de chute des marchés, ce qui pourrait exacerber les ventes massives - comme on l'a vu lors de la crise de volatilité de février.

L'analyse historique d'une crise est souvent peu concluante et apporte peu de solutions. Sur ce point, nous pouvons toutefois conclure que les choses ont très peu changé depuis l'époque de Lehman. Bien que la situation des consommateurs ne se soit pas détériorée, les niveaux d'endettement des entreprises et des États souverains n'ont fait qu'augmenter depuis la crise, soutenus uniquement par des taux d'intérêt artificiellement bas. Les banques se sont faites une certaine religion en ce qui concerne la constitution de fonds propres, mais une grande partie de l'effet de levier s'est simplement déplacé vers les marchés obligataires. Pendant ce temps, les investisseurs de style "value" se sont raréfiés, remplacés par des "quants" et des "algos" qui vendront au premier signe inquiétant. L'effondrement de Lehman a entraîné de nombreux changements positifs, mais au bout du compte, le système financier mondial ne semble pas moins fragile aujourd'hui qu'il y a une décennie.

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Commentaires 4
à écrit le 15/09/2018 à 19:58
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Dix ans après, on commence à oublier, la preuve , Trump qui veut déréguler et s'oppose à la politique prudente de la FED. Après ça se dit anti-système, mais ça remet l'ancien système sur les rails. Prochaine crise pour bientôt.

à écrit le 15/09/2018 à 11:09
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Les mêmes replacent les mêmes. Seuls les noms changent.

à écrit le 14/09/2018 à 16:21
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"Pendant ce temps, les investisseurs de style "value" se sont raréfiés, remplacés par des "quants" et des "algos" " C'est sûr : les "investisseurs" humains (synonyme de spéculateurs en bourse puisque comme dans un casino nous faisons des paris sur le...

à écrit le 14/09/2018 à 14:58
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Depuis la chute de Lehman on pourrait également mentionner la montée en puissance de la gestion passive, indicielle, au détriment des stratégies actives traditionnelles. Les montants massifs de liquidité alloués aux ETFs diminuent la capacité du marc...

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