Les drones, l'autre gagnant du Covid-19 mais à quel prix ?

ANALYSE. Dans l'après-crise du Covid-19, le développement de la production de drones civils devrait s'accélérer, en raison de ses usages multiples et pratiques. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes notamment sur le plan militaire et sécuritaire. Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles, et Jean-Jacques Quisquater, Université de Louvain
Jean-Jacques Quisquater et Charles Cuvelliez.
Jean-Jacques Quisquater et Charles Cuvelliez. (Crédits : DR)

Dans le monde d'après Covid-19, les drones commerciaux occuperont une place de choix grâce à leur capacité à livrer vu les progrès en autonomie (batteries plus légères avec un meilleur rendement), en rapport charge utile-charge portante, dans la géolocalisation et l'intelligence artificielle. Mais ces technologies les font alors rivaliser avec les drones militaires. Ce ne sera pas du goût des Etats-Unis, ni surtout de la Chine qui développe ses drones dans une grande opacité.

La facilité avec laquelle les Etats-Unis ont éliminé le chef des gardiens de la révolution en Iran a nécessité, à n'en pas douter, le nec plus ultra de la technologie (militaire) des drones. En revanche, l'attaque, menée partiellement par des drones, des installations pétrolières d'Arabie Saoudite, en septembre 2019, n'a pas eu besoin de cette sophistication toute militaire.

Une origine dans la guerre froide

C'est dans les années 1950 qu'est née l'idée du drone, car on n'en faisait jamais assez pour mieux surveiller l'URSS. Cette technologie s'est matérialisée dans les années 1960. Le premier drone qui fit ses preuves fut le Prédator lors de la guerre de Bosnie dans les années 1990 : observation aérienne des colonnes de réfugiés ou de l'efficacité des frappes. Aujourd'hui, 90 Etats et acteurs non étatiques possèdent des capacités industrielles en fabrication de drones. Seize Etats ont un programme de drones militaires et 20 tentent d'en développer. Il y a déjà 600 types de drones et même l'Etat Islamique fut capable d'en utiliser à titre militaire.

On peut même acheter pour 100 dollars le drone DJI-Mavic, un petit quadricoptère chinois capable de décollages/atterrissages automatiques, de suivre des routes programmées par GPS ou des objets et éviter des obstacles. Ce qui fait dire à une étude américaine angoissée sur le sujet que le degré d'autonomie de ce jouet dépasse celui d'un drone militaire déjà déployé d'une valeur de 17 millions de dollars. Si Israël est depuis longtemps le premier exportateur de drone militaire, la Chine est devenue aujourd'hui le leader des drones bon marché qui peuvent transporter des armes et voler en essaim de façon à saturer le ciel et la défense anti-aérienne.

Les drones commerciaux inoffensifs peuvent aussi facilement être armés, ce qui rend la distinction drone militaire/commercial assez floue. Malgré tout, on distingue 5 types de drone : les drones pour le loisir, les drones de taille moyenne à usage industriel ou militaire, les grands drones militaires et les drones de combat, que seuls les Etats-Unis maitrisent (ils sont capables de brouiller les radars, de passer inaperçus, d'opérer en mode furtif).

La perception internationale du drone en cas de crise et de conflit la rend attrayante : comme il n'y a pas de pilotes, une incursion de drones n'est pas vue comme une agression qui crée l'escalade. A chaque fois qu'un drone est abattu, il n'y a jamais de frappe punitive en rétorsion. C'est moins vrai quand c'est un avion de chasse avec ou sans capture de son pilote. C'est un encouragement à les utiliser de la part des Etats voyous sans compter les organisations terroristes comme le Hezbollah ou les rebelles au Yémen. L'Iran a aussi une industrie du drone développée suite à son conflit avec l'Irak dans les années 80.

Les armées modernes démunies

Les armées occidentales et américaines en particulier sont démunies face à la menace du drone : partant de l'idée de la maitrise militaire du ciel que les Etats-Unis ont acquise depuis longtemps, la défense anti-aérienne à courte portée a été peu gâtée par les budgets. L'armée américaine doit se contenter des systèmes d'interception vieillissants comme les Singer ou les Patriots pour détruire de simples drones. Qu'on fasse le compte : le tir d'un Patriot fait s'évaporer 3 millions de dollars et il rate souvent son coup parlant de drones. Ceci fit dire à un général américain que l'ennemi serait bien inspiré de rafler sur eBay tous les quadricoptères en vente libre et les faire s'envoler vers le pays ennemi pour que celui-ci épuise toute sa défense anti-aérienne.

Les drones appellent une réponse multifactorielle. Il faut, triste retour en arrière, ré-entrainer les soldats à se défendre d'une menace aérienne dans un ciel saturé de drones. L'armée doit faire appel à des partenariats public-privés et s'allier à l'industrie du drone, en particulier les softwares qui les équipent pour trouver leurs points faibles ou équiper les radars qui suivent les tirs de roquettes, d'artillerie et de mortiers en logiciel pour suivre aussi les drones.

A court terme, les armées occidentales vont devoir renouer avec les bonnes veilles techniques de camouflage et autres manières de combattre à couvert avec le redéveloppement de compétences de combat anti-aérien actives et passives. Les mesures de défense active sont la détection et l'engagement du combat avec les aéronefs ennemis. Les mesures de défense passive comprennent des compétences de camouflage, de dissimulation, de protection de la position, de dispersion des troupes et de mobilité. Il faudra aussi que le commandement prenne des décisions en cas de détection de drones. Ce n'est plus un simple inconvénient d'être découvert par un drone comme si c'était un avion de reconnaissance sans arme, ce que le côté « léger » des drones donnait à penser.

Les drones, tout comme la cyberguerre, montrent comment la technologie peut changer la donne en matière de menace : des armes bon marché pour des Etats à peu de moyens, avec un risque de riposte faible des Etats attaqués car qui peut dire d'où vient l'attaque ? Personne ne sera à l'abri de provocation et le drone permet facilement la déniabilité dans toute sa force.

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Pour en savoir plus : The Imperative for the U.S. Military to Develop a CounterUAS Strategy By Edward A. Guelfi, Buddhika Jayamaha, and Travis Robison

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Commentaires 4
à écrit le 29/04/2020 à 20:59
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Je pense qu'il manque un 0 ... Des Mavic à 100 dollars ? On est plutôt dans les 1000 ... Voir plus !

à écrit le 29/04/2020 à 14:15
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Plusieurs points à reprendre dans cette article: -"C'est moins vrai quand c'est un avion de chasse avec ou sans capture de son pilote. C'est un encouragement à les utiliser de la part des Etats voyous", vous parlez des états-unis qui ont envoyé au d...

à écrit le 29/04/2020 à 13:57
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Article d'enfonçage de portes ouvertes, les auteurs ne devraient pas mettre ainsi les points sur les "i" afin de susciter des vocations malsaines.

à écrit le 29/04/2020 à 11:28
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C'est pratique pour les militaires, c'est encore mieux pour contrôler, fliquer et traquer les populations, ceux qui osent remettre en cause le système, ceux qui ne pensent pas comme l'idéologie au pouvoir qui n'admet aucune critique, les minorités...

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