« Les multinationales doivent se mêler de politique » (Mayada Boulos, présidente de Havas Paris)

OPINION - Ukraine, Gaza… Les conflits conduisent les salariés, les clients et les gouvernements à prendre position. Pour l’autrice, cette pression doit obliger les grandes entreprises à sortir de leur neutralité et à penser leur responsabilité géopolitique.
Mayada Boulos
Mayada Boulos (Crédits : © Damien Grenon/Photo12 via AFP)

Depuis un mois, la plupart des dirigeants des grands groupes internationaux sont confrontés à une même question : faut-il réagir publiquement à la crise au Moyen-Orient ? Et si oui, comment ? Dans un contexte dominé par l'effroi, au-delà de la condamnation des attaques terroristes du Hamas et de l'inquiétude pour les populations civiles gazaouis, les patrons éprouvent une difficulté à trouver une position juste et claire pour leur entreprise, tout en évitant trois écueils : offenser une partie de leurs salariés ou clients, paraître indifférents au malheur ou encore donner le sentiment d'instrumentaliser la situation en faisant du « war washing ».

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 C'est un défi majeur pour les multinationales : peut-on rester neutre dans un monde complexe où les conflits internationaux s'intensifient, percutant les opinions et l'agenda des affaires ? Une entreprise peut-elle se contenter de dire qu'elle ne se mêle pas de politique ? Cela n'est plus possible aujourd'hui. Je crois au contraire qu'elles doivent en faire.

De facto, les conflits récents ont obligé les grandes marques internationales à prendre position. La guerre en Ukraine l'illustre de manière flagrante. De nombreuses entreprises ont témoigné de leur solidarité en adaptant leur logo aux couleurs de l'Ukraine. De même, dès les premiers jours de l'invasion, plus de 250 d'entre elles ont suspendu leurs activités en Russie : Amazon, Netflix, Coca-Cola... et des enseignes françaises telles que LVMH, Chanel ou Société générale. De même, la controverse sur les Ouïgours en Chine a poussé des géants du prêt-à-porter comme H&M et Uniqlo à réagir. Pour leur part, depuis des années, les entreprises d'extraction de ressources, notamment pétrolières, intègrent la politique internationale dans leur stratégie, mettant au point des méthodes de prospective géopolitique pour savoir comment réagir dans un scénario donné, par exemple en cas de coup d'État.

Les grandes entreprises ont toujours été confrontées à des dilemmes géopolitiques : poursuivre leur activité avec un régime condamnable ou se retirer d'un pays au risque de mettre la clé sous la porte. Dans L'Ordre du jour (Actes Sud, 2017), Éric Vuillard raconte l'implication de plusieurs entreprises allemandes dans les plans d'expansion du régime nazi, notamment leur financement de l'annexion de l'Autriche, en échange d'une main-d'œuvre bon marché issue des camps de concentration.

A contrario, l'embargo des années 1980 contre l'apartheid en Afrique du Sud a contribué au changement politique dans ce pays.

Peut-on rester neutre dans un monde complexe où les conflits internationaux s'intensifient ?

Pourquoi la pression s'est-elle accrue ? La réponse tient à l'attente nouvelle des employés, des investisseurs et des consommateurs, dans la droite ligne des préoccupations qui avaient présidé à la naissance du concept de responsabilité sociale et environnementale des entreprises - dont personne ne considère aujourd'hui qu'elles pourraient s'en exonérer. De la même manière, il est devenu impossible pour elles de s'extraire des conflits du monde. Il devient donc essentiel de développer une compréhension approfondie des questions géopolitiques et de les intégrer dans la stratégie de responsabilité sociale. L'ajout d'un « G » à la RSE pour inclure la responsabilité géopolitique apparaît comme une nécessité. Il permettrait de refléter plus justement la nouvelle réalité des entreprises en tant qu'acteurs politiques influents de notre monde en mutation.

L'opinion les attend. D'après « L'observatoire des marques dans la cité », une étude menée par Havas, 65 % des Français pensent que les États et les gouvernements ont de moins en moins de pouvoir pour changer les choses ; 72 % ont l'impression que les projets de société les plus ambitieux sont aujourd'hui portés par des chefs d'entreprise. Surtout, la perspective d'un avenir meilleur repose de plus en plus sur ces derniers : 75 % des Français estiment qu'ils ont un rôle plus important à jouer en ce sens que les gouvernements. Parce qu'on estime que les entreprises ont le pouvoir de l'argent, le pouvoir de dépasser les frontières et surtout le pouvoir de gérer leur temps, ce qui n'est pas à négliger. Là où le politique est tenu par un mandat et le diktat des sondages, l'entreprise se projette dans le très long terme, elle peut porter des ambitions sur plusieurs décennies. Les États sont conscients de ce transfert de pouvoirs. Certains envoient des diplomates les représenter auprès des géants technologiques. Elon Musk fut reçu à l'Élysée et à Versailles comme un chef d'État par Emmanuel Macron il y a quelques semaines.

Il ne s'agit évidemment pas de dire que les entreprises remplaceraient des États mais d'acter l'instauration, encore taboue, d'une forme de coalition entre les autorités nationales et internationales et le secteur privé. Non pas que leurs actions soient similaires, mais parce qu'elles sont de plus en plus interdépendantes. Le « coalitionisme » sera peut-être l'une des clés pour répondre aux enjeux climatiques, environnementaux et géopolitiques.

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Commentaires 4
à écrit le 12/11/2023 à 9:07
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LOL ! 4000 lobbyistes présents au parlement européen pour 750 députés ! Mais vous nous parlez de quoi là ?!

le 12/11/2023 à 11:39
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J'avais retenu le chiffre de 9.000 à Bruxelles !

le 12/11/2023 à 11:40
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J'avais retenu le chiffre de 9.000 à Bruxelles !

le 12/11/2023 à 12:17
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Pas impossible, c'est un chiffre que j'ai de mémoire datant d'un article du diplo qui a plusieurs années maintenant. Déjà 4000 c'est beaucoup trop mais cela explique comment notre planète s'est effondrée par contre.

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