Pénurie de généralistes : la faute aux études de santé ?

IDEE. La médecine générale fait partie des spécialités les moins demandées par les étudiants en fac de santé. Une situation qui peut s’expliquer par la structure du cursus et des clichés persistants. Par Matthieu Calafiore, Université de Lille
(Crédits : REUTERS / Régis Duvignau)

« Vous avez intérêt à retenir ce point pour vos examens, sinon vous finirez médecin généraliste dans la Creuse ! » Interrogez autour de vous toute personne passée par une fac de médecine : il y a de fortes chances qu'elle ait entendu cette phrase - ou d'autres injonctions du même genre - au fil de son cursus.

Pour expliquer ces clichés, il faut d'abord revenir sur l'histoire des études de santé. Ce sont la réforme de 1958 et les ordonnances Debré qui ont créé les Centres hospitalo-universitaires (CHU) et conduit à l'émergence et l'excellence de la médecine universitaire française, que beaucoup de pays nous envient. Des évolutions positives qui ont néanmoins laissé dans l'ombre la médecine générale : après un tronc commun d'études permettant d'exercer en tant que généraliste, il fallait s'engager dans quelques années supplémentaires de formation pour devenir spécialiste. De là est née la hiérarchie qui perdure encore dans certains esprits : les meilleurs devenaient spécialistes, les autres étaient « seulement » généralistes.

Les études ont évolué et, peu à peu, la médecine générale a été instituée en une vraie spécialité. Pas juste pour faire joli, ou soigner un supposé complexe d'infériorité de ceux qui l'exercent, mais surtout parce qu'être médecin généraliste, c'est remplir des tâches bien particulières que d'autres spécialités ne font pas. Mais, tout au long des études, à coups d'allusions ou de pseudo bons mots, l'image d'un choix par défaut persiste.

Le réflexe du zèbre

La formation médicale est ainsi faite que les six premières années sont dévolues à l'apprentissage de pathologies qui peuvent être rarissimes. Il existe un aphorisme que l'on prête à Théodore Woodward à la fin des années 1940. Ce professeur de l'Université du Maryland enseignait à ses internes la chose suivante : « Si vous entendez des bruits de sabots, pensez d'abord à un cheval avant de penser à un zèbre ». Cet aphorisme est désormais la formule résumant le mieux l'enseignement de la médecine générale, notamment en Angleterre.

Cependant, dans leur organisation actuelle, les cursus de L'Hexagone renversent implicitement cette approche. L'examen de fin de sixième année consiste en une série d'épreuves que tous les étudiants en médecine passent au même moment. La note globale obtenue par chaque étudiant lui affecte un rang permettant de choisir sa spécialité future et son CHU de rattachement. Ce sont les épreuves nationales classantes (ECN) dont le gouvernement a annoncé l'abrogation prochaine, lors du congrès de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) le 5 juillet 2018.

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En effet, en France aujourd'hui, nous transmettons la médecine en enseignant, au mieux, tous les zèbres existants, au pire, en disant que tout ce qui n'est pas zèbre n'est pas digne d'intérêt. Ainsi, une douleur thoracique évoque aussitôt un infarctus, tandis qu'un mal de tête peut être le signe d'une grave pathologie cérébrale. Alors que, le plus souvent en médecine générale, il s'agira dans le premier cas d'une douleur musculaire intercostale et, dans le second, d'une pathologie migraineuse.

Une hiérarchie de prestige

Le raccourci est donc vite fait : les pathologies bénignes et fréquentes (les chevaux) seraient l'apanage de la médecine générale, alors que les pathologies plus nobles (les zèbres) seraient le lot quotidien des autres spécialités. Pas besoin de beaucoup plus pour instaurer une hiérarchie et un dénigrement de la médecine générale, qui ne serait en somme qu'une spécialité soignant la bobologie, là où les autres spécialités exerceraient la « vraie » médecine.

C'est occulter complètement l'enjeu majeur du médecin qui exerce la médecine générale : soigner des « chevaux » en ne ratant pas les « zèbres » qui se cacheraient dans le troupeau. En 1957, Kerr White s'est intéressé au recours des patients pour un motif de santé donné. Il a conclu que pour 1 000 patients exposés à un problème de santé, un seul finirait par être adressé dans un CHU.

Une étude similaire a été de nouveau menée en 1996 par Larry A. Green, et aboutissait à des résultats équivalents : la prévalence des pathologies en médecine générale (ou plus largement en « soins premiers », vocable désormais retenu pour le premier maillon de la chaîne de soins), est différente de la prévalence des pathologies retrouvées dans les centres hospitaliers périphériques ou les CHU.

Dans la mesure où l'enseignement de la médecine se fait quasi exclusivement par des professeurs des universités de spécialités exercées dans un CHU, la vision de la médecine transmise passe par le prisme de ce « 1 pour 1 000 patients ». Sans parler de ces nombreux sujets d'examens commençant par des cas de prises en charge à l'hôpital de patients mal diagnostiqués dans un cabinet en ville...

Le sens du diagnostic

C'est occulter complètement certaines des compétences spécifiques du métier de médecin généraliste comme la prise de décision en situation d'incertitude. Exemple avec une situation banale : un patient venant pour une fièvre, une toux sèche et des courbatures, sortant de consultation avec un diagnostic de syndrome grippal. S'agit-il bien de façon formelle de la grippe ? Aucun moyen de le savoir, sauf à réaliser un prélèvement à la recherche du virus grippal.

Pourtant le traitement sera prescrit à bon escient et permettra au patient de cheminer sur la voie de la guérison. Les spécialités exercées en CHU auront un accès rapide et facile à un plateau technique fourni, permettant la réalisation d'examens complémentaires laissant moins la place à l'incertitude. A contrario, la médecine générale est donc l'une des spécialités les plus sémiologiques, et nécessite donc une aptitude prononcée à la reconnaissance et l'interprétation des symptômes.

Il faut sensibiliser très tôt les étudiants aux caractéristiques de chacune des spécialités. Car toutes ont un objectif commun : soigner. Il s'agit des mêmes patients mais consultant pour des pathologies différentes, ou à des stades d'évolution différents, débutant ou avancé. Il est nécessaire que la recherche et les enseignants-chercheurs en médecine générale se fassent mieux connaître de leurs collègues et valorisent leurs travaux.

Pour permettre aux étudiants de s'identifier à ces professionnels de santé et de leur poser des questions sur leur exercice au quotidien, il serait utile de faire intervenir des enseignants de médecine générale dès le début du cursus. Mais aussi pour ne pas hésiter à leur dire qu'il existe des généralistes heureux dans la Creuse...

The Conversation ______

Par Matthieu CalafioreMaître de conférences, Université de Lille
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 2
à écrit le 03/06/2019 à 9:32
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Cela serait frustrant de faire autant d’études pour finir dans la creuse ou autres départements du centre. On a qu’une vie.

à écrit le 03/06/2019 à 8:49
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J'espère que le bouleversement des générations lié à internet va faire que les étudiants comprendrons d'eux-mêmes qu'il vaut mieux peut-être même aller chercher le bonheur en Creuse plutôt que de chercher une gloire éphémère et frustrante. Mais m...

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