Point de "Cloud souverain" sans "Data de confiance"

OPINION. L'écosystème de la souveraineté numérique peut se réjouir des annonces faites par les Ministres Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot le 12 septembre à Strasbourg. Le Gouvernement ploie sa définition de « Cloud de confiance » pour qu'elle ne soit plus empruntée uniquement sur son flanc défensif (en se contentant d'encadrer et sécuriser juridiquement nos dépendances avec les hyperscalers), mais bien prioritairement sur son flanc offensif en soutenant pleinement nos offres souveraines dans leur conquête de marché. Par Arno Pons, Digital New Deal (Think-tank), co-auteurs de la note « Data de confiance »*.
(Crédits : Arno Pons dr)

L'État se dote également pour cela d'un « Comité stratégique de filière sur le numérique de confiance » présidé par Michel Paulin (OVH), pour lequel notre think-tank fait de nouvelles propositions dans le livre blanc « Data de confiance : le partage des données, clé de notre autonomie stratégique » que nous publions aujourd'hui. Après nos publications « Cloud de confiance » puis « IA de confiance », nous tenions à dédier un position paper « Data de confiance » consacré aux enjeux des data spaces (programme européen doté de 10 milliards d'euros, pour une taille de marché estimé par la Commission à 530 milliards par an).

Une stratégie Cloud seule ne suffit pas à faire une stratégie Data

Notre conviction c'est que le numérique de confiance est composé de trois piliers « Cloud, Data et IA » auxquels s'ajoute bien évidemment la cybersécurité qui vient protéger cet écosystème de confiance. Nous alertons dans cette note sur le fait que la Data reste la grande oubliée de notre stratégie de souveraineté numérique, trop souvent résumée à la stratégie Cloud. La « Data Strategy » européenne voulue par Thierry Breton, qui se traduit dans la régulation à venir (Data Gouvernance Act et Data Act) et dans la stratégie opérationnelle menée par Gaia-X, ne concerne pas que le Cloud. La bataille des data spaces (mutualisation et partage des données par filière) sur laquelle les Allemands courent seuls en tête par un manque de mobilisation de notre part au sein de Gaia-X, risque d'être le maillon faible du numérique de confiance si nous restons trop focalisés sur la seule question du cloud souverain. Or, il est a priori plus simple de régler les problèmes de gouvernance du partage des données que de combler notre retard commercial face aux hyperscalers (AWS, Azure, GoogleCloud,...).

Notre conviction c'est que la France doit se doter d'une véritable « stratégie nationale de la donnée de confiance » au même titre que celles financées sur le Cloud et l'IA (Grand Défi IA - France 2030). Le « Comité stratégique de filière sur le numérique de confiance » ayant vocation selon nous à coordonner ces 3 stratégies complémentaires et à accompagner « l'InfraTech » que nous détaillons dans notre livre blanc, c'est-à-dire une infrastructure logicielle souveraine, fédérée et décentralisée, à même de répondre concrètement aux objectifs affichés de coopération par ce comité.

Sécuriser la "start-up nation" en devenant aussi une "infrastructure nation"

Cette Infratech est cardinale, elle est à la fois une condition sine qua non pour l'IA de confiance ; un levier pour la French Tech  ; et un cheval de Troie face aux Big Tech pour nos clouder nationaux.

Condition sine qua non d'abord, car évidemment le défi de l'IA de confiance sera grandement facilité dans les cas d'usage qui seront basés sur de la data de confiance. Également un levier de scalabilité pour la French Tech et l'industrie européenne. Car sans cet investissement d'infrastructure, le financement des start-up continuera de ressembler à « jeter l'argent dans le sable » pour reprendre l'expression de Bruno Le Maire. En effet, pour que la start-up nation ne devienne un mirage, la France doit aussi devenir une infrastructure nation. Cette plateforme logicielle intermédiaire entre le cloud et les applications métier, basée sur un large écosystème d'acteurs composé en particulier de startup, permettra à la French Tech de passer à l'échelle. En mutualisant les efforts de développement via des communs numériques open source gouvernés et enrichis par cette « multitude » d'acteurs, elle abaissera de facto les barrières à l'entrée d'un marché trusté par les géants américains.

Pour finir, l'infratech est un cheval de Troie, car cette offre logicielle souveraine packagée bout en bout pourrait être proposée par les cloud français, permettant ainsi de contrer les offres liées des hyperscalers qui verrouillent leurs clients dans un écosystème fermé et opaque (allant jusqu'à appliquer une logique de freemium pour empêcher l'émergence de la concurrence). Cette couche d'interopérabilité et de mutualisation des données permettrait une horizontalisation des échanges et donc une collectivisation de la valeur, évitant ainsi une captation et un silotage dans des systèmes propriétaires dont les entreprises clientes ne peuvent facilement ni sortir (complexe et coûteux), ni même mixer avec des services concurrents.

Créer un Infratech comme socle de confiance face aux Big Tech

Pour la France, l'enjeu est donc de définir une "stratégie française de la donnée" s'inscrivant dans la Data Strategy européenne pour que la data ne devienne le chaînon manquant de l'écosystème numérique de confiance. Pour cela l'État devrait donc selon nous orchestrer l'émergence de cette InfraTech du partage de données, basée sur des Communs Numériques, afin de construire une infrastructure commune transversale permettant de diminuer le coût de financement des data spaces métier. Et ce faisant, offrir dans le cadre de Gaia-X le socle technique et politique pour une troisième voie numérique européenne.

Ne nous y trompons pas. Soit, nous réussissons à investir dans une infratech qui répond à notre vision singulière de l'autonomie stratégique, soit nous dépendrons d'une infrastructure basée sur des solutions fournies par les hyperscalers. Si nous voulons que le « Health Data Hub » reste une exception et non pas la règle, si nous refusons que demain par exemple les données d'éducation ne s'exposent aux mêmes risques que les données de santé, alors nous devons agir. La souveraineté numérique est à ce prix-là.

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(*) Arno Pons, Digital New Deal (Think-tank), Co-auteurs de la note « Data de confiance ».

Retrouvez l'intégralité de la note ici : "Data de confiance : le partage des données, clé de notre autonomie stratégique"

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