« Pour les femmes, pas de liberté sans sécurité » (Gabrielle Halpern, philosophe)

OPINION - La philosophe Gabrielle Halpern témoigne de l’insécurité que vivent les femmes au quotidien. Elle appelle Emmanuel Macron à respecter l’engagement qu’il a pris en faisant de l’égalité femmes-hommes la grande cause de ses quinquennats.
Gabrielle Halpern
Gabrielle Halpern (Crédits : © ARNAUD MEYER)

D'ordinaire, il convient d'attendre un événement particulier pour aborder un sujet et prendre la parole dans l'espace public. Il faut « être dans l'actualité », nous dit-on. Alors, j'aurais pu attendre le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes, pour publier cette tribune. Mais j'en ai assez d'attendre les 8 mars pour que la question de la femme soit dans l'actualité, alors qu'elle est, pour nous les femmes, notre actualité quotidienne, si j'osais rappeler cette évidence.

Alors que le président de la République vient de nommer un nouveau Premier ministre à Matignon et que le gouvernement a été remanié, il est temps de nous rappeler collectivement que dès novembre 2017 ­Emmanuel Macron avait fait de la lutte contre les violences faites aux femmes la priorité de son combat pour l'égalité femmes-hommes, lançant ainsi la « grande cause du quinquennat ». Le nouvel élan politique que constitue ce remaniement sera-t-il l'occasion d'opérer une véritable révolution sur ce sujet ?

Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de fois où j'ai entendu la phrase célèbre prêtée à Benjamin ­Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. » Tant de personnalités politiques, tant de partis, tant de militants l'ont utilisée pour servir les idées qu'ils voulaient défendre. On ne compte même plus les discours à l'Assemblée nationale et au Sénat dans lesquels elle figure, donnant l'occasion à ses orateurs de jouer à la grandiloquence, la main sur le cœur. Si cette phrase est belle et donne à penser, elle n'est pas toujours vraie et s'effrite à l'épreuve de la réalité.

Je ne supporte plus d'avoir peur

En effet, nous sommes arrivés à un moment où, au nom de la liberté, nous avons cessé de donner de la valeur à la sécurité et, faute d'avoir su apporter à la sécurité la considération qu'elle méritait, nous avons perdu et la sécurité et la liberté. L'épreuve de la réalité ? Je la vis, chaque jour, en tant que femme et je ne la supporte plus.

Je ne supporte plus de devoir calculer et modifier mes itinéraires, changer de trottoir, renoncer à un déplacement, à une soirée, parce que le fait d'être une femme vient peser dans la balance de mes choix. Je ne supporte plus d'avoir la peur au ventre, lorsque je sors de chez moi à 5 h 30 du matin pour aller travailler ou que j'attends mon métro sur le quai, parce que le fait d'être une femme me transforme en proie potentielle. Je ne supporte plus d'avoir peur, si souvent peur. Dans l'espace public, dans les transports, dans les cages d'escalier. Je ne supporte plus de devoir courir dans ma rue, le soir, lorsque je rentre d'un déplacement à 22 heures, parce qu'il y a des hommes qui traînent.

Je ne supporte plus que certaines rues - mal éclairées -, certains quartiers, certains arrondissements, certaines heures du jour ou de la nuit, me soient interdits, sous prétexte que je suis une femme. Je ne supporte plus d'être obligée de me comporter d'une manière extrêmement antipathique avec les chauffeurs de taxi pour qu'ils ne soient pas tentés d'interpréter un bonjour cordial ou un sourire poli comme une invitation à quoi que ce soit. Je ne supporte plus que mes choix dépendent trop souvent de ce que je dois prendre en compte le fait que je suis une femme et qu'il pourrait m'arriver quelque chose... De fait, comme de très nombreuses femmes, j'ai subi plusieurs agressions et attouchements sexuels, en pleine rue, en plein jour, en plein centre-ville ou encore dans le métro.

La sécurité n'est pas une question de gauche ni une question de droite

Je ne veux plus voir chaque jour ma liberté rétrécie, empiétée, mutilée ; je ne veux plus que l'on me rappelle à chaque instant que je suis une femme. Je ne veux plus que l'insécurité de notre société nous empêche, en tant que femmes, de vivre librement, sans se préoccuper de notre sexe. La sécurité n'est pas une question de gauche ni une question de droite - en tout cas, elle ne devrait pas l'être -, et ceux qui choisissent délibérément d'en faire un angle mort de leur pensée de la France n'ont pas compris sa signification philosophique et politique.

L'ordre social, comme l'écrivait Jean-Jacques Rousseau, « est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres ». Par le contrat social, l'homme renonce « à sa liberté naturelle et à un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre » ; en échange, « ce qu'il gagne, c'est la liberté civile ». Lorsque les femmes vivent non pas un sentiment d'insécurité, mais une réelle insécurité, c'est tout le contrat social qui est remis en question.

Je refuse que, pour des considérations politiques, cette question, qui n'est pas une simple question d'ordre public, mais une véritable question civique, soit mise de côté ou minorée par ceux qui devraient en assumer la responsabilité ou par ceux qui prétendent vouloir un jour assumer des responsabilités. Pour nous, les femmes, il n'y aura pas de réelle liberté tant que nous ne serons pas pleinement en sécurité. Monsieur le Président, il est temps d'agir pour que l'égalité femmes-hommes ne soit plus seulement la cause de vos quinquennats, mais aussi et surtout leur conséquence.

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Commentaires 3
à écrit le 14/01/2024 à 15:09
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les feministes d'ultra neo paleo gauche, grandes ami.es des barbus en babouches laiques et ultratolerants qui sont alles faire du camping et du jardinage a raqqa pour revenir en france grace aux associations de gauche ( rappelons que c'est leur coeur...

à écrit le 14/01/2024 à 9:45
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Nous pourrions aussi bien dire : Pour les femmes, pas de provocation sans sécurité ! ;-)

à écrit le 14/01/2024 à 8:44
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Bah il a dit aussi qu'il n'y aurait plus de français qui dormiraient dans la rue alors qu'ils sont trois fois plus nombreux. Bref, bon courage les filles hein ! Mais espérez pas trop, de toutes façon vous y êtes habituées à pas trop espérer ! ^^

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