Eloge de l'hybridation : hommes et climats, qui influence qui ? (Gabrielle Halpern)

CHRONIQUE - « Est hybride ce qui est mélangé, hétéroclite, contradictoire. Autrement dit, c’est le mariage improbable, c’est tout ce qui n’entre pas dans nos cases ! » Et si l’hybridation était la grande tendance à venir ? Pour T La Revue, Gabrielle Halpern* analyse les métamorphoses de notre société. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Frédérique Touitou)

Le réchauffement climatique nous a fait prendre conscience de l'influence de l'être humain sur le climat. Ce phénomène est intéressant, lorsqu'il est mis en regard avec la théorie dite des climats, défendue par de nombreux penseurs d'Hippocrate à Aristote et qui a connu son essor au siècle des Lumières. Cette théorie était utilisée pour expliquer les différences entre les peuples : les Méditerranéens ? Ils seraient comme ceci ou comme cela, agiraient comme ceci ou comme cela, en raison du climat méditerranéen, et ainsi de suite.

La théorie des climats a eu un succès tout particulier, à la suite de la découverte des contrées lointaines, parce qu'elle permettait de donner une explication à ces cultures « exotiques » si éloignées des habitudes, des conventions et des certitudes des Européens convaincus de l'absoluité de leur système de valeurs. Des comportements « étranges » régnaient sur d'autres parties du monde avec le naturel de l'évidence et de la normalité. Ce que Pascal avait dessiné dans cette célèbre formule : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Intuition qu'avait déjà eue Montaigne avant lui dans ses Essais : « Il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme. »

Mais comment accepter que ce que l'un appelle le « Bien » soit le « Mal » pour un autre ? Comment expliquer que tel peuple ait édifié tel corpus de lois, en punissant ce qu'un autre peuple récompense ? Tel est l'esprit de De l'Esprit des Lois (1748), dans lequel Montesquieu vise à donner sens et raison aux lois humaines, qui apparaissent comme un moyen artificiel correctif et adaptatif permettant à un peuple de survivre sur le sol où il se trouve.

À l'opposé, le texte le plus caricatural de la théorie des climats est le roman du Marquis de Sade, Aline et Valcour, ou le Roman Philosophique (1793), qui pousse cette théorie à l'extrême pour montrer son absurdité. Ce relativisme philosophique donne bonne conscience mais, en légitimant tout, rationalise tout, même le pire. Si le bien en soi et si le mal en soi n'existent pas, tout est acceptable et tout est permis : « Il y a des pays où vos devoirs sont des chimères et vos crimes d'excellentes actions. » L'universel n'a plus aucune légitimité : « Toute manière de se conduire, absolument indifférente en elle-même, devient bonne ou mauvaise en raison du pays qui la juge. » Poussée à l'extrême, la théorie des climats devient la justification de tous les totalitarismes : « Il est faux qu'il y ait d'autres vertus que celles de convention, toutes sont locales et la seule qui soit respectable [...] est celle du pays où il est [...]. Qu'as-tu besoin d'une vertu universelle, dès que la nationale suffit à ton bonheur ? » On assiste à une sorte de renoncement à l'universel, - obligé de se retirer -, pour justifier le singulier.

Ironie de l'Histoire : nous serions passés d'un monde où les climats influencent les Hommes à un monde où ce sont eux désormais qui influent sur les climats et tous leurs dérèglements.

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*Docteure en philosophie, chercheuse associée à l'École normale supérieure, Gabrielle Halpern a travaillé au sein de différents cabinets ministériels, avant de participer au développement de start-ups et de conseiller des entreprises et des institutions publiques.  Elle est l'auteur de l'essai Tous centaures ! Éloge de l'hybridation (Le Pommier, 2020) et de la bande dessinée La fable du centaure (HumenSciences, 2022).

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Commentaire 1
à écrit le 14/01/2023 à 11:48
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Voudrait on nous faire croire que l'hybridation est de nature contemporaine ? C'est un facteur d'adaptation ! ... d'autres veulent en faire une réforme ? ;-)

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