Premier League anglaise : enfant ogre de la globalisation économique

OPINION. Alors que l'UEFA et les leaders de l'ECA (European Club Association) veulent imposer leur projet de quasi ligue fermée à 32 équipes pour 2024, alors que la FIFA lancera en 2021 une Coupe du monde des clubs, les 20 dernières années ont vu se développer la supériorité́ économique et médiatique de la Premier League anglaise. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.
Jean-Christophe Gallien.
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)

Malgré une finale ratée remportée par Liverpool, l'édition 2019 de la Champions League et sa finale, samedi dernier, rappellent enfin, sportivement, la formidable puissance de la ligue professionnelle anglaise.

Des marques et une expérience qui s'approchent du luxe

Lorsqu'on approche des stades anglais, on est frappé par une « expérience » très vivante, forte, identitaire. Chants, maillots, rituels en tous genres... l'ensemble est partagé et on ressent une appartenance rapidement contagieuse. Reste que pour pénétrer dans le stade, et à condition de s'y prendre très tôt, votre « adhésion » aux valeurs de la marque a un prix. Le plus élevé d'Europe pour des stades pleins à ras bord. Résultat : des recettes guichets exceptionnelles. Conséquence : le supporter qui fête Tottenham chaque semaine, celui qui soutient les Reds de Liverpool n'est plus le même. Exit le fan venu majoritairement de la classe ouvrière. La place est désormais réservée aux seuls gagnants de l'économie anglaise, aux touristes sportifs aisés venus des quatre coins du globe ou encore aux clients des marques partenaires de ce spectacle globalisé.

Planifiés scrupuleusement depuis 20 ans, exécutés par des experts britanniques, les clubs sont des marques à l'accès privilégié, rares. Et pour les autres, le plus souvent anglais ou les fans fidélisés à travers le monde, il leur reste la « TV à la maison », premier niveau de diffusion grand public. Et si pas d'abonnement, parce que trop cher encore, il reste le pub. Sinon la radio ou les highlights en différé́ sur le web. Nous ne sommes pas loin de la définition du luxe.

Une audience globale, des revenus eux aussi globaux et... énormes

Et là encore bingo ! Les droits TV que BT et Sky versent à la Premier League anglaise s'élèvent à 2,3 milliards d'euros par saison ! En France, l'espagnol Mediapro versera 780 millions par an à partir de 2020. On se bat pour ce qui est rare et pour l'exploiter. Et demain d'autres acteurs médiatiques, globaux eux aussi cette fois, vont entrer dans la danse. Amazon déjà, Facebook bientôt ! Cet autre « luxe » attire et fait vendre. On veut s'associer à cette expérience. Le dernier club de la Premier League reçoit 2 fois plus d'argent venu des droits que le champion de Ligue 1 !

Beaucoup plus important, la grande majorité́ des fans se trouvent, en fait, dans le vaste village global. Le championnat anglais est la compétition de football la plus regardée sur à travers le monde. Droits TV, maillots et autres produits dérivés d'un merchandising agressif produisent une valeur qui puise la source de sa réussite dans une conquête sans frontière du marché globalisé. Chaque week end, des millions de Chinois, d'Indiens et beaucoup d'autres, Africains mais aussi Européens, se passionnent pour les rencontres de la Premier League.

Une attractivité qui aimante des acteurs de plus en plus puissants et globaux

Depuis longtemps, les propriétaires de ce spectacle mondialisé, ne sont plus Anglais, ou Britanniques. L'attractivité, l'incroyable compétitivité économique de la Premier League aimante les investisseurs russes, américains, chinois, thaïlandais... Une à une, les marques clubs, grandes ou petites, passent entre les mains de fortunes personnelles ou collectives étrangères qui veulent acheter United, City, Liverpool, mais aussi Cardiff, Leicester ou Sunderland comme d'autres veulent s'offrir Fendi ou Saint Laurent.

Le coach anglais, une espèce en voie de disparition

Les entraîneurs des clubs sont de plus en plus Portugais, Espagnols, Italiens, Argentins... Le global ici encore s'impose à la production locale. Le coach anglais est une espèce en voie de disparition. Seulement 6 entraîneurs sur 20 étaient Anglais cette saison. Oubliez le kick and rush séculaire, les Pep Guardiola, Jürgen Klopp, Mauricio Pochettino et bien d'autres depuis 20 ans, effacent progressivement les dernières racines du jeu à l'anglaise que l'on retrouve désormais dans la bien nommée English Football League Championship, la deuxième division anglaise et ses stades pleins de supporteurs locaux attirés par des prix encore accessibles et une expérience plus anglaise. Pour combien de temps ?

Les appétits étrangers lorgnent depuis quelque temps sur des marques historiques du patrimoine footballistique anglais reléguées depuis suffisamment longtemps en « Championship », dans l'espoir, à coup d'investissements lourds, de vite rejoindre la Premier League et ses formidables rentes. C'est ainsi que le fonds souverain Qatar Sports Investments (QSI), déjà propriétaire du Paris SG, serait récemment entré en négociations avec les propriétaires de Leeds United.

Des joueurs venus du vaste monde et des Anglais bientôt protégés

Sur le terrain et sur les bancs, à nouveau, les Anglais ne constituent qu'une minorité́ des effectifs. C'est vrai que partout en Europe, les stars sont très souvent étrangères au pays du championnat où ils exercent leurs talents. Mais en Premier League, au cœur des clubs composés de deux équipes, où le salaire moyen est de 3,7 millions d'euros - de la star à celui qui cire le banc -, c'est un monde qui cohabite. A tel point que la Fédération anglaise de football veut désormais limiter le nombre de joueurs étrangers. Reste que chez ces marques globales, puissantes et riches, on veut et surtout on peut s'offrir les meilleurs talents. D'où qu'ils viennent. Créateurs, stratèges, solistes, stars ... ça ne vous rappelle rien ?

Les Anglais conservent l'expertise business

Spectateurs, propriétaires, entraîneurs, joueurs devenus majoritairement étrangers... demeurent Anglais les journalistes et consultants, et surtout les patrons exécutifs des clubs et de la ligue, les experts marketing, financiers... Et évidemment, localement, les fans qui parfois sont eux aussi perdus face à cette évolution vers la toute puissance.

De véritables multinationales du football et de l'entertainment

Véritables multinationales du football, riches, puissantes et multiculturelles, les clubs de la Premier League s'incarnent désormais en marques globales d'un nouveau genre entre local et global. Des marques puisant dans leurs racines locales et identitaires, parfois portées par des joueurs anglais souvent symboles de fidélité́ et incarnant des valeurs séculaires. Des marques parties aussi, très tôt, et collectivement, à la conquête des audiences et de publics d'un monde globalisé devenu un vaste marché planétaire.

Des marques qui, s'ouvrant à la mondialisation économique et culturelle dans leurs organisations financières, marketing, médiatiques et humaines, se projettent aussi dans la globalisation propre d'un football spectacle majeur des industries mondiales de l'entertainment. Des marques qui challengent même celles des autres secteurs d'activité́ qui se battent pour s'allier à ce destin local, élitaire et total à la fois. Et qui sont prêtes à en payer le prix, même très élevé.

Quelle place pour les autres ligues ?

Tout reste possible mais de moins en moins ! Outre ce projet rampant de quasi ligue fermée qui éliminerait de nombreux prétendants, tout indique que dans la durée, la Premier League poursuivra sa course loin devant. Malgré la puissance de la Liga espagnole, malgré l'ouverture du Calcio italien aux investisseurs étrangers, malgré la stratégie holistique et innovante de la Bundesliga allemande et malgré la réussite de notre Ligue 1 en terme de production de talents et petit à petit de professionnalisation et de valorisation... Allez, en 2025, ce sera au tour de la France : OL, PSG et OM en demi ! Et l'OM bat le PSG en finale ! On fait le pari... en cas de Brexit dur !

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Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de j c g a
Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Commentaires 2
à écrit le 03/06/2019 à 16:31
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le foot, c'est tout ce qui reste à la Grande-Bretagne. et encore : comme pour le reste de l'économie, le UK est dépendant de l'étranger. il reste aussi au UK, comme secteur d'excellence, l'évasion fiscale. voir le récent rapport du Tax Justice Netwo...

à écrit le 03/06/2019 à 15:16
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Pas de stars à plusieurs centaines de millions quand même, Messi, Ronaldo, Griezman, Neymar et autres que j'oublie certainement étant en espagne et en france, les ballons d'or n'y étant pas nombreux au final. Donc il n'y a pas que l'argent, la pr...

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