Présidentielle 2022 : une "vraie" politique du vieillissement reste à inventer

OPINION. Alors que le corps électoral âgé est surreprésenté et qu’une partie des élus sont eux-mêmes âgés, comment se fait-il que le vieillissement ne soit pas au cœur de l’agenda politique ? Par Dominique Argoud, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
(Crédits : CPage)

À ce jour, le vieillissement de la population n'apparaît pas comme un thème central de la campagne présidentielle. Il est vrai que durant le quinquennat Macron (2017-2022), les deux réformes envisagées, l'une visant la refonte du système des retraites, l'autre l'instauration d'une politique de soutien au grand âge, ont été toutes deux abandonnées en cours de route ce qui est à même de refroidir bien des ardeurs.

Certes, la situation sanitaire n'a pas été aisée pour mener deux politiques nécessitant des mesures d'envergure susceptibles de modifier l'architecture d'une partie du système de protection sociale, d'autant que la réforme des retraites avait suscité un vaste mouvement de protestation sociale tout au long de l'année 2020.

Quant à la loi appelée dans un premier temps « Grand âge et autonomie », puis « Générations solidaires », elle s'est simplement transformée en diverses mesures intégrées à la loi 2022 de financement de la sécurité sociale.

Et pourtant, il s'agissait d'un projet de loi déjà à l'ordre du jour sous le quinquennat Sarkozy, puis sous le quinquennat Hollande, qui n'avait alors débouché que sur une loi d'« adaptation de la société au vieillissement » avec une ambition budgétaire bien moindre (loi ASV du 28 décembre 2015).

En réalité, mettre à l'agenda public la question du vieillissement revient à se heurter à la nécessaire mobilisation de ressources budgétaires conséquentes.

Ainsi, sur la question des retraites, le Conseil d'orientation des retraites estime dans son dernier rapport de juin 2021 que le déficit du régime avait atteint 13 milliards en 2020. Et sur la question de la prise en charge de la dépendance, le rapport Libault préparatoire à la réforme estimait en 2019 un besoin de financement de l'ordre de 9,2 milliards par an d'ici 2030.

Un débat politique focalisé sur les dépenses de protection sociale

Cette situation aboutit à ce paradoxe : alors que le corps électoral âgé est surreprésenté, avec une participation électorale augmentant continûment jusqu'à 75-80 ans : et qu'une partie des élus sont eux-mêmes âgés, comment se fait-il que le vieillissement ne soit pas au cœur de l'agenda politique ?

Le coût budgétaire d'une telle politique, constitue évidemment une raison incitant les candidats les plus sérieux à être prudents dans leurs promesses. Et a contrario, cela conduit régulièrement les principaux acteurs du monde professionnel et de la société civile à réclamer une « vraie » réforme dans le champ de la vieillesse et à déplorer le manque de moyens.

Pourtant, une « vraie » réforme ne peut se limiter aux enjeux de protection sociale. Ces derniers sont bien évidemment très importants et c'est d'ailleurs grâce au système de protection sociale, notamment de sécurité sociale, que les personnes âgées bénéficient aujourd'hui d'un niveau de vie plus élevé en France que dans la moyenne des pays de l'OCDE.

Et la transformation récente de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie (CNSA) en caisse de sécurité sociale indique que la dynamique se poursuit (cf. l'ordonnance du 1er décembre 2021). Mais on est là sur une approche et des réponses qui reposent sur une « solidarité froide », de nature macro-économique, qui néglige la question de la place et du rôle des personnes âgées dans les sociétés modernes.

Une représentation sociale négative des plus âgés

La protection sociale ne peut être en réalité qu'un élément de réponse aux enjeux soulevés par le vieillissement de la population. Non seulement elle nécessite d'importants moyens financiers qui tendent à annihiler les velléités de réforme et à susciter des crispations sociales, mais en outre elle contribue à forger une représentation sociale négative des plus âgés.

Ces derniers deviennent une catégorie cible bénéficiaire d'aides toujours plus importantes, générant un grisonnement des dépenses sociales susceptible de déboucher à terme sur un hypothétique conflit entre générations.

Dans ce contexte, les sociétés modernes condamnent les personnes âgées à vouloir rester jeunes pour tenter d'échapper à l'âgisme ambiant.

Ce n'est donc pas un hasard si la « silver économie » a le vent en poupe depuis quelques années dans la mesure où elle promeut l'idée que le vieillissement ne représente pas un coût mais une richesse pour la société. Il s'agit toutefois là d'une alternative trompeuse car si elle inverse effectivement la représentation des seniors (qui passent du statut de bénéficiaires d'aides à celui d'agents économiques), elle les enferme dans un rôle réducteur de simple consommateur.

Une politique du vieillissement à inventer

Le vrai défi pour l'avenir consiste à inventer une politique du vieillissement capable de redonner une place à part entière aux personnes vieillissantes, pas seulement en tant que bénéficiaires d'aides ou pour garder les petits-enfants.

La « révolution de l'âge » nécessiterait de repenser l'ensemble des fondements de la politique menée en direction des personnes âgées qui avaient pourtant été posés dans le cadre d'un rapport public publié en... 1962 (cf. rapport de la Commission d'Etudes des Problèmes de la Vieillesse appelé plus communément « Rapport Laroque »).

Mais depuis, malgré l'existence de nombreux programmes et rapports, l'État semble avoir perdu la capacité à impulser une politique globale susceptible de tenir compte de l'avancée des connaissances sociologiques sur le vieillissement.

En l'occurrence, trois enjeux nous paraissent primordiaux pour définir une « vraie » politique du vieillissement. Ces enjeux reposent sur l'idée centrale qu'une politique du vieillissement n'est pas une politique s'adressant aux seules personnes âgées : c'est un projet de société visant l'ensemble des individus dont on sait, dès leur naissance, qu'ils sont tous amenés à vieillir...

Sensibiliser toute la population

Le premier enjeu serait ainsi de définir une politique de l'avancée en âge tout au long de la vie. Les problèmes liés à la vieillesse ne sont pas propres aux « vieux » : ils surviennent au fil de l'avancée en âge du fait d'événements qui se sont greffés bien antérieurement dans leur histoire de vie. On n'est pas vieux, on le devient. C'est donc bien en amont que se dessinent les inégalités qui ne vont que s'amplifier au moment de la retraite.

Par ailleurs, il est nécessaire de promouvoir une société créatrice de liens sociaux. L'isolement social n'est pas propre aux plus âgés. Néanmoins, comme l'ont révélé la canicule de l'été 2003 et de multiples études, la population âgée est particulièrement vulnérable dans les sociétés fondées sur la mobilité. Pourtant, le réseau « villes amies des aînés », qui consiste à inciter les pouvoirs publics locaux à mieux prendre en compte les besoins de la population vieillissante, démontre qu'il est possible de repenser la manière dont les territoires favorisent - ou non - les liens entre les âges.

Par ailleurs, rappelons que la sur-technologisation des sociétés modernes ne constitue pas une solution : l'Insee rapporte ainsi qu'en 2019, 26,7 % des personnes âgées de 60-74 ans et 67,2 % des plus 75 ans étaient en situation d'illectronisme.

Il faut aussi reconnaître aux personnes, fussent-elles vieillissantes, une pleine citoyenneté. Une telle évidence a pourtant été contredite durant la crise sanitaire qui a conduit l'État à brider la liberté des plus âgés au nom de leur supposée vulnérabilité, particulièrement pour ceux résidant en Ehpad comme le rappelait l'avis du Conseil consultatif national d'éthique ou le rapport du Défenseur des droits.

La tentation sanitaire et sécuritaire tend à prendre le dessus et à occulter le fait que les personnes âgées sont avant tout des adultes capables de faire preuve d'autonomie au sens étymologique du terme, c'est-à-dire de se gouverner selon ses propres lois. Il a en effet été démontré que si l'on excepte les troubles sévères, l'individu dispose toujours de ressources, parfois non verbales, pour exprimer son point de vue pour peu que la société le sollicite. Dans tous les cas, il ne fait pas de doute que le renouvellement générationnel contribuera de toute façon à ce que les « nouveaux vieux » soient amenés à défendre avec ardeur leur volonté de rester des citoyens à part entière jusqu'à la fin de leur vie.

The Conversation _____

Par Dominique Argoud, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaire 1
à écrit le 26/01/2022 à 9:46
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Complètement oubliés les retraités, la vieillesse la maladie la mort il faut éloigner tout cela aux maximum des consommateurs qui ne doivent pas se poser de questions autres que de savoir ce qu'ils vont acheter aujourd'hui dont ils n'ont pas besoin. ...

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