Rencontres économiques d'Aix : 12 mesures pour "redéfinir les souverainetés"

Au terme de près de trois jours de débats sur le thème "dans un monde de turbulences, qu'attend-on d'un pays", alors que le Brexit occupe les esprits, le Cercle des Economistes a publié douze recommandations pour relancer l'Europe et guider la campagne électorale en France. En 2017, les Rencontres économiques d'Aix-en-Provence porteront sur l'énergie.

 Depuis un demi-siècle, jamais l'incertitude au niveau mondial n'a été si forte. Pourtant nous avons vraisemblablement franchi, ces derniers mois, une nouvelle étape et cela partout dans le monde ; la montée de sentiments identitaires, de formes variées de violence, de tentations isolationnistes et la perception de plus en plus vive d'un accroissement marqué et insupportable des inégalités et des freins que cela suscite en matière de croissance. Et surtout, il y a cette difficulté de la part des femmes et des hommes politiques à comprendre les mouvements démographiques et géostratégiques auxquels nous sommes confrontés. Le Brexit est une illustration de ces évolutions désordonnées, de la difficulté à maîtriser les évènements tant pour ceux qui l'ont décidé que pour ceux qui auront à négocier les nouvelles relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Cinq mots viennent aujourd'hui cristalliser cette nouvelle réalité sans que l'on en maitrise parfaitement le contenu : souveraineté, pays ou nation selon la langue utilisée, coopération, réforme et enfin proximité. Tous ces mots ont une grande force mais comportent aussi de nombreuses ambiguïtés. Ambiguïtés d'autant plus dangereuses qu'elles fondent en même temps qu'elles biaisent la majorité des clivages politiques.

Souveraineté, mais jusqu'où ? Peut-on imaginer aujourd'hui le moindre ensemble qui puisse se considérer totalement indépendant des autres ?

Le pays, fruit de l'histoire et de la géographie, auquel on peut substituer pour une large part le mot nation et pour une moindre part les termes Etat et société, est défini par quatre critères : l'envie de vivre ensemble - créée et entretenue par une histoire, une langue et une culture pour certains pays, des valeurs communes pour d'autres-, un contrat social largement accepté, la protection et la prise en charge de la sécurité des individus qui le composent et la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la société, sous une forme spécifique.

La coopération, elle, existe à des degrés variables à tous les échelons de l'économie mondiale, notamment au niveau des firmes, par des réseaux plus ou moins structurés en matière de recherche, d'innovation voire même de production. A l'inverse, ce qui frappe aujourd'hui c'est l'affaiblissement de cette coopération au niveau de l'économie globalisée pour laquelle le G20, le G7 et G8 n'ont plus qu'un rôle limité. Au niveau européen, certains parlent d'intégration, d'autres de coopération renforcée, sans que l'on soit au clair, dans ces moments particulièrement troublés, sur le fait de savoir entre qui cette coopération doit exister et sur quoi elle doit porter.

Quant à la réforme, il s'agit vraisemblablement du mot le plus utilisé, notamment à propos de la France, plutôt par son absence que par son efficacité. La question que nous devons nous poser est plus celle de la mise en oeuvre des réformes, notamment en termes de calendrier, pour permettre leur acceptation sociale et assurer leur efficacité, que celle des mesures en tant que telles.

La proximité, enfin, reprend l'ensemble de ces thèmes car chacun est bien conscient que toute politique économique ou sociale ne peut être acceptée et partagée qu'à partir du moment où elle est comprise, décidée de manière démocratique et mise en oeuvre dans le quotidien.

Dans quel monde doivent s'inscrire nos propositions ? Loin d'être un phénomène nouveau, la mondialisation a déjà connu plusieurs cycles d'expansion et d'internationalisation des échanges suivis d'un resserrement de l'activité puis de tensions. La mondialisation actuelle, elle, crée un nouvel équilibre des rapports entre pays, une modification de leur coopération et une évolution du rapport des peuples à la politique.

Nous sommes convaincus qu'il faut à la fois retrouver des structures de coopération mondiale et européenne beaucoup plus fortes, adaptées aux mutations technologiques, économiques et sociales en cours et à l'existence de pays qui souhaitent conserver une part importante de leur souveraineté.

Les douze propositions élaborées lors de la 16e édition des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence par le Cercle des économistes ont un caractère commun : redonner aux politiques mondiales, européennes, françaises et locales le support d'une souveraineté explicite, une véritable architecture des souverainetés, c'est-à-dire de territoires de décision parfaitement définis et au sein desquels il est réellement possible d'agir.

12 mesures pour redéfinir les souverainetés

A l'échelle du monde

1. Faire émerger de nouvelles formes de coopération mondiale associant négociations entre Etats et acteurs de la société civile

 Tirer les leçons de la COP 21 en matière de gouvernance mondiale : enrichir les discussions traditionnelles entre grandes institutions en y associant décideurs politiques, chefs d'entreprises, acteurs de la société civile, collectivités territoriales et locales. Concrétiser ces négociations par des décisions opérationnelles.

 Rendre toutes les négociations internationales transparentes et accessibles à tous par le biais de comptes rendus publics réguliers devant les instances démocratiques.

2. Créer une autorité internationale de protection et de sécurité des données personnelles

 L'Internet, élément porteur de démocratie et allié incontournable de la connaissance se révèle particulièrement intrusif au sein de la vie privée des individus.

 Etablir une autorité internationale qui harmonise le traitement des données personnelles entre pays et sécurise la détention et l'utilisation de ces données par les plateformes numériques, telles les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

A l'échelle de l'Europe

3. Insister fermement pour que les négociations avec le Royaume-Uni s'entament rapidement et avoir pour objectifs le maintien de la cohésion de l'Union et l'ancrage des Britanniques au continent

 Analyser précisément la situation qui présente un risque de désagrégation de l'Union européenne et aussi d'un nouveau choc économique dommageable pour les uns et les autres. L'intérêt collectif est de limiter ces dommages sans défaire l'Union. À moyen terme, la sortie britannique pourrait conduire à redéfinir les cercles d'intégration pour mieux répondre à la diversité des préférences des pays membres et de ceux du voisinage.

 Eviter le danger d'en venir à une formule à la canadienne, limitant les accords à un libre-échange pour les biens et une gamme limitée de services.

 Privilégier une solution à la norvégienne, associant accès au marché unique, contribution au budget européen et mobilité des travailleurs, éventuellement assortie de clauses de sauvegarde. Dans ce cadre-là, l'accès britannique au passeport européen en matière financière devra être négocié sous des conditions très précises de réciprocité absolue.

4. Entériner le principe d'une Europe à plusieurs vitesses et réserver des politiques de plus forte intégration, notamment le policy-mix, à un noyau dur représenté par la zone euro

 Organiser une conférence refondatrice de la coopération européenne au niveau des pays de la zone euro, permettant notamment de renforcer la représentation démocratique au sein de la zone à partir des institutions politiques nationales.

 Redéfinir le principe de subsidiarité au sein de l'Union européenne en axant la coordination uniquement sur les politiques présentant des externalités : économie verte, recherche, santé, finance.

 Instaurer un policy-mix effectif en dotant la zone euro d'un budget significatif. Mettre en place une indemnisation chômage au niveau de cette zone.

5. Relancer l'Union européenne autour de 4 axes : fiscalité, gestion des frontières, innovation, défense

 Converger vers une imposition coordonnée des entreprises au niveau européen, face à la politique agressive de baisse des taux d'Impôt sur les Sociétés au Royaume-Uni et en Irlande. Limiter les politiques de dumping social et fiscal.

 Transférer la souveraineté en matière d'asile du niveau national au niveau européen. Créer un statut européen du réfugié.

 Encourager les politiques communes d'innovation et de recherche, notamment dans le numérique et les technologies « bas carbone ».

 Créer, pour la défense et la sécurité, une force d'intervention européenne.

 6. Créer un espace culturel européen à travers la mobilité

 Généraliser l'apprentissage des cultures européennes.

 Développer une aide européenne à la mobilité des étudiants, apprentis et artistes par la mise en place d'un Erasmus professionnel, conformément aux préconisations de la déclaration finale de l'édition 2015. Encourager les lycéens de toutes filières à un échange de 3 à 6 mois.

 Réorganiser la circulation des travailleurs détachés pour éviter le dumping social entre européens.

 A l'échelle de la France

7. Donner la priorité absolue à l'éducation et la formation

 Augmenter le budget accordé au premier cycle et réformer les programmes d'enseignement afin de solidifier les acquis fondamentaux.

 Développer l'orientation professionnelle dès le collège par le biais de modules d'orientation, venant remettre en cause le collège unique. Garantir à chacun une place dans l'enseignement qui correspond à ses capacités. L'université ne doit pas être la seule à ne pas sélectionner. Généraliser la sélection en première année de Master.

 Revaloriser l'apprentissage et les filières techniques en partenariat avec les entreprises pour réduire le décalage entre les enseignements de la sphère académique et les compétences attendues au sein du monde professionnel, ce qui permettra aux entreprises d'être plus compétitives.

 8. Faire de la politique du logement un vecteur d'intégration et de lutte contre les inégalités

 Diminuer les droits de mutation qui freinent la vente et l'achat de biens et, en ce sens, la mobilité professionnelle. En contrepartie, augmenter les taxes foncières, imposables à l'ensemble des habitants et qui alimentent les conseils départementaux.

 Appliquer des politiques volontaristes de libéralisation du foncier de la part des acteurs publics.

 Gérer les Plans Locaux d'Urbanisme (PLU) à l'échelle nationale afin de faire face à la pénurie de logements, responsable de l'envolée du prix du foncier.

 9. Mettre en place une fiscalité favorisant l'épargne longue et l'initiative entrepreneuriale

 Revisiter Solvabilité II afin de modifier la réglementation de l'épargne pour encourager l'initiative entrepreneuriale.

 Mettre en place une fiscalité incitative à l'épargne longue et durable et qui s'investit dans des produits risqués.

 10. Lancer les bases d'une « société de la seconde chance »

 Permettre aux NEET (Not in Education, Employment or Training) d'avoir, selon des modalités adaptées, la possibilité de récupérer les langages essentiels.

 Approfondir et promouvoir le Compte Personnel d'Activité (CPA) par l'émission de nouveaux droits et les rendre fongibles pour permettre une réorientation professionnelle et la prise en charge des nouveaux métiers.

 11. Créer un contrat de travail unique, équilibré, à droit progressif

 Mettre en place un contrat plus souple que le CDI actuel et plus protecteur que le CDD.

 Créer une sécurité sociale unique quel que soit le statut, y compris pour les retraités, afin de permettre aux nouveaux métiers (free-lance, startup...) de bénéficier de cette protection.

 12. Instaurer l'obligation d'évaluer toutes politiques publiques et d'instaurer un débat public sur les résultats

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Commentaire 1
à écrit le 04/07/2016 à 10:34
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Exercice très méritoire et intéressant. Amha, le point 12 arrive bien tard, car en ce qui concerne la France, c'est en premier chef (ou juste après l'éducation en terme d'importance mais qui est assez bien couvert en France..) qu'il faudrait le trait...

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