Transition écologique : la cible doit être le CO2, pas le nucléaire

OPINION. Pourquoi le gouvernement veut-il à tout prix développer les énergies renouvelables pour compenser la diminution programmée du nucléaire de 75% à 50% du mix électrique à l'horizon 2035? Remplacer une énergie qui ne rejette pas de CO2 par d'autres sources d'énergie qui ne rejettent pas de CO2, de surcroît intermittentes, est pour le moins paradoxal. Par Francis Sorin, consultant en énergie, membre honoraire du Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN) et auteur de « Déchets nucléaires, où est le problème ? » (EDP Sciences 2015).
Francis Sorin.
Francis Sorin. (Crédits : DR)

La « transition écologique » telle qu'elle est promue par le président de la République risque d'aboutir à l'inverse de l'objectif affiché : alors que la priorité est de lutter contre le réchauffement climatique en diminuant nos rejets de gaz à effet de serre, principalement le CO2, la stratégie mise en place conduit tout droit à leur augmentation.

Avant d'expliciter ce fourvoiement, soulignons qu'en matière de lutte contre le réchauffement climatique la France est le bon élève de la classe écologique mondiale : elle est de tous les pays industrialisés celui qui (avec la Suède) rejette proportionnellement le moins de CO2 : de l'ordre de 5 tonnes par an par habitant contre 10t en Allemagne et 15t aux Etats-Unis. Elle le doit à son parc électrique largement décarboné grâce à une production 75% nucléaire et 12% hydraulique.

Il est assez incompréhensible de constater qu'en dépit de ce bon résultat, c'est ce parc électrique qui est désigné comme l'enjeu fondamental de la « transition » à la française ! Des mesures sont certes prévues pour diminuer les rejets des grands secteurs d'activité -transports, bâtiment, agriculture. Mais la grande affaire, telle qu'elle est présentée par l'Exécutif, est d'organiser la baisse du nucléaire, comme si le pays avait quoi que ce soit à espérer d'un tel affaiblissement.

Un fonctionnement d'un jour sur quatre

Les promoteurs de cette « transition » soutiennent que les énergies renouvelables (ENR : solaire et éolienne) se développeront fortement pour compenser la diminution programmée du nucléaire de 75% à 50% du mix électrique à l'horizon 2035. Mais quel est l'intérêt de remplacer une source d'énergie qui ne rejette pas de CO2 par d'autres sources d'énergie qui elles non plus ne rejettent pas de CO2 ? D'autant que la question de l'intermittence des énergies renouvelables n'est toujours pas réglée : elles ne fonctionnent qu'une partie restreinte du temps au gré du vent et de l'ensoleillement. Le facteur de charge des éoliennes terrestres est de 24,3%, correspondant à la part de la puissance effectivement délivrée par rapport à un fonctionnement continu à pleine puissance : comme si, en termes plus imagés, une éolienne ne fonctionnait qu'un jour sur quatre ! Le chiffre est de 15% pour les panneaux solaires photovoltaïques.

Introduites dans un parc électrique fonctionnant aux combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), les ENR se substituent, durant leurs périodes de fonctionnement, à des centrales polluantes, diminuant ainsi les rejets de CO2. Mais introduites dans un parc essentiellement alimenté au nucléaire et à l'hydraulique, et donc déjà décarboné, comme le parc français, ces ENR sont complémentaires du nucléaire mais ne peuvent s'y substituer totalement du fait de leur intermittence. Paradoxalement, pour assurer un approvisionnement constant, il faudrait développer des substituts rapidement mobilisables, ce qui passerait par le développement de capacités qui entraînent indirectement une augmentation des rejets de CO2. C'est ce qui se prépare dans notre pays dès lors que les éoliennes et le solaire sont développés en remplacement d'un nucléaire largement amputé.

Le recours aux centrales fossiles

Dans les années 2020 jusqu'à l'horizon 2035, il est prévu d'arrêter définitivement 14 réacteurs nucléaires représentant une capacité installée de l'ordre de 12.000 mégawatts électriques, compensée en théorie par un triplement des capacités éoliennes et un quintuplement du solaire. Comme on l'a vu, ce « bouquet » ENR ne fonctionnera qu'un quart du temps. Il faudra donc prévoir pour les trois autres quarts une compensation par des énergies pilotables pour garantir la continuité de la production : un relais, ou « back up », nécessairement assuré par des unités fossiles capables de s'adapter souplement aux variations de ces énergies aléatoires. Le problème est que ces centrales fossiles rejettent d'énormes quantités de CO2 : par exemple, pour le fonctionnement au gaz d'une puissance installée de 1000 MWe il faut compter environ 3,3 millions de tonnes de CO2 rejetées par an.

A partir de là, le calcul est simple : pour compenser pendant les trois-quarts du temps la diminution programmée du nucléaire, soit un manque à produire de 12.000 MWe à l'horizon 2035, le recours à ces unités fossiles entrainera chaque année des rejets de CO2 supplémentaires d'environ 30 millions de tonnes. Ce chiffre est un ordre de grandeur pouvant varier selon le niveau de la demande d'électricité, le développement de ses nouveaux usages, la disponibilité des ENR... Mais il est cohérent avec les études conduites par le gestionnaire du réseau électrique RTE établissant dans son scénario prévisionnel 2017 que la diminution du nucléaire à 50% du mix électrique en 2050 pourrait engendrer des rejets de CO2 de 38 à 55 millions de tonnes par an.

Quatre scénarios

Il est ainsi désolant de constater qu'à la faveur de cette curieuse « transition écologique » le dogme de la diminution du nucléaire aboutit à la déconstruction d'un système électrique faiblement émetteur de CO2 et à son remplacement par un système potentiellement générateur de fortes quantités de ce gaz, ce qui est l'exact contraire de l'objectif affiché ! Les concepteurs de cette « transition » font fausse route : la cible doit être le CO2 et pas le nucléaire. Tout indique au contraire que cette énergie doit être non seulement confortée mais aussi développée. C'est ce que prônent maintenant, après des années de tergiversations, les grandes instances internationales engagées dans la lutte pour le climat, comme la COP 24 ou le GIEC : dans ses quatre scénarios pour décideurs, celui-ci en appelle à un recours considérablement accru au nucléaire, allant d'un doublement à un quintuplement de sa capacité planétaire installée. Dans ce contexte, loin d'ostraciser le nucléaire, la France devrait veiller à son utilisation stratégique et écologique optimale sur un plan national ainsi que dans l'ensemble européen.

Il est peut-être temps de ce point de vue de jeter les bases d'un système électrique européen intégré où la France, développant son nucléaire au-delà de sa demande intérieure, deviendrait un important fournisseur de ses voisins en électricité sans CO2, contribuant ainsi à la décarbonation de l'Europe.

C'est cela qui aurait du sens pour une transition vraiment « écologique ».

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Commentaires 39
à écrit le 30/01/2020 à 10:33
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Oui il faut continuer a penser que l'energie nucléaire est une solution d'avenir et que l'EPR est la condition sine qua none la pierre angulaire du renouveau du nucléaire en France. Le CO2 est un problème mondial donc il faudrait creer une agence env...

à écrit le 03/12/2019 à 19:02
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100% d'accord Au niveau mondial car le problème du C02 est bien un problème pour la planète et pas seulement notre pays, pas de salut sans l'électricité nucléaire. pourquoi fermer Fessenheim qui ne génère pas de CO2 ?

à écrit le 18/03/2019 à 8:43
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Tout ce que vous dites est parfaitement juste, mais vous oubliez un fait indiscutable:si le nucléaire est quelque part "sauvé" par la reconnaissance des effets du CO2 sur l'effet de serre, les autres problèmes (au-je besoin de dire lesquels) ne sont ...

à écrit le 23/01/2019 à 18:51
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Les opposants au nucléaire soulignent ave raison ses handicaps majeurs actuels et futurs . Mais pourquoi ignorer que des progrès essentiels sont tout à fait prévisibles ,ainsi on ne parle jamais des réacteurs au thorium bien plus évolués que les act...

à écrit le 22/01/2019 à 9:32
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Sinon les gars vous ne devriez pas exposer la photo de vos visages, un gars qui sait voit tellement bien affiché tout ce que vous êtes tellement repus à cacher hein... :-) Par ailleurs vous au moins on voit bien que vos visages sont pas déformés ...

à écrit le 21/01/2019 à 13:27
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Ce qui serait intéressant c'est que chaque appareil électrique ait et soit sa propre source d’énergie!

à écrit le 21/01/2019 à 13:04
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Le but n'est pas que de limité le rejet de GES dont le CO³ mais d'en faire la captation et donc, de changer nos habitudes agricoles et forestières pour éviter les sols morts!

à écrit le 20/01/2019 à 16:58
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j'apprends par certains commentaires que l'éolien (surtout en mer ) , le solaire photovoltaïque sont des technologies de production électrique compétitives , fiables , capables de répondre aux besoins quantitatifs et qualitatifs d'une grande part du...

à écrit le 20/01/2019 à 9:25
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La cible ne doit pas être le CO2, mais l'énergie. L'énergie doit être associée au travail. Voir la note n°6 du CAE et l'appliquer avec une allocation universelle pour respecter l'équité. Qui le comprendra??

à écrit le 19/01/2019 à 23:21
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Le nucléaire est une énergie sale de stock qui coûte beaucoup plus qu'elle ne rapporte (EDF est en quasi faillite, les investissements post-Fukushima sont faramineux, on ne sait que faire des déchets et du plutonium et on risque de plus en plus un ac...

à écrit le 19/01/2019 à 6:36
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Le parc nucléaire est réduit car il est trop âgé et coûteux à rénover comparé aux prix plus compétitif des renouvelables (déjà 55 et 52 euros le MWh pour l'éolien terrestre et solaire en France et moins ailleurs en Europe avec d'autres baisses à veni...

le 21/01/2019 à 9:23
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D'accord avec vos idées mais il faut trouver la permanence d'une électricité de masse pour quelque 100000 MW. Pour le cout de l'électricité elle varie d'un pays à un autre, plus taxée, en France qu'en Allemagne et chaque pays essaye de régler au mieu...

à écrit le 18/01/2019 à 19:00
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Arrêtez de nous bassiner avec le CO³, il faut simplement revoir notre production agricole et éviter de créer des déserts en tuant les sols!

à écrit le 18/01/2019 à 18:49
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Le 10 janvier la puissance électrique fournie par l’éolien allemand est passée en quelques heures de 43GW à presque zéro. Cette situation a failli conduire à un ‘Black-out’ catastrophique qui a pu être évité par l’intervention française en demandant...

le 18/01/2019 à 21:28
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J'ai du mal à comprendre comment la nouvelle génération d'ingénieurs et techniciens pourra laisser une trace industrielle marquante si on ne lui demande que de prolonger les réalisations existantes et qu'on l'empêche de s'exprimer techniquement, de r...

le 19/01/2019 à 6:42
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@ Jardinier : parlez de tout sujet mais pas d'énergie car prétendre que l'on a compensé une chute de 43 GWh par 1,5 MWh est une fake news. Le problème venait du Kosovo/Serbie, en rien d'Allemagne dont le réseau est bien plus sûr que le nôtre. De même...

le 19/01/2019 à 8:21
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Réponse à Polytech Je vous parle de puissance électrique et vous répondez avec des considérations en énergie et comme d’habitude vous faîtes un commentaire à côté de la plaque. Le point de départ du problème était bien la baisse brutale de la puissa...

le 19/01/2019 à 23:47
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Les prix sont faux. Le prix de l'énergie est beaucoup plus bas que son prix réel car les externalités négatives ne sont pas comptées dedans (pollution, dégâts environnementaux irréversibles, impacts lourds sur la santé publique, coûts reportés sur le...

le 21/01/2019 à 15:27
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@Emmanuel HOURDEQUIN Je vous trouve un peu trop général quand vous parlez des externalités, il me semble que vous péchez par biais d'optimisme "C'est discriminatoire pour les énergies renouvelables dont les externalités négatives sont beaucoup plus ...

le 22/01/2019 à 14:44
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Les externalités négatives du nucléaire sont parfaitement connues (bien qu'incommensurables comme le dirait la cour des comptes) et ce seront nos enfants, petits-enfants, arrières-petits-enfants qui vont payer à cause de nous qui en avons profité sou...

à écrit le 18/01/2019 à 18:33
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Chiche, supprimons le charbon, le nucléaire, les panneaux voltaïques qui consomment un Max de CO2 dans leurs fabrications, le solaire thermique n'intéresse personne dommage, le géothermique profond est risqué pour les nappes phréatiques qui nous alim...

le 18/01/2019 à 20:37
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Le solaire thermique est sans doute actuellement l'énergie renouvelable la plus intéressante pour les particuliers: les rendements sont supérieurs à 90% et l'eau assure en partie le stockage de l'énergie: malheureusement son utilisation est limitée à...

le 19/01/2019 à 6:55
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Le Danemark a 66% de ses bâtiments (98% à Copenhague) reliés aux réseaux de chaleur qui sont l'énergie la moins chère (moins de 24 euros / MWh, 28 à 35 euros le MWh en Allemagne, à comparer à 104 euros le MWh pour l'EPR d'Hinkley Point en GB et plus ...

le 21/01/2019 à 15:44
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@Polytech Connaissez-vous la notion d'entropie? C'est en quelque sorte ce qui définit une échelle de qualité de l'énergie, la forme la moins exploitable de l'énergie (de qualité moindre) étant la chaleur: je vous mets au défi de faire fonctionner un...

à écrit le 18/01/2019 à 18:29
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L’analyse est bonne mais n’est valable que parce qu’on a admis par postulat, que le CO2 est l’élément essentiel du réchauffement. Lorsqu’on s’attèle à rechercher dans les méandres de ces décisions prises depuis le protocole de Kyoto en 1998, et que ...

le 19/01/2019 à 6:59
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@ Charlot : oui c'est comme les plastiques dans les océans, ce sont les poissons qui les ont mis et la déforestation ce sont les singes et les scientifiques JB Fourier au 18e siècle et Arrhénius en 1895 qui parlaient dejà du réchauffement climatique ...

le 19/01/2019 à 11:34
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@polytech Votre réponse est comme d’habitude complètement hors sujet. Genre d’arguments que l’on ressort lorsqu’on ne peut ou ne veut pas se poser les vraies questions et qui finalement démontre une faible ouverture d’esprit. « La culture intelle...

le 19/01/2019 à 12:40
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Bonjour Charly 10, Votre commentaire est plein de bon sens. Il faut d’ailleurs rappeler que l’idée du réchauffement climatique avec pour origine principale le CO2 vient de l’époque de Margaret Thatcher pendant les grandes grèves des mineurs des ann...

le 21/01/2019 à 13:20
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L'augmentation exponentielle (double tous les 100 ans) du CO2 atmosphérique depuis la révolution industrielle, dû à l'activité humaine et les records de chaleur enregistrés cette année http://www.meteofrance.fr/actualites/64599542-chaleur-des-records...

à écrit le 18/01/2019 à 18:07
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il faut dépasser l'éternel débat pour ou contre le nucléaire mais trouver le juste équilibre entre l'existant et de nouveaux moyens de productions propres et économiquement viables ; ou faire une véritable révolution à la baisse de nos modes de conso...

à écrit le 18/01/2019 à 17:06
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En se renseignant suffisamment sur ce sujet, il a été observé que l'expérience allemande menée depuis à peu près 6 ans a engendré un mix incluant 29 % d'énergies renouvelables, 13,1 % de nucléaire, 12,4 % de gaz et 40,3 % de charbon, conduisant à une...

à écrit le 18/01/2019 à 17:01
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On n'a pas augmenté le nombre de centrales thermiques depuis qu'on a développé eolien et solaire en France. Même l'Allemagne, en avance sur nous pour les ENR, a vu son électricité liée au charbon/lignite plutôt diminuer... Le raisonnement de l'aute...

à écrit le 18/01/2019 à 16:17
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Vous abordez la question sur un plan mille fois débattu et en occultant un autre pan de la question écologique: le risque. Le nucléaire, même français, présente deux risques: le risque lié à la sureté et le risque lié à l'enfouissement des déchets. ...

le 19/01/2019 à 10:18
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Je suis globalement d’accord avec vous sur le fait qu’il serait intéressant de voir un article qui aborde avec objectivité la problématique générale du nucléaire. Il est clair que les conséquences d’un accident nucléaire grave peuvent être plus impor...

à écrit le 18/01/2019 à 16:10
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Bonjour, Il serait bon de préciser que M. Sorin est conseiller à la SFEN (le lobby nucléaire http://www.sfen.org/organisation/gouvernance). Cela permet d'éclairer le tableau lacunaire, simpliste et orienté de la production électrique fait dans cet...

le 18/01/2019 à 18:59
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La génération d'ingénieurs des années 70-80 a créer entre autres les trains à grande vitesse, le Concorde, les moyens techniques et les bases d'internet et a permis l'envoi de sondes et de télescopes spatiaux qui ont révolutionné notre connaissance d...

le 18/01/2019 à 20:56
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Je suis d'accord que très souvent le facteur de charge de l'éolien est traduit par le fait qu'une éolienne ne marcherait que x% du temps; ce qui est faux. Le facteur de charge de l'éolien qui était en France de 20,2% en 2017 signifie seulement que su...

le 19/01/2019 à 7:08
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@ Jardinier : avant de faire des déclarations au pifomètre, regardez donc les multiples études et modélisations scientifiques et climatiques qui démontrent la possibilité d'avoir 100% de renouvelables et ce sur la base du climat des 30 dernières anné...

à écrit le 18/01/2019 à 15:56
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JE peux écouter sans problème les défenseurs du nucléaire puisque énerhie à laquelle je croyais aussi maintenant si c'est pour ne se jamais remettre en question ce lobby reposant sur le secret défense ferait mieux de fermer définitivement. Par ai...

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