Transport aérien : vers un nouveau paysage en Europe ?

OPINION. Didier Brechemier, Senior Partner chez Roland Berger, et Emmanuel Combe, professeur à Skema Business School, livrent leur analyse sur la manière dont ils voient évoluer le transport aérien, frappé de plein fouet par la crise sanitaire.
(Crédits : Ints Kalnins)

La crise du Covid-19 constitue « la pire crise de l'histoire de l'aviation » (IATA), avec une chute du trafic de 60% en 2020. Qui plus est, la reprise se fera de manière graduelle, avec un retour à la normale attendu seulement en 2024. Dans ce paysage de désolation, toutes les compagnies ne sont toutefois pas logées à la même enseigne et la sortie de crise va probablement rebattre les cartes, tout particulièrement sur le marché intra-européen, comme nous le montrons dans une étude parue à la Fondation pour l'Innovation Politique*.

Les grands acteurs historiques sauvés par leur Etat

D'un côté, les grands acteurs historiques comme Lufthansa ou Air France KLM ont dû leur salut à l'intervention des pouvoirs publics, sous la forme de prêts garantis ou de recapitalisation. Les montants en jeu sont assez impressionnants : Air France KLM a bénéficié d'aides à hauteur de 10,4 milliards d'euros pour la seule période d'avril à juin 2020. De son côté, le gouvernement allemand a accordé 9 milliards d'euros d'aides à Lufthansa, dont une augmentation de capital à hauteur de 20%. Les grandes compagnies historiques ont procédé par ailleurs à des ajustements de taille et de coût mais, compte tenu de l'ampleur de leurs coûts fixes, ces adaptations n'ont pas permis d'éviter des pertes massives. A titre d'exemple, Lufthansa a perdu 2 milliards d'euros au seul troisième trimestre 2020. Autant dire que les grands acteurs historiques, sauvés de la faillite, sortiront lourdement endettés de la crise.

Les compagnies "ultra low cost" vont infléchir leur modèle

A l'autre extrémité du spectre, nous trouvons les géants de l'« ultra low cost » comme Ryanair et Wizzair, qui étaient très rentables et peu endettés avant la crise. Face au choc, ils ont fortement ajusté leur taille et leur structure de coût, déjà très faible et composée majoritairement de coûts variables. Fidèle à leur ADN, par ailleurs discutable sur un plan social, ils ont procédé rapidement à de fortes suppressions d'effectifs et des baisses de rémunération pour les navigants. Il en résulte que les ultra low cost sont beaucoup moins impactés par la crise : à titre d'exemple, Ryanair a perdu « seulement » 197 millions d'euros au cours du premier semestre 2020. Le marché boursier ne s'y trompe d'ailleurs pas : la valorisation stratosphérique de Ryanair, aujourd'hui égale à 12 milliards d'euros, a retrouvé son niveau d'avant crise.

Les compagnies « middle cost » menacées

Le scénario le plus probable est que les ultra low cost vont passer à l'offensive demain, en infléchissant leur modèle : profitant de la faiblesse des acteurs historiques, ils vont renforcer leur présence sur les grandes destinations en Europe et augmenter leurs fréquences. Ainsi, à titre d'exemple, Ryanair a ouvert en pleine crise une base à Beauvais, aux portes de Paris. Paradoxalement, la crise de la Covid-19 va inciter les ultra low cost à entrer progressivement en concurrence frontale avec les opérateurs historiques sur les grandes plateformes aéroportuaires. A cet égard, la France sera une cible privilégiée, tout comme l'Allemagne, deux pays jusqu'ici plutôt «épargnés» par la déferlante de l'ultra low cost. Tout peut devenir possible, dans un délai très rapide, par exemple si un acteur venait à libérer des créneaux. Les Italiens l'ont appris à leurs dépens : Alitalia n'est plus que l'ombre d'elle-même et a laissé la place aux low cost au départ de Rome et de Milan.

Cette bataille à venir va rendre plus difficile le rebond de nombreuses autres compagnies en Europe. Les petits acteurs tout d'abord, qui n'ont pas la taille et la visibilité suffisante pour être massivement aidés, même s'ils sont parfois efficaces, risquent d'être marginalisés. De même, les grandes low cost comme Norwegian qui n'ont pas le statut d'acteurs historiques et dont le modèle n'était déjà pas viable jouent leur survie. Enfin, dans une moindre mesure, des compagnies « middle cost » comme Easyjet, qui sont pourtant rentables en temps normal, pourraient souffrir de cette nouvelle donne, dans la mesure où elles sont les premiers concurrents des grands opérateurs historiques. Leur situation se révèle d'autant plus délicate que ces derniers ont pris résolument le chemin du « middle cost », à l'image d'Air France KLM, bien décidé à faire monter en puissance sa filiale Transavia.

Autant dire que le paysage du ciel européen risque de connaître des bouleversements majeurs dans les années à venir.

* « Le transport aérien en Europe, avant et après le Covid », 2 volumes

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Commentaires 3
à écrit le 15/01/2021 à 9:39
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L'avenir du transport aérien, s'il doit y en avoir un ? interdire les compagnies "bas-prix/bas-coûts" et que les compagnies "traditionnelles" augmentent les prix des billets mais en améliorant la qualité de leur classe économique. Ainsi les prix corr...

à écrit le 12/01/2021 à 19:01
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WIZZ 120 monocouloir airbus et 150 en commande !

à écrit le 12/01/2021 à 15:13
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La question est de savoir si les allemands vont continuer de vouloir faire voler ces gros avions avec seulement quelques personnes à bord, vu le déluge d'argent public qui se déverse sur l'économie aérienne j'ai un gros doute... -_- C'est qu'au 1...

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