Une nouvelle page pour la Tech chinoise

VU DE CHINE. Les sanctions américaines contre Huawei contraignent ce dernier à s'adapter. S'orienter vers le marché domestique ou encore développer ses propres solutions technologiques : le géant chinois des télécoms, s'il veut continuer à croître et réduire sa dépendance aux technologies américaines ou étrangères, dispose de plusieurs pistes pour se réinventer.
(Crédits : Reuters)

Les sanctions américaines contre Huawei illustrent encore une fois à quel point le président Trump peut surprendre le monde entier. Interdiction d'accès aux services - dont Android - et au magasin d'applications de Google pour ses futurs appareils ; arrêt, « jusqu'à nouvel ordre », de la fourniture de puces par plusieurs fabricants de semi-conducteurs comme Intel, Qualcomm ou Broadcom ; suspension des relations avec Huawei par la firme britannique ARM, spécialisée dans les technologies de basse consommation : le groupe chinois affronte une série de blocages et se retrouve sous une pression maximale de la part des États-Unis. Créé en 1987 à Shenzhen, Huawei est perçu en Chine comme une marque nationale et représente une fierté chinoise.

Parmi les multinationales du pays, c'est celle qui est allée le plus loin dans ses ambitions internationales : en 2018, son chiffre d'affaires a atteint 105,2 milliards de dollars, dont 48 % réalisés en dehors de la Chine ; il a livré plus de 200 millions de smartphones dans le monde. Un grand nombre de Chinois sont donc agacés, voire indignés par les sanctions américaines. Sur les réseaux sociaux chinois, on ressent un fort sentiment de patriotisme. La plupart des internautes manifestent leur soutien à Huawei, et certains d'entre eux appellent à « boycotter les iPhones ». Ren Zhengfei, fondateur de Huawei, a quant à lui souligné qu'il ne faut pas inciter au sentiment nationaliste, précisant qu'il a offert des produits Apple à sa famille.

Des préjudices pour l'ensemble des acteurs

Il a également exprimé son souhait de continuer d'acheter des composants américains, si la situation évolue. En revanche, il pense que le personnel politique américain sous-estime la force de Huawei. Ce n'est pas la première fois qu'un groupe technologique chinois est ainsi mis sous pression. En 2018, Washington avait pris de lourdes sanctions contre ZTE, le concurrent chinois de Huawei.

Le président américain semble penser faire plier Huawei, mais ce dernier est beaucoup plus solide que ZTE, tant sur le plan financier que technologique. Il a un chiffre d'affaires huit fois supérieur, et investit environ 15 milliards de dollars en R & D chaque année. De plus, il a un plan de rechange, même si cela lui prendra beaucoup de temps et de ressources pour le mettre en oeuvre. La décision de Donald Trump est à double tranchant. En l'absence de solution à cette crise, la croissance de Huawei pourrait ralentir à court terme, surtout à l'international, mais Google et les autres fournisseurs américains subiraient aussi une baisse importante de leurs ventes en Chine.

Les consommateurs occidentaux perdront eux une possibilité de choisir un produit présentant un bon rapport qualité prix. L'industrie des télécommunications tout entière risque aussi d'être déstabilisée : désormais personne ne sera sûr à 100 % de pouvoir continuer à utiliser à tout moment les composants, applications ou systèmes d'exploitation américains. Huawei pourra-t-il se sortir de cette crise ? Trois scénarios sont possibles. Le groupe chinois peut encore trouver une solution avec Google et les autres fournisseurs concernés. Le fait que le gouvernement américain ait accordé un sursis de trois mois, après la première annonce, montre que les États-Unis n'avaient pas pris en compte l'impact que cela pourrait avoir sur les entreprises américaines. La Chine a en effet des arguments économiques pour contrer Trump, surtout du fait de son quasi-monopole dans les terres rares. L'affaire pourrait donc encore évoluer. Trump l'a dit lui-même, « il est possible que Huawei soit inclus dans une sorte de deal commercial » : au G20, fin juin, les deux dirigeants pourraient en parler.

Plan de rechange

Si les sanctions contre Huawei sont maintenues, le groupe pourrait activer son plan de rechange, et là aussi, il y a deux possibilités. La première serait que Huawei se concentre sur le marché domestique pour tout ce qui concerne les terminaux - essentiellement les smartphones -, et continue de développer d'autres affaires, surtout autour de la technologie 5G, où il a deux à trois ans d'avance sur la concurrence. Le blocage des services de Google et d'Android aura peu d'impact sur le marché chinois. Google y est déjà interdit et la version open source du système Android a été ajustée et utilisée sur les téléphones mobiles de Huawei. En ce qui concerne les composants, le groupe en a acheté 16 % auprès des fournisseurs américains en 2018, soit 11 sur 70 milliards de dollars. Avant cette guerre commerciale, 50 % des puces qu'il utilisait étaient d'origine américaine. Huawei pourrait donc continuer de s'approvisionner auprès des fournisseurs de puces basés en Asie ou en Europe (Infineon, STMicroelectronics...), qui n'auraient pas intérêt à suivre la décision américaine ; ou auprès de son fournisseur interne, HiSilicon, qui existe depuis 2004 et utilise à ce jour les technologies d'ARM.

À ce stade, il est encore difficile d'évaluer de l'extérieur la possibilité pour Huawei de trouver tous les remplaçants des puces américaines, ou une solution alternative à ARM ou basée sur l'ancien accord avec celle-ci. En revanche, la qualité des coeurs de processeurs et des puces radio de Huawei est au moins au même niveau, respectivement, que ceux d'Apple-Intel et de Qualcomm. La dernière possibilité serait que Huawei crée un écosystème autour de son propre système d'exploitation, Hóng Méng, qui existe depuis 2012, pour continuer de remporter des parts de marché sur les terminaux en Occident (en plus de ses autres affaires). Pour remplacer Google Play Store, Huawei pourrait utiliser son propre magasin d'applications AppGallery, qui regroupe déjà 50 millions d'utilisateurs, ou l'alternative portugaise Aptoide, avec qui il est en discussion, et qui dispose de plus d'un million d'applications hébergées, avec 250 millions d'utilisateurs.

En Chine, Android disparaîtrait probablement un jour si les autres fabricants chinois de téléphones mobiles, comme Oppo, Vivo ou Xiaomi, adoptaient le nouveau système de Huawei. À l'international, Huawei pourrait développer, seul ou avec des partenaires, des applications ou services similaires à ceux de Google, convaincre les consommateurs, voire peut-être Samsung, d'accepter ses nouveaux outils. Ce troisième scénario, le plus compliqué en raison des importants investissements et ressources nécessaires, serait le plus durable à moyen et long terme.

Dans tous les cas, les sanctions américaines ont sonné l'alarme pour les Chinois, et leur ont rappelé l'importance de réduire leur dépendance aux technologies américaines ou étrangères. « Aujourd'hui, tous nos employés sont stimulés, leur capacité de combat augmente. chaque jour. Nous sommes dans nos meilleures dispositions »,a conclu M. Ren. D'après le taoïsme, « une crise peut également devenir une opportunité ».

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Commentaire 1
à écrit le 06/06/2019 à 9:00
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ÇA ne passera jamais ce que je vais dire puisque nous sommes au sein d'une dictature mais le pire c'est que les citoyens chinois ne doivent pas être étonnés que Huawei espionnait puisque eux-mêmes copieusement et durement surveillés par leur Etat alo...

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