L'ancienne capitale de la France libérée devient celle du tourisme de mémoire lié au 6 juin 1944. « Bayeux est au Débarquement ce que Chamonix est au mont Blanc, constate le directeur de l'office de tourisme, Didier Llorca. Nous y observons deux fois plus d'arrivées d'Américains qu'à Caen, distant de 25 kilomètres. » Les rues piétonnes de cette pimpante cité de 14 000 habitants du Calvados sont déjà pavoisées aux couleurs des tommies, ces soldats anglais qui l'ont libérée le 7 juin 1944 au matin. Sans une cartouche tirée, épargnée par les bombardements au milieu d'un océan de ruines.

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Les Allemands avaient plié bagage la veille vers Caen, et ses infrastructures allaient permettre d'en faire un centre logistique et une ville-hôpital. La cité passa de 8 000 à 30 000 habitants durant l'été 1944. « L'effervescence et la joie qui y régnaient firent grincer des dents un journaliste de Libération Soir venu de Paris encore occupé », rappelle Jean-Charles Stasi, auteur passionné par le Débarquement. Son dernier ouvrage, Normandie 44 - Ils l'ont fait : quarante vétérans racontent (Orep), souligne la spécificité de ce 80e anniversaire : la présence des derniers survivants. « J'ai connu les précédentes commémorations et je n'avais pas ressenti un tel engouement jusqu'à cette édition 2024 », affirme ce Bayeusain qui officie également comme guide. « Le contexte de la guerre en Ukraine renforce l'intérêt pour ce conflit où les Alliés parvinrent ensemble à la victoire. »

5,5 millions de visiteurs par an

Bayeux a conservé ses vieilles maisons à pans de bois et ses hôtels particuliers des XVIIe et XVIIIe siècles au pied desquels il fait bon flâner au fil de la rivière Aure. Son trésor est exposé dans l'ancien séminaire : la célèbre tapisserie à la gloire de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie qui devint roi d'Angleterre après la bataille d'Hastings, en 1066. Brodée au XIe siècle, elle déroule son épopée sur 70 mètres de long.

Telle une bande dessinée médiévale en figurines Pixi, cette mise en scène renouvelle le plaisir de la découverte de la tapisserie de Bayeux.© LTD / Gregory Wait/OT Bayeux Intercom

Après avoir fait la queue entre un couple de Néerlandais et une famille venue de Londres - il n'y a pas de système de réservation -, on chemine tous au même rythme autour de cette bande dessinée médiévale, captivés par chaque détail expliqué par l'audioguide, de rigueur. À l'étage, une toute nouvelle exposition reconstitue la tapisserie en 3D avec 700 petits personnages Pixi [figurines de plomb], une marque de figurines implantée près de Bayeux. « Notre mise en scène permet de redécouvrir l'œuvre, indique le fondateur de Pixi, Philippe-Antoine Guénard. J'ai un coup de cœur pour un guetteur perché sur un arbre et le groupe qui montre la comète de Halley. »

Ce musée un peu vieillot va être agrandi, fermé de septembre 2025 à 2027. La toile brodée avait pour écrin original la belle cathédrale, reconstruite en 1077 par l'évêque Odon de Conteville, demi-frère de Guillaume le Conquérant : une fois l'an, l'immense broderie y était étendue dans la nef. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle fut cachée au château de Sourches, dans la Sarthe, puis au Louvre. Hitler voulait la récupérer, dans sa recherche sordide de traces d'une race aryenne. Mais, miraculée elle aussi, la tapisserie fut rapatriée en 1945 à Bayeux.

Une carte IGN « Normandie jour J » réactualisée

De quoi ancrer la devise gravée en latin sur le fronton face au plus grand cimetière britannique de la Seconde Guerre mondiale en France : « Nous, autrefois vaincus par Guillaume, avons maintenant libéré la patrie du vainqueur. » Ce sanctuaire longe le By-Pass, premier périphérique de l'Hexagone, construit pour contourner la ville aux rues trop sinueuses pour les chars gagnant le front depuis Arromanches.

© LTD / Gregory Wait/OT Bayeux Intercom

Le visiteur l'emprunte à son tour afin de rejoindre les plages du Débarquement, à une dizaine de kilomètres. Pour l'aider à mieux se repérer, une carte IGN « Normandie jour J » vient d'être réactualisée. La partie « musées » se révèle en perpétuel mouvement, entre créations et agrandissements devant l'enjeu économique que représente ce tourisme de mémoire : les sites de la bataille de Normandie accueillent 5,5 millions de visiteurs par an, deux fois plus qu'il y a vingt ans. Ainsi, un projet de parc « D-Day Land » près de Caen fait actuellement polémique. À Bayeux, où Airbnb gagne du terrain, dîner sans réserver devient mission impossible. Une affluence qui émerge comme le nouveau défi à relever pour ce littoral où se joua notre liberté...