Cannes 2024 en cinq scénarios

Grandes déceptions et belles réussites, audaces, provocations, films d’auteur inspirés… Le Festival a présenté un tableau très contrasté du cinéma en 2024.
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof (au centre), tenant le portrait de l’actrice iranienne Missagh Zareh, entouré de l’équipe de tournage de son film.
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof (au centre), tenant le portrait de l’actrice iranienne Missagh Zareh, entouré de l’équipe de tournage de son film. (Crédits : © LTD / Sameer Al-Doumy / AFP)

Les graines de la révolte

C'est peu dire que le nouveau long-métrage de l'Iranien Mohammad Rasoulof, Les Graines du figuier sauvage, était attendu. Le réalisateur, ayant tout juste décidé de fuir son pays, était donc à Cannes pour le présenter en compétition. On comprend pourquoi l'auteur du film Le diable n'existe pas ne pouvait plus rester en Iran sans risquer sa vie : puissant et hautement politique, ce nouvel opus tourné sans autorisation s'attaque frontalement au régime des mollahs, utilisant les vidéos sauvages publiées sur les réseaux sociaux lors des derniers soulèvements dans le pays - notamment ceux des femmes, particulièrement ciblées par le régime. Dans son film, Rasoulof explore les conséquences de ce climat politique sur l'intimité d'une famille bourgeoise de Téhéran : le père, Iman, promu enquêteur au tribunal révolutionnaire, sa femme et leurs deux filles, révoltées par la violente répression. À mesure que le père s'enfonce dans la paranoïa et que ses filles se rebellent, le poison se distille dans la famille et l'histoire prend des airs de thriller palpitant. L'œuvre témoigne surtout de l'espoir immense que le cinéaste place dans la jeunesse de son pays, déterminée à arracher sa liberté.

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Les accents européens

Dans le tour du monde sur grand écran effectué par les festivaliers, les réalisateurs européens ont fait preuve d'une indéniable vitalité. Si le Suédois Magnus von Horn et sa Jeune Femme à l'aiguille, film sur une tueuse en série de nourrissons, ont plus choqué que séduit, la Britannique Andrea Arnold a presque fait l'unanimité avec Bird, le portrait ultrasensible d'une jeune fille en galère condamnée à réparer les errances des adultes et de ses parents. L'iconoclaste cinéaste roumain Emanuel Parvu a proposé avec Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde une œuvre d'une grande intensité, tableau sans concession d'une société carcan intolérante et rustre. Le Grec Yorgos Lanthimos, passé maître dans la provocation depuis ses débuts, demeure fidèle à sa réputation avec Kinds of Kindness mais échoue à accompagner cette surenchère d'un réel message. Côté russe, l'exilé Kirill Serebrennikov et son Limonov n'ont hélas pas vraiment convaincu, contrairement au Portugais Miguel Gomes, qui livre avec Grand Tour un savoureux tableau de la lâcheté masculine.

Nos oncles d'Amérique

Thierry Frémaux l'avait dit, le cinéma américain est de retour à Cannes. Si l'on excepte Megalopolis, le trop décevant film de Francis Ford Coppola, les autres propositions venues d'outre-Atlantique ne manquaient ni d'intérêt ni de sensibilité. Y compris celles de la « vieille garde » incarnée par le scénariste de Taxi Driver, Paul Schrader, dont le Oh, Canada montre un Richard Gere superbement crépusculaire, ou bien encore par Kevin Costner et le premier volet de sa grande saga sur l'expansion de l'Ouest américain, Horizon. Du côté de la relève, le huitième film de Sean Baker, Anora, mêle avec subtilité et rythme l'oligarchie russe, le milieu de la nuit américain, une bande de bras cassés façon frères Coen et le portrait d'une jeune escort que certains voient comme une « Pretty Woman » de notre temps (formidable Mikey Madison qui aurait pu rafler le prix d'interprétation féminine). Le cinéaste d'origine iranienne Ali Abbasi, avec The Apprentice, évoque quant à lui l'ascension financière d'un Donald Trump sans foi ni loi, apprenti zélé de l'avocat Roy Cohn magistralement interprété par Jeremy Strong, vu dans la série Succession.

Habitués de Cannes, Leos Carax et Arnaud Desplechin ont offert deux belles déclarations d'amour au cinéma

La touche française

De l'avis même des nombreux journalistes étrangers présents à Cannes, le cinéma d'auteur français a su tenir son rang, avec des œuvres atypiques. Pour preuve, le film de Christophe Honoré Marcello mio (déjà en salles) où le fantôme de Mastroianni s'incarne dans sa fille Chiara à travers un lumineux exercice de mélancolie familiale et cinéphilique. Le beau documentaire de Yolande Zauberman La Belle de Gaza impose aussi sa singularité à travers de bouleversants portraits de transsexuelles entre deux cultures et deux genres (sortie le 29 mai). Les frères Larrieu, avec Le Roman de Jim, nous servent un magnifique propos sur la paternité, sensiblement incarné par l'excellent Karim Leklou. Quant aux habitués de Cannes que sont Leos Carax avec C'est pas moi (sortie le 12 juin) et Arnaud Desplechin avec Spectateurs ! ils ont offert deux belles déclarations d'amour au cinéma.

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L'obsession des corps

Les cinéastes n'en ont toujours pas fini avec nos enveloppes charnelles, surtout celle des femmes. La Française Coralie Fargeat a proposé avec The Substance - variation sur la dictature de la beauté et de la jeunesse où Demi Moore se dédouble pour récupérer à tout prix son pouvoir de séduction - un film de body horror extrême qui a rebuté ou galvanisé la salle. Yorgos Lanthimos a imposé à ses personnages des preuves d'amour sous la forme de mutilations sanglantes. Parthenope nous a montré un Paolo Sorrentino obnubilé par la beauté de son actrice, attendant qu'on l'aime pour autre chose que sa plastique parfaite, et Les Linceuls, de David Cronenberg, un Vincent Cassel hanté par le souvenir du corps de sa femme défunte au point de l'observer dans sa tombe... Enfin, Diamant brut, d'Agathe Riedinger, a suivi de très près la silhouette de bimbo délurée de son héroïne fan de téléréalité alors que Karim Aïnouz, dans Motel Destino, a scruté la libération sensuelle du Brésil post-Bolsonaro dans un motel de passe.

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Commentaire 1
à écrit le 26/05/2024 à 9:43
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La profession a intérêt à un nettoyage en profondeur si elle ne veut pas disparaitre comem elle est en train de le faire. Puis encore des histoires de harcèlements et viols choquantes qui sont sorties durant cette cérémonie.

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