Au ras de l'eau, une péniche attend sagement son chargement au pied d'un monumental porte-conteneurs où reposent vingt-mille « boîtes ». Cette image, véritable concentré de la mondialisation, est monnaie courante dans les ports d'Anvers et de Rotterdam acculturés depuis longtemps à la navigation fluviale. Elle reste l'exception au Havre où seuls quelques automoteurs carrossés pour la houle sont autorisés à accéder aux quais du port en eaux profondes, celui où escalent les mastodontes de 400 mètres de long en provenance d'Asie ou des Etats-Unis. Ici, on ne passe pas de l'un à l'autre. Les conteneurs doivent embarquer sur des camions ou des trains avant d'être livrés sur des péniches « classiques » au prix d'un allongement des délais et de coûteuses ruptures de charge.
Une desserte fluviale directe avait bien été envisagée dès 1997 lors du débat public sur la construction de Port 2000 avant que l'Etat ne renonce à l'idée. Trop chère, trop compliquée. Un quart de siècle plus tard, le serpent de mer donne à nouveau signe de vie après que la Région a décidé de le remettre à flot. Une enquête publique sera lancée cet automne en vue de la construction d'une digue protectrice de deux kilomètres qui permettra de ménager un chenal jusqu'aux quais accessibles aux convois fluviaux quelles que soient les conditions de vent, de houle ou de marée. Coût de l'opération ? 125 millions d'euros financés pour les deux tiers par le Conseil régional et pour 20% par l'UE via le mécanisme d'interconnexion européen (MIE).
Le trafic fluvial, maillon faible
Si les calculs des autorités portuaires sont exacts, cet accès direct laisse espérer une baisse d'environ cinquante euros du prix d'acheminement d'un conteneur par barge en comparaison du tarif proposé sur le terminal multimodal. Objectif : inciter les chargeurs à recourir davantage au mode fluvial dont la part atteint péniblement 10% au Havre contre 35% à Anvers ou Rotterdam. D'ici à 2030, le port table ainsi sur un quasi doublement du trafic sur le fleuve. De quoi délester l'autoroute A13 de quelque 12.000 poids-lourds par an, chiffre Dominique Ritz, directeur des opérations chez Voies Navigables de France.
« Un convoi fluvial transporte jusqu'à cinq mille tonnes de marchandises ce qui représente l'équivalent d'une file de camions de quinze kilomètres » rappelle t-il.
Programmée en 2024, la mise en service de la chatière intéresse tout particulièrement le « ventre » de la capitale : premier bassin de consommation de l'Hexagone, où des milliers de tonnes de denrées sont acheminées quotidiennement par la route depuis Le Havre. Pour le directeur de Ports de Paris, une partie de ces marchandises pourraient avantageusement transiter par la Seine.
« L'Île-de-France a la chance de disposer d'un important réseau de ports intérieurs. C'est depuis ces terminaux fluviaux que l'on pourra mieux organiser la logistique du dernier kilomètre » avance Antoine Berbain.
L'intéressé cite en exemple le groupe Franprix qui livre, chaque jour, ses cent magasins parisiens depuis le port de Limay dans les Yvelines.
Un peu plus en amont, le port de Gennevilliers se prépare d'ailleurs déjà à cette augmentation espérée du nombre de barges en construisant un second entrepôt à étages très capacitaire.
Reste à voir si le projet havrais tiendra toutes ses promesses. Pour que le trafic fluvial atteigne les niveaux espérés par les autorités portuaires de l'axe Seine (un demi million de conteneurs par an en 2050), il faudra en effet que le port normand regagne des parts de marché sur ses rivaux d'Europe du Nord, ce qui n'est pas gagné d'avance malgré la mise en service prochaine de deux nouveaux terminaux dédiés aux géants des mers.
« Les objectifs de volumes de conteneurs visés à la création de Port 2000 n'ont jamais été atteints » relève ainsi Marianne Azario, garante de la Commission Nationale du débat public, dans un rapport consacrée à la chatière. Façon de rappeler qu'il ne suffira pas de relier la Seine à la mer pour assurer des lendemains chantants à la péniche.
Encadré
Ports de la Seine : qui tiendra le gouvernail ?
Le futur établissement public Haropa qui fusionnera les ports de Paris, de Rouen et du Havre naît dans la douleur. A deux mois de l'échéance, la composition de ses organes de gouvernance suscite une bronca dans les états-majors des Régions Île-de-France et Normandie ainsi qu'au sein des entreprises portuaires. Valérie Pécresse, Hervé Morin et Christian Boulocher, président de la fédération Seine Port Union qui coalise les opérateurs privés, viennent d'écrire à six mains au Conseil d'Etat pour l'inviter à revoir la composition du Conseil de surveillance telle qu'elle est proposée par le gouvernement.
Les Régions, qui disposent d'un siège chacune (sur 17) à l'égal des trois agglomérations, estiment être lésées. « Il n'est pas compréhensible qu'elles aient un poids plus faible alors que leur apport financier aux ports est deux fois supérieur » fulmine Hervé Morin.
Même tonalité chez Seine Port Union qui réclame « un siège de droit » parmi les quatre pour l'instant promis aux entreprises. « Ne pas le faire serait une incompréhension totale », prévient Christian Boulocher. Ils ne sont pas les seuls à être mécontents. Le courrier est cosigné des deux présidents de CESER qui, eux, veulent être représentés au sein du Conseil d'orientation. La balle est maintenant dans le camp du Conseil d'Etat qui doit se prononcer avant le 1er juin, date de la fusion.
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