Fret ferroviaire : les ports de la Seine capables de rattraper les géants européens ?

Pour espérer reprendre des parts de marché à aux grands ports du nord de l'Europe, la jeune alliance des ports de la Seine doit, comme ses rivaux, pousser les feux sur le fret ferroviaire. Mais le retard sera difficile à combler, même si la mise à feu, dans quelques jours, d’un itinéraire alternatif entre Paris et Le Havre autorise à être (un peu) optimiste. L’enjeu est aussi autant écologique qu’économique.
Sorte de gare de triage, le terminal multimodal du Havre monte en puissance mais il n'atteint pas encore les objectifs escomptés. Il transborde sur des trains ou des péniches 120.000 conteneurs par an pour un demi million espéré à sa construction.
Sorte de gare de triage, le terminal multimodal du Havre monte en puissance mais il n'atteint pas encore les objectifs escomptés. Il transborde sur des trains ou des péniches 120.000 conteneurs par an pour un demi million espéré à sa construction. (Crédits : Haropa)

Avant ou après qu'elles aient voyagé sur la mer, il faut bien transporter les marchandises d'un point A à un point B. Ce que, dans la langue des professionnels de la profession, on appelle : le « pré et le post-acheminement ». Et c'est bien là que le bât blesse, dans un pays où le tropisme pour le camion empêche de massifier. De fait, les chiffres sont cruels. En 2020, 86% du fret à destination ou en provenance du port du Havre a ainsi transité à dos de poids-lourds contre seulement 57% à Anvers et 51% à Rotterdam.

La faible part modale du rail est en grande partie responsable de cet écart qui leste la compétitivité des grands ports de la Seine. Depuis deux décennies, celle-ci plafonne désespérément en dessous de 5% au Havre, quand elle ne régresse pas comme ce fut le cas cette année. Un score de nain. En cause notamment, la saturation de la ligne historique qui relie la place portuaire normande à la capitale : un point de passage obligé pour 80% des trains de conteneurs qui quittent l'estuaire ou y arrivent.

Et à la fin, c'est toujours le voyageur qui gagne

Tous les chargeurs le constatent : les convois de marchandises ont les plus grandes difficultés à se frayer un chemin entre les 1.500 Intercités, TER et Transiliens qui circulent chaque jour sur cette liaison, parmi les plus fréquentées de France.
Comme si cela ne suffisait pas, les importants travaux menés sur les voies - le chantier d'Eole en particulier - aggravent le cas du fret. Entre le voyageur et le conteneur, l'arbitrage se fait rarement en faveur du second lorsqu'il s'agit d'attribuer des sillons, autrement dit des créneaux de circulation.

« Comme les marchandises ne votent pas, on a tendance à sacrifier le fret sur l'autel du transport de passagers » déplore Stéphane Raison, futur patron de l'ensemble portuaire de la vallée de Seine. Lionel Le Maire, directeur logistique du groupe Soufflet, premier exportateur privé de céréales, est bien placé pour le savoir : « 15% des trains que nous programmons au départ de nos silos rouennais chaque année ne partent pas » peste t-il.

Quelques raisons d'espérer

Autant dire que la mise en service d'un nouvel itinéraire de délestage entre Le Havre et le Nord de l'Île-de-France (via Serqueux et Gisors dans l'Eure) est attendue de pied ferme. Au prix de près 300 millions d'euros d'investissement public, la ligne désormais électrifiée de bout en bout est enfin prête à accueillir ses premiers trains. A compter du 12 mars, vingt-cinq convois, soit l'équivalent d'un millier de poids-lourds et d'autant de tonnes de CO2, pourront circuler quotidiennement sur cet axe.

 Une bonne nouvelle pour Samy Fouadh, directeur général de CMA CGM France. « Nous réalisons déjà 15 départs hebdomadaires sur l'axe Seine et nous avons l'ambition de faire plus. On a donc besoin de fréquences supplémentaires » souligne t-il. De son côté, la compagnie cheminote l'assure, elle sera au rendez-vous. « Nous proposerons des sillons de meilleure qualité et à de meilleurs horaires. De plus, nous avons mis en place une approche très orientée client, ce qui assez nouveau pour SNCF Réseau » vante Isabelle Delon, directrice clients & services de la branche infrastructures.

Le camion, plus rare et plus cher

Les mesures incitatives décidées ces derniers mois par le gouvernement en faveur du rail (baisse du prix des péages ferroviaires, subvention au transport combiné, investissements massifs en vallée de Seine...) laissent aussi espérer un rebond du trafic même si certains attendent de voir pour croire. « C'est le énième plan depuis une vingtaine d'années. Ses objectifs sont ambitieux et nous les saluons. Il faut maintenant les matérialiser » prévient un représentant de l'AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret).

D'autres facteurs pourrait inciter les chargeurs à préférer le train : le déploiement de stratégies RSE plus étayées mais surtout le renchérissement et le rétrécissement de l'offre routière qui permet au rail de regagner de la compétitivité. « Même si la situation s'est détendue depuis la crise, le transport routier arrive en limite de production, en raison d'un manque de main d'œuvre qualifiée » constate Christian Boulocher, président de Seine Port Union qui coalise les unions portuaires du Havre, de Rouen et de Paris.

La route est droite mais la pente est rude

Ces trois éléments combinés suffiront-ils à assurer des lendemains chantants au fret ferroviaire ? Difficile d'en jurer. De fait, plusieurs (gros) obstacles se dressent encore sur la voie. La question clef des petites lignes capillaires, celles qui relient les usines ou les entrepôts de vrac aux grands axes, est loin d'être réglée. En piteux état pour beaucoup d'entre elles, elles nécessitent d'importants travaux que les entreprises peinent à assumer. « Le coût de la régénération de ces voies a été multiplié par trois voire par cinq » note ainsi le logisticien en chef du groupe Soufflet.

Parmi les autres freins, la congestion de l'Île-de-France n'est pas le moindre. Un contournement est à l'étude mais il ne verra pas le jour avant plusieurs années. Résultat, cela embouteille sur le rail. « C'est un combat quotidien pour conserver les créneaux de circulation dans la petite couronne parisienne » fait-on observer à l'AUTF.  La massification passera aussi par l'aménagement de nouvelles zones de transit. « En région parisienne, il n'existe que quatre plateformes ferroviaires à capacité limitée » rappelle Stéphane Raison.

En d'autres termes, il faudra encore produire beaucoup d'efforts avant d'espérer que le train dame le pion au tout camion. L'enjeu n'est pas mince pour le futur Haropa. Si l'ensemble portuaire tient ses promesses d'augmentation de trafic, il faudra évacuer de plus en plus de conteneurs de préférence efficacement. Comme le résume le président de Seine Port Union : « On peut être très bon jusqu'au port, si on n'est pas bon jusqu'aux clients, cela ne sert à rien ». Une autre façon de rappeler que la bataille se gagnera aussi à terre.

Lire aussi : Le prix du fret maritime s'enflamme et menace la reprise en Europe

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Commentaires 8
à écrit le 19/02/2021 à 16:33
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Vers les années 1989, j'avais rédigé un petit rapport d'analyse-prospective pour la délegation Nord-Est de la branche fret de la SNCF (à Metz, pour être + précis). Je leur avais fait remarquer que les volumes massifs sont du passé et que l'avenir c'e...

à écrit le 19/02/2021 à 12:36
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Pour info, Hervé Morin justifie le contournement routier de Rouen par la nécessité de fluidifer les accès au port : si on investit dans le rail mais qu'on continue d'élargir les routes, ça va être compliqué de faire remonter les parts de marché du pr...

à écrit le 19/02/2021 à 3:34
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Etre optimiste c'est bien, etre realiste c'est mieux. En France la methode utilisee est toujours la meme depuis un siecle. Elle se nomme Coue, comme le docteur.

à écrit le 18/02/2021 à 17:20
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Paris Seine Rouen Havre, c'est vrai qu'avec les nombreux blocages opérés pas les syndicats, que finalement ce projet aboutisse tient vraiment du miracle ! D'ailleurs tous les ports français ont subi des chantages des syndicats dès lors que le mot mo...

à écrit le 18/02/2021 à 16:11
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Regardez Google Map et considérez le fantastique réseau de canaux et de rivières derrière Anvers et Rotterdam : ça doit bien aider les deux plus grands ports européens. Le canal Seine-Nord, ce n'est éventuellement pas du luxe.

à écrit le 18/02/2021 à 15:50
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Le prix à payer pour les investissements pharaoniques des LGV pdt des décennies qui ont plombé la dette de la SNCF, lui interdisant des investissements tt aussi vitaux ds le fret ferroviaire, voire pire jusqu'à sabrer ds ses budgets de maintenance.

le 18/02/2021 à 16:17
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Sans oublier les grèves à répétition des cheminots cgt qui ont sapé la confiance des donneurs d'ordre....

le 18/02/2021 à 16:49
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@Fred06 & Flover Tout est dit. Tous les maux de la France réunis : une direction politique plutot que pragmatique, conjuguée à une opération chaotique (grèves, attitude face au client et à la qualité du service). Et désormais le dernier round à veni...

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