Le CLT, pour Cross Laminated Timber, c'est une variante du bois lamellé croisé. Composé de lamelles de bois rabotées dont l'orientation du fil est croisée d'une couche (jusqu'à 11) à l'autre pour améliorer la stabilité dimensionnelle de panneaux, il est devenu un élément indispensable de la construction bois. « Pas seulement pour les maisons individuelles. On l'utilise pour la structure de bâtiments collectifs ou d'immeubles de bureaux », précise Jean Piveteau, président de Piveteaubois, spécialiste du lamellé collé qui, dès 2018, a investi 60 millions d'euros dans une unité de fabrication de CLT, en Vendée, capable de produire jusqu'à 50.000 m3 par an. «Nous sommes les seuls fabricants de CLT en France. Alors, évidemment, nous sommes très courtisés par le BTP et les promoteurs immobiliers en quête de neutralité carbone», reconnait le dirigeant.
En France, on consomme en moyenne 100.000 m3 de CLT chaque année, dont la moitié est importée. Chez Piveteau, spécialiste du résineux, le bois est lui 100% français. Les sources d'approvisionnements se situent dans un grand quart Nord-Ouest de la France ; Rouen, Paris, Bourges, Limoges, Bordeaux, dont 25% des Pays de la Loire. Généralement à moins de 350 km d'une scierie.
Des enjeux sociétaux forts
C'est cette origine, et ce savoir-faire, que Bouygues Bâtiment France Europe (chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros, 10.000 collaborateurs dans 10 pays, 600 chantiers en cours), filiale de Bouygues Construction, est venu chercher en mai dernier avec la signature d'un contrat cadre de deux ans et demi. Pour le constructeur qui s'engage à utiliser 30% de bois français dès 2021, et 50% à l'horizon 2025, il s'agit de sécuriser ses approvisionnements sur un marché qui décolle.
Et pour cause, l'entrée en application de la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020), le 1er janvier dernier, pour répondre aux enjeux climatiques, impose de diminuer significativement les émissions de carbone des bâtiments, principale source d'émission de gaz à effet de serre. Et donc de faire rentrer le bois dans la construction pour y remédier. « Au-delà des contraintes réglementaires, les constructeurs font aussi face à des enjeux sociétaux presque plus importants où les salariés et les nouvelles générations sont devenus très attentifs aux actions environnementales des entreprises », observe Jean Piveteau, chez qui cette prise de conscience ne date pas d'hier. « Chez Piveteau, on a toujours été convaincu que le bois sauverait la planète. C'est presque une religion ! », sourit-il, ajoutant : « Alors, on a anticipé... »
Investir et innover
Quand, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, de nombreux Vendéens choisissent de se lancer dans le meuble, le textile ou la chaussure, Pierre Piveteau oriente sa menuiserie vers les charpentes et « scie pour les gens du meuble ». « On a toujours eu une appétence pour les produits finis, transformés, secs, rabotés, le travail bien fait et l'innovation », se souvient le fils, Jean, aujourd'hui à la tête de l'entreprise avec ses frères et sœur. A partir des années 1990, l'entreprise familiale en quête de valeur ajoutée s'oriente vers le lamellé collé pour sortir de la simple commercialisation de planches brutes. L'innovation et les investissements seront permanents. Jusqu'à mettre en œuvre des scanners à rayons X pour mieux analyser et qualifier la matière. Dès le parc à grumes, chaque arbre est ausculté en profondeur pour déterminer sa destination.
Résolument tournée vers le résineux et la construction, l'entreprise acquiert un vrai savoir-faire. Avec 1 million de mètres cube de bois transformés par an, elle devient leader français des composants pour la construction (bardage et terrasses, lamellé collé et CLT) et produit, depuis 2006, 425.000 tonnes de granulés par an pour le secteur du bois énergie. Il y a quatre ans, Piveteau investissait dans un bureau d'études pour être capable de livrer un bâtiment en kit prêt à poser. « A partir de là , on a intéressé les constructeurs bois et les entreprises générales du BTP », explique le président de Piveteau dont le chiffre d'affaires est passé, en vingt ans de 50 à 300 millions d'euros. « Avec une vraie accélération depuis dix ans, portée par les choix gouvernementaux», observe-t-il.
La crainte de l'achat du bois européen par les Chinois
L'entreprise qui s'appuie aujourd'hui sur trois sites de production - Piveteaubois aux Essart-en Boccage (Vendée), Fargesbois à Egletons (Corrèze) et SylvaDrewno en Pologne - s'apprête à construire une nouvelle unité de CLT en Corrèze. Objectif : doubler ses capacités production d'ici deux ans. Ce programme, équivalent à ce qui a été fait en Vendée, doit l'aider à prendre des parts de marché aux importations, orchestrées par les scieurs allemands et autrichiens.
Déjà, le contrat signé avec Bouygues Bâtiment France Europe doit lui permettre de sécuriser 15% de sa production. « Ce contrat nous donne de la visibilité », dit-il. Surtout, il doit permettre d'amener plus vite l'usine, qui tourne actuellement à 60% à 70%, à 100% de ses capacités. Le contexte fait que l'on va avoir besoin de bois. « On ne scie que 70% des plantations de résineux qui ont largement de quoi être renouvelées au cours des 20 ou 30 prochaines années. La plantation n'est pas un problème, de grands groupes investissent beaucoup pour multiplier les plantations et s'acheter des bilans carbones. Ce qui bloque en France, c'est le manque de scieries et d'équipements industriels. L'Etat en a d'ailleurs pris conscience et a décidé de lancer des appels d'offres pour construire des usines », se félicite Jean Piveteau, qui s'inquiète plutôt de l'arrivée d'acheteurs chinois sur le sol européen, suite à la décision des Russes de restreindre leurs exportations de 30% pour privilégier leur marché intérieur. Résultat, les acheteurs chinois jettent leur dévolu sur le bois européen. Un phénomène que les scieurs français souhaitent endiguer en mobilisant le gouvernement et l'Union européenne, via une pétition signée aussi par les scieurs allemands et polonais.
____
Lire aussi les autres articles de la série :
1/4 En Pays de la Loire, la filière bois prépare son entrée dans l'industrie 4.0
2/4 La start-up nantaise Neosylva au chevet des arbres et des patrimoines des forestiers
4/4 En Pays de la Loire, le chauffage au bois représente une alternative prometteuse
Sujets les + commentés