Propulsion vélique : pourquoi la startup nantaise Airseas pourrait mettre les voiles et quitter la France

Alors que s’ouvre la 18e édition des Assises de l’économie de la mer, à Nantes (Loire-Atlantique) ce mardi, le sujet de la décarbonation du transport maritime revient sur le devant de la scène. Parmi les acteurs présents à l’événement, figure la startup locale Airseas. Cette dernière a développé un système de propulsion à voile pour cargos. Après des essais en mer réussis, la société navigue toutefois en eaux troubles. Explications.
Le dispositif de déploiement de l’aile de kite développée par la start-up nantaise Airseas était en test depuis 18 mois sur le navire roulier « Ville de Bordeaux ».
Le dispositif de déploiement de l’aile de kite développée par la start-up nantaise Airseas était en test depuis 18 mois sur le navire roulier « Ville de Bordeaux ». (Crédits : ©PolaRYSE)

 « La flotte mondiale se compose de 20.000 navires de plus de 50.000 tonnes. Neuf produits sur dix transitent par les mers. Le transport maritime est aujourd'hui responsable de 3% des émissions de gaz à effet de serre. Un chiffre qui pourrait atteindre les 17% en 2050 si aucune solution n'est mise en place. Il y a donc une urgence à agir ! Or, la seule association des énergies renouvelables aux fuels alternatifs ne permettra pas d'atteindre les objectifs fixés (1). La propulsion par le vent est le plus gros levier qui existe », est d'avis Vincent Bernatets, cofondateur et président d'Airseas. Cette dernière est une entreprise tech et industrielle nantaise appliquant l'ingénierie aéronautique à l'industrie navale. Objectif, développer des solutions de propulsion vélique, afin de décarboner le transport maritime.

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Après sept ans de développement, 40 millions d'euros d'investissements, 15 millions d'euros d'aides publiques (2) et le dépôt de 9 brevets, cette startup a développé une aile de kite géante. Celle-ci est capable de tracter de très gros navires de commerce - de plus de 50.000 tonnes ou de plus de 250 mètres de long -, en étant accrochée à la proue du cargo au bout d'un mât télescopique de 35 mètres de haut, lui permettant de se déployer. Son système appelé Seawing (pour un coût compris entre 5 et 8 millions d'euros), inclut aussi une vaste cuve de stockage et peut être fixé sur le pont du navire en moins de 24 heures. « Très compact », il a l'avantage de s'adapter à tous les navires (vraquiers, tankers, porte-conteneurs,...), vante Vincent Bernatets.

Des essais grandeur nature concluants

En septembre dernier, Airseas a franchi une nouvelle étape majeure : elle a finalisé sa campagne de tests en mer, après 18 mois d'essais sur le navire roulier Ville de Bordeaux exploité par LD Seaplane (Louis Dreyfus Armateurs), sur les trajets commerciaux transatlantiques.

L'objectif était de « démontrer que le système totalement automatisé était opérationnel en mer, dans des conditions très contraignantes (air salin, ultraviolets...) ».

Ces tests ont ainsi permis de valider des jalons techniques clés, notamment le vol dynamique (le mouvement de l'aile en forme de 8 qui déploie sa puissance, puisqu'en accélérant la vitesse du kite par deux, elle est multipliée par quatre) et surtout, l'automatisation de la séquence de vol, après la validation de l'automatisation du décollage, du vol au zénith, et de l'atterrissage.

La voile de 25 à 30 mètres d'envergure est allée chercher un vent d'altitude à 300 mètres de haut (40% à 50% plus fort qu'au niveau de la mer) permettant la traction du navire avec. A la clé ? des économies de fuel et d'émissions associées de 16%, tout de même. Des résultats qualifiés de « satisfaisants » par Vincent Bernatets, en sachant que la feuille de route d'Airseas vise à réaliser des économies moyennes de 20%.

Pour franchir cette prochaine étape (en sachant que l'économie réalisée peut monter au-delà d'après l'entreprise, ndlr), Airseas va, à présent, s'attacher à améliorer encore les performances de sa technologie. Les prochaines étapes du développement du Seawing se concentreront ainsi sur l'obtention de la pleine performance de l'aile, avec des essais en conditions réelles au sein de son nouveau centre de test et R&D à Dakhla, au Maroc, qui est en cours de finalisation (3).

Un chantier chiffré à « quelques millions d'euros ». Le site, qui ouvrira en janvier 2024, comprendra une base de génie civile avec un atelier de 2.000 m², où 20 à 30 ingénieurs et techniciens travailleront en permanence. L'étape d'après consistera à réaliser des essais en mer sur un navire appartenant à l'armateur japonais "K" Line, qui pourraient intervenir fin 2024/début 2025.

Une situation « critique »

Dans les faits, Airseas avait aussi prévu la construction de deux usines en région nantaise - avec 1.000 emplois à la clé. Objectif, concrétiser, dès l'année prochaine, la phase d'industrialisation et développer la capacité industrielle en France grâce à une dizaine d'unités de production. Mais rien n'est moins sûr aujourd'hui.

« Notre trésorerie va nous permettre de tenir jusqu'à la fin de l'année, ce qui met en danger notre capacité à poursuivre le développement », pointe-t-on.

Pour y remédier, une levée de fonds est en cours afin de dénicher plusieurs dizaines de millions d'euros d'ici à décembre prochain. Pour l'heure, seuls des investisseurs étrangers se seraient fait connaître. Pourtant, Airseas est à la recherche d'investisseurs privés français, et ce, en vue de poursuivre ses projets dans l'Hexagone. La situation est donc « critique », estime Vincent Bernatets. Deux scénarios pourraient se dessiner : « Soit l'entreprise arrêtera ses activités, soit elle partira à l'étranger. »

Située dans le quartier portuaire de Chantenay à Nantes, la société Airseas fondée en 2016 par d'anciens ingénieurs aéronautiques d'Airbus emploie aujourd'hui 140 personnes. Elle a réalisé 5 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022. A horizon huit ans, son ambition est de livrer 250 équipements par an et d'atteindre 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires. A terme, elle souhaite équiper 15% des flottes de cargos existants.

(1) En juillet 2023, l'Organisation Maritime Internationale (OMI) a adopté une stratégie révisée pour réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports maritimes internationaux d'ici à 2050.

(2)  Le projet Seawing a bénéficié de financements de l'Ademe, des régions Pays de la Loire et Occitanie, et a été lauréat de France Relance et de l'appel à financement Blue Economy Window de l'Union européenne. Airseas est également soutenue par son partenaire Airbus, actionnaire à hauteur de 13%.

(3) La plate-forme d'essais, initialement prévue à Machecoul (Loire-Atlantique), n'avait pas pu voir le jour. Combattu par la Ligue de protection des oiseaux (LPO), des riverains, le syndicat de la baie de Bourgneuf, Natura 2000 ou la commission locale de l'eau, notamment, le projet avait finalement été abandonné par l'entreprise Airseas.

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Commentaire 1
à écrit le 28/11/2023 à 11:13
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"La flotte mondiale se compose de 20.000 navires de plus de 50.000 tonnes." Ce qui nous fait un milliard de tonnes de marchandises sur nos océans. J'aime les mathématiques quand elles sont simples et tellement parlantes comme ça. Heu... c'est peut-êt...

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