Nice en première ligne face au changement climatique

Confrontée à un nombre record de catastrophes naturelles ces dernières années, la ville est forcée de s’adapter.
Le 3 mars dernier, des pluies diluviennes provoquent des éboulements.
Le 3 mars dernier, des pluies diluviennes provoquent des éboulements. (Crédits : © LTD / Eliot Blondet/ABACAPRESS.COM)

Nous sommes le samedi 9 mars. Nice et tout le département des Alpes-Maritimes sont de nouveau placés en vigilance orange, pluie et inondation. L'équivalent d'un mois de précipitation est attendu en quelques heures sur la Côte d'Azur. Les records sont dépassés semaine après semaine. Le 3 mars, des trombes d'eau s'étaient déjà abattues sur la région. Des murs de soutènement se sont effondrés dans la ville et des parties d'une falaise se sont écroulées sur une route. Des glissements de terrain qui n'ont pas fait de blessés mais ont, une fois de plus, grandement inquiété la population. Les sols sont gorgés d'eau, le risque d'éboulement est maximal. La région a connu trois épisodes méditerranéens en trois semaines. Près de 120 millimètres de pluie sont tombés entre le dimanche 25 et le lundi 26 février, soit plus d'un quart des précipitations de l'ensemble de l'année 2023 en vingt-quatre heures. Des éboulements et des coulées de boue sont survenus dans différents quartiers. Entre le 1er janvier et mi-mars, en deux mois et demi, il a déjà plu davantage à Nice que durant toute l'année 2023.

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C'est à croire que le climat est ici encore plus détraqué que partout ailleurs en France. Quand il ne pleut pas à verse, il ne pleut plus du tout durant des mois. En septembre 2022, à la suite de l'effroyable sécheresse qui a frappé le pays tout entier, plusieurs dizaines de communes, y compris Nice, dont de nombreux habitants avaient signalé l'apparition de fissures dans les maisons, se sont vu accorder une reconnaissance de catastrophe naturelle (Cat Nat). Car face à ces crises à répétition, les autorités locales, à commencer par le maire de Nice, Christian Estrosi (Horizons), sont contraintes de solliciter régulièrement l'aide de l'État. À la suite des intempéries du week-end des 2 et 3 mars, l'édile a de nouveau demandé au ministre de l'Intérieur la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, dont l'attribution est décidée en commission interministérielle à Paris. Une habitude, hélas, dans la région.

« D'ici à 2070, il pourrait faire 7 °C de plus en été. Nous ne sommes qu'au début de changements profonds » Christian Estrosi, maire de Nice

En novembre, la revue La Gazette des communes a recensé les localités ayant le plus souvent demandé l'état de catastrophe naturelle entre 2000 et 2023 en France. Sept parmi les dix premières se trouvent dans le département des Alpes-Maritimes : dans l'ordre croissant, Mougins, Grasse, Vallauris, Villeneuve-Loubet, Cannes. Les trois premières ? Antibes (55 demandes), Cagnes-sur-Mer (59) et Nice, qui s'adjuge la première place avec 65 demandes. Et même 77 arrêtés d'état de catastrophe naturelle si l'on remonte jusqu'à 1982. À titre de comparaison, Marseille (42), Lyon (23) ou Paris (20) arrivent très loin derrière. À quoi attribuer un tel classement ? « C'est le prix à payer quand on habite dans un lieu exceptionnel, où nous sommes à la fois à la montagne et au bord de la mer, répond Christian Estrosi. Nous ne sommes pas épargnés : entre les inondations, les séismes, les mouvements de terrain, les feux de forêt, les phénomènes météorologiques, nous sommes exposés à la quasi-totalité des risques majeurs existants. Il ne manque que les éruptions volcaniques pour compléter la liste ! Mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas vivre en sécurité, bien au contraire. Il suffit d'en avoir conscience et de se préparer. »

canicule

Place Masséna, en juillet 2022.  Un été caniculaire : records de température, nuits tropicales... (© LTD / SERGE TENANI/HANS LUCAS VIA AFP)

De fait, face au dérèglement climatique, personne ne semble épargné : 99 % du territoire français (métropole et outre-mer) a été reconnu au moins une fois en état de Cat Nat. Mais avec sept communes dans le top 10, les Alpes-Maritimes et leur préfecture, Nice, se révèlent particulièrement visées par ces événements extrêmes dont la fréquence augmente depuis 2010. « La Méditerranée est l'une des zones les plus exposées du monde, reprend Christian Estrosi. À Nice, d'ici à 2070, il pourrait faire 7 °C de plus en été, le nombre de vagues de chaleur pourrait être multiplié par deux et on pourrait compter plus de 90 "nuits tropicales" par an, selon un rapport du Giec. Nous ne sommes qu'au début de changements profonds ! »

Des tarifs d'assurances en hausse

Chaque fois, bien sûr, des dégâts sont à déplorer dans l'agglomération niçoise, où personne n'a oublié la terrible tempête qui, en octobre 2015, a causé des inondations catastrophiques et la mort de vingt personnes. Cinq ans plus tard, le 2 octobre 2020, la tempête Alex provoquait des crues dévastatrices et meurtrières dans le département, dans les vallées de la Vésubie, de la Roya et de la Tinée. Des tonnes de terre, matériaux et arbres dévalaient les lits des rivières, emportant tout sur leur passage et provoquant un autre bilan humain terrible : dix morts, huit disparus. Et des dommages évalués à au moins 1 milliard d'euros. Selon les experts, cette catastrophe naturelle est celle ayant provoqué le plus de dégâts en France métropolitaine depuis la Seconde Guerre mondiale. Autre conséquence : les tarifs des assurances pour les particuliers ne cessent d'augmenter. Mais pas que pour eux. De nombreux maires signalent de plus en plus en préfecture des refus de leur compagnie d'assurances. En raison du coût des dégâts constatés lors de catastrophes naturelles, elles ne veulent plus les couvrir. « En clair, les assureurs les lâchent et il nous faut alors trouver d'autres solutions, ce qui n'est pas évident », assure-t-on en préfecture. Le montant des indemnisations après Alex avait été estimé entre 550 et 650 millions d'euros...

De nouveaux outils d'alerte ont été déployés, et « une culture du risque se développe », selon la préfecture

« Dans mon agenda, la prévention et la gestion des risques occupent entre 30 et 50 % en temps normal, affirme Benoît Huber, directeur de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes. C'est devenu notre quotidien. Mais quand il y a une crise, c'est 100 %. » Sa nomination ici ne doit rien au hasard : comme le préfet Hugues Moutouh, il s'est retrouvé en poste dans des départements compliqués (Haute-Savoie, Aude, Réunion), après avoir occupé de hautes responsabilités au sein de la sécurité civile. « Ici, bien sûr, le moment charnière, c'est 2015. Chacun a pris conscience de la vulnérabilité et a entamé un travail pour que la population adopte les bons réflexes, notamment en cas d'inondation. »

Nice

Le 2 octobre 2020, la tempête Alex détruit le village de Tende (au centre), dans la vallée de la Roya, et atteint la Riviera niçoise (© LTD / SYSPEO/SIPA ; ELIOT BLONDET/ABACA ; IMAGO/PANORAMIC)

Des journées de sensibilisation auprès des habitants sont régulièrement organisées. On y explique notamment comment se comporter en cas de crue : ne pas aller chercher sa voiture au garage souterrain (cause principale des décès), ne pas traverser les ponts submersibles... De nouveaux outils d'alerte ont été déployés, plus encore qu'ailleurs. « Une culture du risque se développe », insiste Benoît Huber. Une cellule hydro-météo a été mise en place par les services de l'État, en plus d'une capacité accrue à mobiliser des renforts des départements voisins, d'exercices ciblés sur les risques naturels, de formations dispensées auprès des collectivités locales, d'envoi de notifications sur les téléphones portables... Sans compter les 615 millions d'euros de crédits accordés par l'État à la suite de la tempête Alex de 2015.

Une situation entre mer et montagne

Mais plus encore que d'autres zones urbanisées ou rurales, ce sont Nice et son agglomération qui sollicitent le plus l'État pour obtenir un classement en état de catastrophe naturelle. La cinquième ville de France (350 000 habitants, près de 1 million avec l'agglomération) est donc située sur un territoire des plus sensibles, avec le bord de mer (risque de tsunami avéré et de tempête), un fort relief dans l'arrière-pays, et le Paillon, un fleuve côtier des Préalpes méditerranéennes qui se jette dans la baie des Anges après avoir traversé la ville et être passé sous des bâtiments publics importants. De plus, l'aéroport, le plus fréquenté de France après ceux de Roissy et d'Orly, se trouve en bord de mer.

En 2022, la sécheresse exceptionnelle avait entraîné une nouvelle demande de classement en catastrophe naturelle. « De nombreux Niçois avaient signalé des désordres chez eux, notamment des fissures », expliquaient la Ville de Nice et la métropole Nice Côte d'Azur dans un communiqué commun. « Nous vivons dans une région avec une géologie et une météo particulières, explique Juliette Chesnel-Le Roux, présidente du groupe Europe Écologie-Les Verts à la métropole et à la Ville de Nice. Quand ce n'est pas extrêmement urbanisé, il y a beaucoup de vallées, de zones de montagne. L'aéroport a déjà été inondé par le passé. Nice est une ville qui s'est étendue loin sur les collines ; on sait que le Paillon constitue un danger, que le maire envisage de raser des bâtiments importants parce que le risque existe et que la survenue de phénomènes climatiques s'accélère depuis 2015. Plus personne ne le nie aujourd'hui. Il y a une vraie prise en compte des maires des environs depuis dix ans. Par contre, on n'en est toujours pas à limiter les permis de construire, ou l'arrosage en été. Et à Nice, on végétalise en plantant des arbres dans des pots... »

Du côté de la Ville, on ne partage pas ce diagnostic. Selon plusieurs sources, certains bâtiments officiels, dont au moins un établissement scolaire, sont sous la menace de crues importantes. L'équipe municipale confirme qu'une étude est en cours au sujet du lycée Apollinaire, pour savoir s'il faudra le démolir et le reconstruire ailleurs. « Cela fait seize ans que nous faisons tout pour anticiper, en mettant notamment fin à un urbanisme débridé qui s'était développé de manière anarchique, avec tous les risques qui vont avec, assure le maire, Christian Estrosi. On ne laisse rien de côté : aménagement des espaces verts, urbanisme, gestion des sols, organisation des déplacements, bâti- ments, énergie, eau, agriculture, tourisme. C'est tout un état d'esprit qu'il a fallu changer. Mais c'est exactement à cela que sert l'urbanisme : à prévoir ce qu'on peut faire et où on peut le faire, en prenant en compte les besoins, mais aussi les contraintes, notamment en ce qui concerne les risques. » Parmi les mesures annoncées pour mieux affronter l'avenir, 70 hectares d'espaces verts supplémentaires et 280 000 arbres plantés d'ici à 2026. Cent cinquante millions d'euros pour sécuriser l'alimentation en eau de l'ensemble des 51 communes de la métropole. Une charte engageant à la qualité architecturale et à l'efficacité écologique a été élaborée. D'autres vont suivre. « Il ne faut pas se leurrer, nous sommes en première ligne », prévient Christian Estrosi.

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Commentaires 2
à écrit le 14/04/2024 à 11:18
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Il faut absolument aider ces communes sinistrées (Cagnes sur Mer, Antibes, Grasse, Nice, ou Monaco pourquoi pas !!) pour que ces habitants méritants puissent continuer de vivre dans ces endroits aussi difficiles, nuisibles, périlleux et finalement in...

le 14/04/2024 à 19:12
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Pea nuts .. ils veulent y vivre qu on les taxent pour qu ils en payent le vrai prix.. c est pas aux autres de payer !

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