« Inaction » face au changement climatique : la Suisse condamnée par la CEDH, une décision historique

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a rendu ce mardi ses décisions dans trois affaires portant sur l'inaction climatique présumée des États. Elle a ainsi condamné la Suisse pour son manque d'initiatives pour lutter contre le changement climatique. Les deux autres requêtes, contre la France et 31 autres États, ont en revanche été rejetées. Reste que ce jugement est historique car c’est la première fois que cette institution condamne un État pour cette raison.
La CEDH devra dire si les États visés ont enfreint la Convention européenne des droits de l'Homme.
La CEDH devra dire si les États visés ont enfreint la Convention européenne des droits de l'Homme. (Crédits : Vincent Kessler)

[Article publié le mardi 9 avril 2024 à 10h57, mis à jour à 16h50] C'est historique : ce mardi, la Suisse a été condamnée part la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour inaction climatique.

Elle s'est ainsi prononcée sur la responsabilité des États face au changement climatique. Pour rappel, elle avait été saisie dans trois affaires distinctes portées par des requérants qui reprochent aux gouvernements leur « inaction » ou « l'insuffisance » des mesures prises contre le dérèglement climatique. Elle devait dire si les États visés ont enfreint la Convention européenne des droits de l'Homme, en particulier le « droit à la vie » (article 2) et le « droit au respect de la vie privée et familiale » (article 8), en ne luttant pas suffisamment contre le réchauffement climatique.

La CEDH a donc condamné la Suisse pour violation de cette convention, donnant raison à l'association qui a attaqué ce pays, les « Aînées pour la protection du climat ». C'est la première fois qu'elle condamne un État pour son manque d'initiatives pour lutter contre le changement climatique. Cette décision juridiquement contraignante devrait d'ailleurs faire jurisprudence dans les 46 États membres du Conseil de l'Europe.

« L'arrêt d'aujourd'hui est un arrêt historique et nous sommes vraiment très très heureuses d'avoir porté ceci jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme », a lancé Anne Mahrer, l'une des militantes écologistes suisses.

Lire aussiClimat : l'action de l'Europe reste insuffisante pour éviter la catastrophe climatique

Le premier parti helvétique, l'UDC, une formation de droite radicale, a de son côté demandé mardi que la Suisse quitte le Conseil de l'Europe après la condamnation du pays alpin. Dans un communiqué, l'UDC (Union démocratique du centre) a affirmé que l'arrêt était « inacceptable » et « un scandale ».

« Les juges de Strasbourg n'ont même pas pris en compte le fait que la Suisse est exemplaire en matière de réduction des émissions de CO2. L'UDC condamne fermement cette ingérence de juges étrangers et demande le retrait de la Suisse du Conseil de l'Europe », a ajouté la formation politique.

Manque d'efforts

En revanche, la CEDH a rejeté les deux autres requêtes. L'une, portée par l'ancien maire écologiste de la commune du nord de la France Grande-Synthe, Damien Carême, demandait de faire condamner l'État français pour inaction climatique. Il n'a pas été reconnu comme victime, a indiqué la présidente de la CEDH, Siofra O'Leary. L'autre, initiée par de jeunes Portugais contre l'inaction de leur pays et de 31 autres face au changement climatique, a été jugée irrecevable, car les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours disponibles au Portugal, a expliqué la présidente.

Dans les affaires suisses et françaises, les requérants avaient saisi la CEDH pour démontrer que le manque d'efforts de leurs pays pour lutter contre le réchauffement climatique enfreignait les droits de l'Homme. Pour l'organisation suisse, composée de 2.500 femmes âgées de 73 ans en moyenne, les « manquements pour atténuer les effets du changement climatique » de l'État helvétique ont des conséquences négatives sur leurs conditions de vie et leur santé.

Côté français, l'eurodéputé français (ex-EELV) Damien Carême, estimait que les « carences » de l'État français font peser un risque de submersion sur cette ville littorale de la mer du Nord. En 2019, il avait déjà, en son nom propre et en tant que maire, saisi le Conseil d'État pour « inaction climatique ». La plus haute juridiction administrative avait alors donné raison à la commune, mais avait rejeté sa demande individuelle, l'amenant donc à saisir la CEDH.

Lire aussiÉrosion du littoral : 500 communes françaises menacées par la montée de la mer

La troisième affaire, soutenue par un collectif de six Portugais âgés de 12 à 24 ans, avait été lancée après les terribles incendies qui ont ravagé leur pays en 2017. Leur requête était dirigée non seulement contre le Portugal, mais également contre 32 pays au total (tous les États de l'UE, ainsi que la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et la Russie). Les plaignants attendaient que la Cour leur impose de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique.

Décisions inédites

L'enjeu réside « dans la reconnaissance d'un droit individuel et collectif à un climat aussi stable que possible, ce qui constituerait une innovation juridique importante », avait indiqué avant les verdicts l'avocate et ancienne ministre de l'Environnement française Corinne Lepage, qui défend le dossier français. La position de la cour « peut marquer un tournant dans la lutte pour un avenir vivable », a abondé de son côté l'avocat Gerry Liston, de l'ONG Global Legal Action Network (GLAN).

« Une victoire dans l'une des trois affaires pourrait constituer pour l'Europe l'évolution juridique la plus significative sur le changement climatique depuis la signature de l'Accord de Paris en 2015 », a-t-il estimé.

A cette occasion, les signataires s'étaient alors engagés à limiter le réchauffement de la planète « bien en deçà » de 2°C depuis l'époque préindustrielle (1850-1900), et de 1,5°C si possible.

Lire aussiChangement climatique : l'ONU alerte sur les retards de financements destinés à protéger les pays en développement

Il y a en tout cas urgence, comme en témoigne le nouveau record de températures enregistré en mars. Les 12 derniers mois ont ainsi été les plus chauds jamais enregistrés dans le monde avec 1,58 degré de plus qu'à l'ère préindustrielle (1850-1900), selon des chiffres annoncé ce mardi par l'observatoire européen Copernicus. Poursuivant une série ininterrompue de dix records mensuels, mars 2024 constitue ainsi un nouveau signal après une année où le réchauffement climatique anthropique, accentué par le phénomène El Niño, a multiplié les catastrophes naturelles, alors que l'humanité n'a pas encore diminué ses émissions des gaz à effet de serre.

Greta Thunberg en soutien

Plusieurs heures avant que la CEDH ne rende ses arrêts, des dizaines de personnes se sont rassemblées ce mardi matin sous le ciel gris de Strasbourg, où siège l'institution. Parmi eux, la militante écologiste suédoise Greta Thunberg. Cette dernière a salué « le début » en matière de contentieux climatiques :

« Partout dans le monde, de plus en plus de gens traînent leurs gouvernements devant les tribunaux pour les tenir responsables de leurs actions. En aucun cas nous ne devons reculer, nous devons nous battre encore plus parce que ce n'est que le début », a lancé la jeune militante suédoise pour le climat.

(Avec AFP)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 22
à écrit le 15/04/2024 à 7:19
Signaler
Elle condamne la Suisse à quoi du coup la CEDH? À rien … à mourir de rire, les Suisses doivent bien rigoler du coup et sortiront du conseil de l’Europe et ils auront bien raison…

à écrit le 15/04/2024 à 7:19
Signaler
Elle condamne la Suisse à quoi du coup la CEDH? À rien … à mourir de rire, les Suisses doivent bien rigoler du coup et sortiront du conseil de l’Europe et ils auront bien raison…

à écrit le 10/04/2024 à 20:45
Signaler
Je voudrais pas être à la place d'Israël avec tous les enfants morts palestiniens ! La Cour européenne des droits de l'homme au vu des sanctions suisses cela va être terrible pour eux ! On aimerait savoir combien ils sont dans la cour de recrée et c...

à écrit le 10/04/2024 à 11:16
Signaler
Et prochainement à la CEDH le cas des submersions migratoires, contre lesquelle ne luttent pas assez les pays européens ?

à écrit le 10/04/2024 à 9:41
Signaler
Lorsque je lis des livres (oui il existe encore des gens qui lisent des bouquins) sur cette question: Steven Koonin ou Emmanuel Leroy Ladurie par exemple j'ai l'impression qu'on ne parle pas de la même chose. Il serait temps de rechercher un consensu...

à écrit le 09/04/2024 à 23:04
Signaler
"..Partout dans le monde, de plus en plus de gens traînent leurs gouvernements devant les tribunaux.." Quelle erreur ! ce ne sont pas les gouvernements qui sont trainés devant les tribunaux mais les Etats, c'est à dire les citoyens. Et ce sont les c...

à écrit le 09/04/2024 à 18:24
Signaler
Pauvre Europe, elle s'enfonce dans le ridicule avec son obsession pour la vertu

à écrit le 09/04/2024 à 17:26
Signaler
Il y a trop de monde sur la planète. Pourquoi les personnes qui mettent quand même des enfants a la planete ne sont-elles pas inculpées ? Probablement parce que les écologistes et les magistrats, eux-meme, participent à cette pollution.

à écrit le 09/04/2024 à 16:53
Signaler
Quel est la légitimité politique de ces institutions qui sont noyauté par des militants et qui ne représente rien a part leur idéologie ? Les écolos en France sont a 7% ds les sondages pour les élections européenne.

à écrit le 09/04/2024 à 16:17
Signaler
C’est une très grande victoire car, comme tout le monde le sait, la Suisse est le plus grand responsable au niveau mondial des rejets de gaz à effet de serre et d’ailleurs, s’il n’y avait pas la Suisse et son inaction climatique, l’air serait pur com...

à écrit le 09/04/2024 à 14:44
Signaler
Infiltrée par les ONG qui y mènent depuis des années une stratégie d'entrisme, la CEDH est devenue un organe militant qui pousse, dans divers domaines (environnement, immigration, etc.), des options politiques qui s'opposent à la volonté d'une majori...

à écrit le 09/04/2024 à 13:14
Signaler
Risible ...et c'est quoi la punition ..privé de dessert pour tous les Suisses ? ..et condamnation pour les vrais pollueurs ...euh non ! trop compliqué ..

à écrit le 09/04/2024 à 13:14
Signaler
Risible ...et c'est quoi la punition ..privé de dessert pour tous les Suisses ? ..et condamnation pour les vrais pollueurs ...euh non ! trop compliqué ..

à écrit le 09/04/2024 à 13:07
Signaler
c'est tres curieux, mais il n'y a AUCUNE condamnation de la Russie, de la Chine, de l'Inde, ou de l'Afrique dans son ensemble...c'est curieux, hein, ces condamnations, ca vaut pour des pays assez vertueux, et assez riches.....on me dirait que cette j...

le 09/04/2024 à 13:19
Signaler
+ 1000. C'est bien là tout le ridicule de ce genre de décision, les pays plus importants pollueurs ne seront pas condamnés (à quoi ?) de si tôt. La CEDH cherche uniquement à faire du buzz et à briser l'Europe

le 09/04/2024 à 16:21
Signaler
Vous êtes à côté de la plaque. La CEDH statue sur ses pays membres, et donc pas la Chine l'Inde et compagnie. Et quand les populations de ces pays commenceront à se réveiller et à s'en prendre à leurs divers gouvernements pour les avoir mené dans des...

à écrit le 09/04/2024 à 13:06
Signaler
Il faut se méfier comme de la peste des prétentions des juges de se substituer au politique (et se disant, je ne porte pas ces derniers en haute estime).

à écrit le 09/04/2024 à 12:53
Signaler
"une décision historique" : c´est sûr, dans le mauvais sens du terme : c´est dans le mouvement actuel de toutes ces cours suprêmes qui prennent des décisions politiques, avec une assurance totale, ordonnant à X ou Y ce qui est bien, ou pas. On se dou...

le 09/04/2024 à 16:22
Signaler
La décision n'est pas politique : la CEDH reconnaît simplement que le manque d'action suisse nuit en effet à la qualité de vie des 1500 plaignantes.

le 09/04/2024 à 20:08
Signaler
@ Ohmanndill : c´est une décision politique, puisque cette cour décide à la place des instances élues suisses, ce qui est bien ou pas : et cette décision, c´est cette cour qui l´a inventée à partir de valeurs qu´elle a elle-même définies. Dans ce cas...

le 10/04/2024 à 12:05
Signaler
@Ohmanndill Comme vous le faites remarquer: "les plaignantes". Donc les autres (ceux qui ont...) ne sont pas concernés; Intéressant. Là où les états ont failli, c'est surtout en prenant des engagements. On se souvient le l'ivresse des dirigeants lors...

à écrit le 09/04/2024 à 11:18
Signaler
Ben oui nos dirigeants n'ont plus de neurones seulement des liquidités à un moment il faut bien un capitaine pour barrer ! Même si ça ne les dérange pas nos dirigeants de ne pas nous diriger de seulement nous taper dessus sans arrêt parce que dénués ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.