Du pragmatisme, pas de l'idéologie. C'est ce qu'a répété François Gemenne, chercheur, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et à la tête d'une méga Alliance pour décarboner la route. À ses côtés, l'économiste Patrice Geoffron et Géraud Guibert, président du centre de réflexion la Fabrique écologique étaient réunis à l'Academie du Climat pour la première conférence de presse, après l'annonce de la création de cette Alliance en décembre dernier.
L'objectif de ce consortium : « baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la route, ce sera notre seul marqueur d'échec ou de réussite », a introduit François Gemenne. Pour rappel, les transports représentent à eux seuls un tiers des émissions de GES de la France dont 95% concerne le transport routier. C'est aussi le seul secteur à n'avoir pas réduit ses émissions ces dernières années. « Si nous ne prenons pas le taureau par les cornes, jamais nous ne pourrons atteindre les objectifs de l'accord de Paris », a averti le chercheur.
Des discussions « pas uniquement centrés sur les SUV »
Cette Alliance aura 4 axes prioritaires en 2024 : une transition juste et acceptable, la décarbonation de la logistique, l'adaptation aux besoins spécifiques des territoires ruraux ainsi que la résilience aux événements climatiques extrêmes.
« Elle aura comme rôle de traiter les questions biaisées écologiquement afin d'éclairer le débat public et de mettre en œuvre de nouvelles initiatives dans certaines villes », a précisé François Gemenne, ajoutant, avec un léger sourire, que « les discussions ne tourneront pas qu'autour de la réduction des SUV ou de la vitesse dans les villes ». Ce groupement fera ainsi le relais des études et travaux menés par les associations et cabinets d'études sur la mobilité auprès des politiques.
Les premiers groupes de réflexion démarreront dans les prochaines semaines afin de présenter des propositions concrètes au grand public d'ici la fin du printemps. En outre, les premières mesures seront orientées sur le covoiturage au quotidien, la mobilité en zone rurale ainsi que sur les financements nécessaires à la décarbonation.
Plus d'une centaine de membres à venir
Cet après-midi, le peu d'annonces de la part de cette Alliance a un peu échaudé ceux qui avaient fait le déplacement. Mais les trois fondateurs voulaient surtout montrer l'enthousiasme des acteurs derrière ce projet. Et pour cause, plus de 60 membres (Blablacar, Keolis, RATP, Vinci, La Poste, GRDF, Transdev... et le syndicat CFDT) ont rejoint l'Alliance depuis l'annonce de sa création, dont 17 universitaires et 46 acteurs de la mobilité. Ils n'étaient qu'une vingtaine il y a encore quelques mois. Parmi eux, des associations environnementales tel que la Fondation pour la Nature et l'Homme, des représentants du secteur automobile comme BMW ou encore la Plateforme de l'automobile, mais aussi des assureurs tels que AXA ou la MAIF pour les volets d'adaptation de la route aux impacts climatiques. S'ajoutent à eux des villes comme Valence ou Montpellier qui feront office de test des mesures proposées par l'Alliance.
Seul manquant à l'Alliance : les énergéticiens, pourtant en première ligne sur la décarbonation de la route avec, notamment, l'approvisionnement des bornes de recharge.
« Il va y avoir de nouvelles adhésions à venir », a confié François Gemenne, assurant à La Tribune que l'Alliance pourrait se retrouver avec « 120 à 150 membres » à terme.
Un paquebot d'acteurs avec des intérêts différents qui pourraient être contre-productif à l'objectif d'aller vite dans la décarbonation. « Il va falloir inventer un fonctionnement souple. C'est pour cela que nous avons choisi un fonctionnement associatif avec un conseil d'administration restreint », a justifié le chercheur dans son entretien avec La Tribune.
La route, parent pauvre des politiques de décarbonation
Ce regroupement d'acteurs de la route paraissait nécessaire pour les trois fondateurs. « La route constitue le parent pauvre de la politique », ont-ils regretté à l'unisson, rappelant qu'en 2050 « il y aura encore des routes » qui devront être intégrées dans la neutralité carbone annoncée par le gouvernement.
Mais cette décarbonation ne sera pas simple. L'économiste Patrice Geoffron a pointé du doigt les changements de politique économique orchestrés par Bercy, indiquant que « la disponibilité de l'argent publique pour décarboner la route ne va pas échapper aux tensions économiques ».
Pour 2024, le projet de loi Finances tablait sur une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour décarboner la route, sur les plus de 13 milliards d'euros à destination des transports, en particulier le ferroviaire. Dans ce budget, une part était attribuée à l'acquisition de véhicules électriques pour les ménages et entreprises. En février, le gouvernement a décidé de la réduire en diminuant le bonus écologique de 1.000 euros pour les ménages les plus aisés et en le supprimant pour les entreprises. Un premier coup de massue qui devrait continuer, Bercy ayant planifié 10 milliards d'euros d'économies en 2024 et au moins 20 milliards en 2025.
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