Jamais un simple match amical n'avait été précédé d'un tel enjeu. Mais voilà, depuis l'annulation en début de semaine de la tournée d'Al-Nassr en Chine, des millions de fans tremblent pour les retrouvailles entre Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, désormais à l'Inter Miami, prévues jeudi à Riyad (Arabie saoudite). La blessure du Portugais a fait la une pendant des jours. « Sa célébrité est tellement exagérée qu'il a dû présenter des excuses au peuple chinois », s'amuse Luis Aguiar, professeur d'histoire et de sociologie à l'université de la Colombie-Britannique (Canada), qui avait consacré un cycle de cours sur la figure de Ronaldo dans la nation portugaise au XXIe siècle - il le reprendra en septembre.
Il y a un an, CR7 et la Pulga s'étaient retrouvés pour un match exhibition entre une sélection des meilleurs joueurs du championnat saoudien et le Paris Saint-Germain. Cette fois, à bientôt 39 et 37 ans, est peut-être la dernière. Les deux astres, treize Ballons d'or (cinq pour le Portugais, huit pour l'Argentin) et neuf Ligue des champions (cinq et quatre) cumulés, résument deux décennies de football. Parler de l'un sans évoquer l'autre laisserait un vide.
« Leur rivalité a eu beaucoup d'atouts, observe Joshua Robinson, journaliste au Wall Street Journal et coauteur de Messi vs. Ronaldo - One Rivalry, Two GOATs, and the Era That Remade the World's Game. Leurs styles sont complètement opposés, leurs personnalités aussi, c'est ce qui a épicé le débat. Tout le monde a eu une opinion. Et préférer l'un ou l'autre, ça dit quelque chose sur eux mais aussi sur nous, nos valeurs, selon que l'on s'intéresse plus au résultat ou à la manière. »
« Deux faces du néolibéralisme »
Entre le Portugais et l'Argentin, la comparaison a commencé avant que Ronaldo rejoigne Messi en Espagne en 2009. Elle n'a pas cessé quand CR7 a quitté la Liga pour la Serie A italienne en 2018. Mais bien sûr, leur rivalité a atteint des sommets parce qu'elle s'est superposée à une autre, préexistante, entre le Real Madrid et le FC Barcelone, deux des clubs les plus suivis et les plus titrés. « Autour d'eux se sont développées deux galaxies de stars, qui ont formé des équipes All-Star à l'américaine et s'affrontaient jusqu'à cinq fois par saison », poursuit Joshua Robinson. En Espagne, une trentaine de rencontres toutes compétitions confondues a nourri la légende.
L'émergence des réseaux sociaux leur a donné une envergure commerciale inédite. À eux deux, Ronaldo et Messi ont créé une économie où des individus pèsent davantage que des clubs ou des franchises. « Les deux faces du néolibéralisme appliqué au sport », pose le professeur portugais Luis Aguiar. Le football européen a entamé un tournant avec leur départ, à sept mois d'intervalle, pour deux pays émergents sur la planète foot, l'Arabie saoudite et les États-Unis.
Platini, Maradona et longévité
Aucun antagonisme ne ressemble au leur. D'abord, parce que les données manquent pour l'époque où Michel Platini et Diego Maradona planaient sur le championnat d'Italie. Mais surtout, parce qu'on n'a jamais vu un face-à-face s'étirer sur une aussi longue période, sans blessure grave ni aléa pour l'interrompre. Comme l'a formulé l'éminent écrivain espagnol Javier Cercas à propos des monstres du tennis Rafael Nadal et Roger Federer : « Leur rivalité a fait leur longévité. » Il faudrait, à l'avenir, que Kylian Mbappé et Erling Haaland se disputent la même compétition pendant des années pour créer un écosystème éventuellement comparable.
Qui a été le meilleur des deux ? Le débat ne se refermera jamais mais une étude de l'université catholique de Louvain (Belgique) donne une piste, par-delà les palmarès. Un algorithme a analysé toutes les actions avec ballon réalisées pendant huit saisons (entre 2012 et 2020) et l'écart final en faveur de Messi a étonné les chercheurs. L'un d'eux, Jesse Davis, se souvient : « Lors de ses meilleures saisons, en 2012-2013 et 2018-2019, Messi a contribué en moyenne à deux buts par match. À son meilleur, en 2014-2015, Ronaldo a culminé à 1,8. » L'Euro 2016 remporté par le Portugal avait pourtant rapproché CR7 de son meilleur ennemi. Qui, pour beaucoup, a fini de trancher le débat sportif en soulevant la Coupe du monde 2022.
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