Hippisme : le pied à l’étrier avec Camille Levesque

La jockey normande raconte les subtilités du trot monté, épreuve singulière et méconnue dont la course reine est le Prix de Cornulier.
Solen Cherrier
Camille Levesque à l’hippodrome de Vincennes, le 23 décembre.
Camille Levesque à l’hippodrome de Vincennes, le 23 décembre. (Crédits : © SCOOP DYGA/ICON SPORT)

Dans le milieu, cela fait longtemps qu'elle s'est fait un prénom. Elle aimerait désormais ajouter son nom à celui de son père dans la liste des vainqueurs du Prix de Cornulier, la plus prestigieuse des courses de trot monté. Pierre Levesque l'a remportée en 1985. Même si sa monture, Granvillaise Bleue, ne tient pas la forme de sa vie, Camille, 35 ans, fait partie des favoris cet après-midi à l'hippodrome de Paris-Vincennes. Comme l'année passée et comme celle d'avant, lorsqu'elle avait échoué à la deuxième place « derrière une jument incroyable [Flamme du Goutier] qui court deux fois plus vite que les autres ». Elle en retire de la fierté plus que de la frustration.

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La Normande avait été davantage déçue en 2013 quand elle avait été « battue d'un nez » pour sa première. Elle était apprentie avec 49 victoires au compteur et une de plus l'aurait fait basculer professionnelle pour l'occasion, « un exploit inédit ». Onze ans et sept essais plus tard, le Cornulier reste « l'objectif d'une carrière » auréolée de 236 victoires en près de 1 500 courses, ce qui lui vaut « une certaine forme de respect » d'un milieu plutôt masculin. « À la base, j'ambitionnais de gagner un groupe 1 [les meilleures courses], resitue cette ancienne étudiante en marketing mariée à un journaliste hippique. J'y suis parvenue en 2019 - on n'est que quatre femmes à l'avoir fait - et j'en ai remporté deux autres depuis. C'est déjà super, mais ce n'est pas le Cornulier... »

Gainage et révolution

C'est le championnat du monde très français d'une vénérable épreuve hippique « spécifique à la France » : le trot monté, que les instances dirigeantes ont « rebrandé » étrier afin de lui donner de la visibilité face au trot attelé (ou sulky), porté par la notoriété internationale du Prix d'Amérique. À l'étrier, donc, les jockeys montent comme au galop mais le cheval reste au trot. Si l'on devait tracer un parallèle sportif et esthétique, ce serait l'équivalent de la marche pour l'athlétisme. « Au galop, le cavalier accompagne le balancier du cheval, le mouvement de la foulée, explique Camille Levesque. Là, ça paraît peut-être moins naturel. »

Longtemps, les jockeys se tenaient « droits comme un I », à la manière des concours d'équitation. Puis, à la fin des années 1990, un jockey belge, Philippe Masschaele, a eu l'idée révolutionnaire de se mettre en position couchée. « Au début, tout le monde s'est bien foutu de lui, mais comme il gagnait tout... » Tous l'ont imité.

Issue de la nouvelle génération, Camille Levesque a participé à deux courses en étant droite puis elle s'est penchée en avant. Le gain aérodynamique s'accompagne d'un surplus d'efforts pour une discipline déjà « plus physique » que l'attelé, et nécessitant des séances de gainage : « On est en suspension sur les étriers. C'est comme faire la chaise contre un mur pendant quatre minutes, voire plus. Il y a énormément de muscles qui travaillent : les mollets, les fessiers, les cuisses, les abdominaux. Sans compter le souffle, car il faut quand même être endurant. » D'où une carrière qui s'étire rarement au-delà de 45 ans, quand elle peut aller « jusqu'à 70 ans » au sulky.

De 250 à 15 750 euros la victoire

Afin de profiter de sa fille, née il y a trois ans, Camille Levesque a fait le choix de courir entre 80 et 100 courses par an, quand « la plupart » en font plus de 1 000. Elle a aussi « la chance exceptionnelle d'avoir une famille dans le milieu », de monter les chevaux de son père et de son frère, et de ne pas y perdre financièrement. « C'est un métier très difficile, développe celle qui vit dans un haras d'élevage dans le Calvados et s'entraîne deux jours par semaine dans la structure familiale dans la Manche. Parfois, on dépense un plein de gazole et on revient bredouille. On peut donc perdre de l'argent en travaillant. Moi, ça m'arrive rarement. »

Aux courses, les sept premiers sont gratifiés. Les gains sont répartis entre le propriétaire, l'entraîneur et le jockey, qui touche 5 %. Le Prix de Cornulier récompense à hauteur de 15 750 euros celui ou celle qui monte le vainqueur. Mais les quelque 250 euros promis pour une victoire l'été en province permettent difficilement de rentrer dans les frais. « C'est un métier dans lequel le top 10 gagne très bien sa vie, souligne Camille Levesque, 9 e à l'étrier d'or. Les autres... C'est avant tout un métier passion. »

Solen Cherrier

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