« Les X Games, c’est notre Ligue des champions » (Kevin Rolland, skieur freestyle)

ENTRETIEN - Le porte-drapeau des JO 2022 pose un regard acéré sur l’iconique raout des sports extrêmes, qui aura lieu cette semaine à Aspen, aux États-Unis.
Solen Cherrier
Kevin Rolland, skieur freestyle.
Kevin Rolland, skieur freestyle. (Crédits : © Michael Madrid/USA TODAY Sports via Icon Sport)

Seize participations, neuf podiums dont cinq sur la plus haute marche : les X Games, Kevin Rolland connaît. À 34 ans, le médaillé de bronze aux JO 2014 en halfpipe, qui vient de publier un beau livre pour refermer sa carrière (Pas le temps pour les regrets, Hugo Sport, 240 pages, 34,95 euros), observe ça de haut après avoir été fasciné pendant toute sa jeunesse.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Pouvez-vous expliquer la philosophie des X Games ?

KEVIN ROLLAND - C'est la Ligue des champions des sports extrêmes. Au commencement, il n'y avait ni championnats du monde ni Jeux olympiques mais cette compétition, où tous les meilleurs se retrouvaient. Comme dans tous les sports extrêmes, la dimension spectacle est primordiale : ça hurle partout et la musique est omniprésente. Aux États-Unis [à Aspen], c'est un événement créé pour la télé. En Europe [à Tignes, de 2010 à 2013], c'était plus bordélique mais plus humain. Gamin, je me levais à 4 heures du matin pour regarder sur ESPN. Et ça se méritait parce que c'étaient les débuts d'Internet. Après, ça s'est démocratisé.

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En 2008, vous y participez. Qu'est-ce qui vous a marqué ?

C'était ma première fois aux États-Unis et je me retrouve avec toutes mes idoles. C'était comme un accomplissement, même si, arrivé sur place, j'ai été happé par la compétition. Je me suis senti pousser des ailes. Un peu trop. Je fais troisième des qualifications derrière Tanner Hall et Simon Dumont, qui étaient en poster dans ma chambre. Comme tous mes rêves se réalisaient, je pensais qu'il suffisait d'y penser pour que ça marche. J'ai fait des folies pour gagner, alors que je n'étais pas du tout près techniquement. Ça n'a pas loupé : je me suis fait les ligaments croisés.

Comment étaient vos idoles avec vous ?

Très sympas. C'est même grâce à Tanner Hall qu'on a participé aux X Games. On s'était entraînés ensemble en Nouvelle-Zélande, il avait vu que les deux jeunes Français [Xavier Bertoni et lui] n'étaient pas là pour rigoler. Il en avait parlé aux organisateurs. Parce que c'est le côté moins cool de ces compétitions hors du cadre fédéral et de l'olympisme : on ne prend pas les meilleurs au regard d'un classement officiel, c'est un peu à la tête du client en fonction du sponsor. À l'américaine. C'était très dur pour les Français d'entrer aux X Games : on avait les résultats, pas le réseau.

On avait une règle : 20 % de notre prize money devait passer dans la soirée qui suivait

Vous avez ouvert la voie ?

Oui, mais il y a toujours du copinage. C'est une compétition qui vit des sponsors. Aujourd'hui, Monster Energy réclame que la moitié des inscrits soient ses athlètes. J'ai gagné cinq fois les X Games, et pourtant ils ne m'ont pas invité sur ma fin de carrière. Je m'étais blessé et je n'étais pas sous contrat, alors que j'étais largement meilleur que deux tiers des présents.

Si vous deviez retenir un instant d'émotion pure ?

La première fois que je gagne [2010]. J'ai 20 ans, je crée la surprise. Et je « ride » en faisant un « run » inédit pour l'époque avec trois doubles [rotations] - c'est quand on passe la tête en bas. [Il s'arrête.] Quand j'y réfléchis, j'ai eu une période de cinq ans sans remporter les X Games [2011-2016]. Même mes sponsors pensaient que j'étais fini. Et j'ai retrouvé le chemin de la victoire. C'est celle que j'ai le plus savourée parce que, là, j'avais conscience que c'était compliqué de gagner.

C'était aussi un bras d'honneur à ceux qui ne croyaient pas en vous ?

Complètement. Je devais signer un nouveau contrat de trois ans avec Monster le jour de la finale. On avait un accord oral. Trois jours avant, on m'annonce qu'on ne me garde pas. Que le sommet de ma carrière est derrière. J'ai été traité comme un produit périmé et ça m'a fait mal. À l'époque, c'était une grosse partie de mes revenus. Comme dans les films, j'ai pris mon carton et je suis parti. Viré.

La plus belle fête ?

Si on sort les dossiers... Dans les années 2010, on avait une règle : 20 % de notre prize money devait passer dans la soirée qui suivait. Comme le vainqueur touchait 25 000 euros, je vous laisse imaginer ! Petite anecdote fofolle : un jour à Tignes, je suis sorti de boîte à 6 heures et je suis allé directement sur le tournage de l'émission Turbo de M6 pour tester un 4×4 sur le snowpark.

Imaginiez-vous en 2019 que ce seraient vos derniers X Games ?

Pas le temps pour les regrets, mais j'ai été un peu frustré cette année-là. J'ai été victime d'une vraie erreur de jugement, car je n'avais pas posé la main - les juges en sont convenus. Avoir une médaille ou pas, ça change beaucoup de choses quand on regarde tout le travail fourni pour en arriver là, sans compter l'aspect financier. Heureusement, j'ai été vice-champion du monde une semaine plus tard. Juste avant mon accident [il a failli mourir après une tentative de record du monde de quarter-pipe]. Je n'ai plus été réinvité.

Les X Games ont-ils toujours la même saveur ?

À force de privilégier le côté marketing aux dépens du sportif, on s'y perd un peu.

Et vous, avez-vous l'impression d'avoir laissé un héritage ?

Le fait que les X Games soient venus en Europe, qu'on les ait remportés, qu'on ait été invités sur les plateaux télé a dopé la culture des sports extrêmes, qui n'existait pas en France. On a réussi à planter une graine. Ma cousine Tess Ledeux, qui est multiple championne du monde, médaillée olympique [argent en big air aux Jeux de Pékin en 2022] et a gagné quatre fois aux X Games, était présente à 11 ans à Aspen pour me voir. Sans s'en rendre compte, elle a pris cette énergie.

Solen Cherrier

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