Jean-Claude Blanc : « On me présente comme l’homme qui a signé Neymar, Messi et Mbappé »

ENTRETIEN EXCLUSIF - Directeur général du mastodonte Ineos Sport depuis un an, l’ancien dirigeant du PSG raconte l’évolution économique du secteur à travers son riche parcours.
Jean-Claude Blanc était président du jury des Trophées Sporsora 2024.
Jean-Claude Blanc était président du jury des Trophées Sporsora 2024. (Crédits : © FABRICE COFFRINI/AFP)

Mercredi au carrousel du Louvre, Jean-Claude Blanc, 60 ans, présidait le jury de la 20e édition des Trophées Sporsora du marketing sportif. Un rôle de choix pour cette sommité du sport business. Des Jeux olympiques d'Albertville en 1992 à la récente prise de contrôle de Manchester United par Ineos, le Savoyard a accompagné les grands mouvements du secteur. Peu avant de monter sur scène, cet homme de l'ombre et de devoir, très discret dans les médias, s'est confié.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous avez trois décennies de sport business derrière vous. Si vous vous retournez, c'est la préhistoire que vous voyez ?

JEAN-CLAUDE BLANC - Non car j'ai eu la chance de démarrer aux JO d'Albertville avec une équipe ultra-performante emmenée par Jean-Claude Killy et Michel Barnier. Avec mon premier boss - un Anglais, déjà -, nous avions mis en place le Club Coubertin pour réunir un nombre limité de grandes entreprises françaises autour d'un projet. Quand on regarde la manière dont se fait le business aujourd'hui, on n'en est pas très éloigné. Ce qui a changé, c'est que les grands sports et les grands événements ont tendance à aspirer l'argent, les audiences, l'attention des médias, des pratiquants ou des fans. Il devient de plus en plus difficile pour des sports moins visibles, ou pour le sport non valide, de trouver une mécanique de financement. Il faut beaucoup d'inventivité et de créativité.

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La construction d'infrastructures modernes reste-t-elle la clé du développement des clubs ?

La clé, c'est la qualité d'expérience pour les fans. Il faut avoir le courage d'investir dans des infrastructures plutôt que dans des joueurs. Ça crée des revenus supplémentaires qui permettent de réinvestir dans le talent. J'ai commencé ma carrière en suivant la construction d'un stade temporaire pour l'ouverture des Jeux d'Albertville. À la Juventus, il y a eu la conception et la construction d'un stade de 41 500 places. Au PSG, on a beaucoup travaillé pour rénover efficacement le Parc des Princes. À Manchester United, nous regardons. Old Trafford a été à la pointe pendant des années mais est en train de se faire rattraper. Modernisation ou nouvel Old Trafford ? Toutes les options sont sur la table. On voit que ça bouge beaucoup. Tottenham a un nouveau stade. Le Real Madrid est en train de finir le sien. Barcelone y travaille. Paris en aura peut-être un, un jour.

Le PSG est-il obligé de partir du Parc pour se développer ?

C'est un dossier sensible que je connais très bien, donc je préfère ne pas répondre.

Mais est-il risqué de s'éloigner du centre-ville ?

L'expérience du public commence au moment où il télécharge son billet sur son téléphone, elle se poursuit à l'arrivée dans l'enceinte et se termine au retour chez soi. Donc il faut être sûr que ça ne devienne pas une aventure d'y aller. La règle que je fixe toujours à mes équipes est celle-ci : on ne cherche pas comment remplir le stade pour un Juve-Milan mais pour la venue de Lecce un mercredi soir par zéro degré. Si le fan qui a acheté son billet ou un abonnement hésite parce qu'il a trente minutes de transport, on risque le no show. Et un siège vide, même payé, c'est un échec. À Turin, on aurait pu construire un stade plus grand. Mais la moyenne de fréquentation de l'ancien était de 35 000 spectateurs. Pourquoi viser 60 000 ? Ce qui coûte le plus cher à construire, c'est la dernière place, tout en haut, et c'est celle la moins chère à la vente. Il faut trouver la bonne jauge pour délivrer la bonne expérience de proximité et magnifier le spectacle sportif. En France, on a fait de grands stades pour l'Euro mais beaucoup ne sont pas pleins.

Modernisation ou nouvel Old Trafford ? Toutes les options sont sur la table

Comme à Nice ?

On est plein pour les grands matchs, pas pour les autres. Donc il y a du boulot.

Êtes-vous inquiet pour les droits TV de la L1, qui n'ont toujours pas trouvé preneur ?

S'il y a une personne capable de sortir le meilleur deal possible, c'est Vincent Labrune. Sincèrement.

Quels sont les prochains leviers de développement ?

Tout le monde travaille sur la data, l'intelligence artificielle, la relation directe... Le prochain « big thing », pour moi, ça reste les fondamentaux : un stade plein, une billetterie bien vendue, des abonnements honorés dans une mécanique de second marché comme on a pu développer à Paris, l'hospitalité, les partenariats... Une fois ces piliers en place, vous pouvez regarder la suite.

La nouvelle génération serait incapable de rester devant un match de foot ou de tennis. Faut-il réfléchir aux formats ?

Sans doute. Il y a déjà des tentatives dans le tennis avec le circuit UTS de Patrick Mouratoglou - ce n'est pas un gros succès pour le moment. Tant qu'on respecte l'essence du sport... Moi, je n'aurais pas peur de ça. Même dans le foot. On va bientôt sonoriser les arbitres, on arrivera aux expulsions temporaires. Ira-t-on jusqu'à jouer soixante-dix minutes ? Je ne le pense pas, mais on peut installer une dynamique un peu différente à l'intérieur du format.

Les rumeurs de ligue fermée fleurissent dans le tennis. Le foot vit avec la menace Super League. Est-ce le sens de l'Histoire ?

Pas en Europe. La culture y repose vraiment sur le système de promotion-relégation. Mais on voit qu'on arrive à adapter les formats. Celui de la nouvelle Ligue des champions, c'est un peu l'enfant de la Super League. C'est une évolution assez saine, sans perdre son âme. Il faut rester vigilant sur les calendriers, que les grandes instances arrêtent de se tirer la bourre pour créer l'épreuve de plus : la santé des joueurs doit primer.

L'autre grande tendance, et Ineos en est un acteur, c'est la multipropriété. N'y a-t-il pas un danger éthique ?

Ça dépend qui est derrière. Mais comme la distinction entre le propriétaire fiable et celui à risque est compliquée à décréter, il faut faire confiance aux institutions. Ineos est devenu actionnaire à 25 % de Manchester United, l'est à 100 % de l'OGC Nice et de Lausanne-Sport. Certaines saisons, les clubs pourraient se retrouver dans la même compétition. L'UEFA doit donc définir des règles permettant à des investisseurs sains et motivés par les meilleures pratiques, comme le sont M. [Jim] Ratcliffe et ses associés, de rester investis dans les différents clubs. Sinon, ils risquent de concentrer leurs efforts sur le plus gros et de laisser les autres. Mais il peut y avoir d'autres profils d'acteurs et ça nécessite un cadre.

La nouvelle Ligue des champions, c'est un peu l'enfant de la Super League

Les superstructures multisports comme Ineos vont-elles se multiplier ?

Partager des compétences en matière de performance sportive, c'est l'axe pris par Ineos. On va, par exemple, échanger des informations sur les meilleures pratiques pour se préparer par forte chaleur. Comment font les All Blacks ? Les marins de la Coupe de l'America ? Les footballeurs de Nice ? Les préparateurs physiques de chacun des sports se réunissent dans une pièce, réelle ou virtuelle, et travaillent dessus. C'est fascinant. Pour avoir été impliqué dans différents sports, je sais que chacun est persuadé d'avoir la vérité, mais il y a tant de pression pour performer que vous n'avez jamais le temps de regarder ailleurs. On est en train d'étendre ce partage de savoir-faire sur la partie économique avec des partenaires communs. C'est très atypique, ça existe un peu aux États-Unis.

Quel est le projet dont vous êtes le plus fier ?

Ce que je fais en ce moment est vraiment la synthèse de beaucoup de choses. Le bateau de la Coupe de l'America, par exemple, est designé par les ingénieurs de l'équipe Mercedes de formule 1. Sinon, je retiens la construction du stade à Turin, même si le plus dur a été de ramener la Juve en Serie A. Les Jeux d'Albertville aussi : je ne peux pas entendre une musique de la cérémonie de Philippe Decouflé sans avoir les poils qui se dressent. J'ai eu la chance dès le départ de travailler avec des gens qui décidaient vite et avec qui j'étais en ligne directe. C'est ce que je retrouve avec Jim Ratcliffe.

Et d'avoir fait du PSG un club dégageant 800 millions de chiffre d'affaires ?

C'est plus collectif, et on a beaucoup travaillé. On n'a pas gagné la Ligue des champions, mais on a remporté plus de cinquante trophées. Et puis on a construit une marque mondiale en dix ans. Ça a été validé par le fait qu'ils ont trouvé un actionnaire [Arctos Partners] ayant valorisé le club à plus de 4 milliards. On a été innovants, notamment avec le partenariat Jordan. Les Anglais avec qui je travaille me présentent comme l'homme qui a signé Neymar, Messi et Mbappé. D'accord, je prends. Les trois plus gros transferts de l'Histoire, c'est vrai que je les ai négociés et signés. Oui, je suis assez content de ça.

Jean-Claude Blanc en quelques dates

1992

Directeur marketing et des cérémonies des Jeux d'Albertville

1994-2000

Directeur général d'Amaury Sport Organisation (Tour de France, Dakar...)

2005-2011

Après la Fédération française de tennis (2001-2006), il rejoint la Juventus Turin, dont il prend la présidence de 2009 à 2010

2011-2023

Directeur général délégué du PSG

Depuis 2023

CEO de la branche sport d'Ineos, géant anglais de la chimie impliqué dans le football (Manchester United, Nice...), le cyclisme, la F1 (Mercedes), le rugby (All Blacks), le running, la voile...

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