Pierre Sage, la folle ascension de l'idole du foot d’en bas

Pierre Sage est le troisième technicien de Lyon cette saison. Inconnu du public, pas du microcosme, où cet entraîneur-chercheur a la cote.
L’entraîneur de l’OL Pierre Sage au stade Vélodrome, lors du match aller contre Marseille, le 6 décembre.
L’entraîneur de l’OL Pierre Sage au stade Vélodrome, lors du match aller contre Marseille, le 6 décembre. (Crédits : © PIERRE LAHALLE/PRESSE SPORTS)

Ce 30 novembre, c'est jour de crise à l'Olympique lyonnais. L'entraîneur Fabio Grosso est débarqué. Pour succéder au champion du monde italien 2006, qui avait lui-même remplacé le champion du monde français 1998 Laurent Blanc, deux mois plus tôt, Lyon choisit un inconnu : Pierre Sage. À 44 ans, le directeur du centre de formation est envoyé au chevet d'une équipe en perdition, dernière de Ligue 1, un seul succès en treize matchs. Face aux joueurs, le nouvel arrivant plante le décor : « Je ne vais pas me présenter, leur dit-il. Ça ne sert à rien, je ne suis personne. »

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Deux mois et cinq victoires plus tard, l'OL n'est pas sorti d'affaire, loin de là, mais Pierre Sage est devenu quelqu'un. Au moment d'accueillir l'Olympique de Marseille (20 h 45, Prime Video), son équipe est remontée à la 16e place, lisière de la zone rouge, et s'est hissée en 8e de finale de la Coupe de France. Son intérim s'est mué en CDD jusqu'au 30 juin. Le propriétaire américain, John Textor, ne cesse de louer ses compétences techniques de haut niveau alors que, longtemps, l'intéressé n'a été qu'un simple gardien de but amateur devenu éducateur de district dans l'Ain.

Face à cette trouvaille, la L1 est surprise. Mais partout en France, des éducateurs du foot d'en bas sont goguenards. Ils savaient. Pour eux, Pierre Sage représente l'expert absolu de la chose tactique. Une inspiration. Un mentor, même, pour certains. Julien Gourbeyre est le premier témoin et le dernier étonné par cette trajectoire. Il a fondé le magazine Vestiaires. Pendant près de dix ans, l'actuel coach lyonnais a été une signature de cette revue de référence pour les éducateurs, qui revendique 12 000 abonnés, « dont tout le gratin des entraîneurs pro », fait savoir son créateur.

Physique quantique

« Pierre m'a contacté en 2014, se rappelle Julien Gourbeyre. Grâce à sa compétence, il est vite devenu plus qu'un collaborateur. Il s'est mis à tenir une chronique sur le jeu, il a animé notre blog. Il a sorti un DVD d'exercices et écrit un guide d'entraînement. » Dans Vestiaires, et en parallèle sur ses comptes Facebook et Twitter, Pierre Sage écrit. Des choses simples, d'autres moins. Comme sur l'approche systémique du football. « Je l'ai découverte en passant mon brevet d'État et elle m'a profondément marqué, explique-t-il. Je l'utilise encore aujourd'hui. »

Sa réputation monte alors en flèche, ce qui ne l'empêche pas de se remettre en question. En 2016, il part se former à la Real Sociedad puis au FC Barcelone. « J'ai beaucoup appris, prolonge-t-il. En Espagne, je me suis aussi rendu à des colloques. J'ai visionné des séances, traduit des livres. J'ai beaucoup lu. » Et il a restitué ses réflexions dans des écrits, encore. Ilyes, éducateur en Seine-Saint-Denis, est un de ses lecteurs : « Les articles de Pierre Sage sur le jeu de position ou la périodisation tactique sont connus et très intéressants. Parfois compliqués : il faut être armé sur le plan cognitif. Ça peut d'ailleurs créer des incompréhensions chez les coachs à l'ancienne, qui se demandent qui est ce mec qui a l'air de vouloir analyser le foot comme si c'était de la physique quantique. »

La complexité de la pensée sagienne

Un rapide sondage confirme la complexité de la pensée sagienne, qui lui vaut les surnoms d'« étudiant du foot », ou d'« entraîneur-chercheur ». « C'est très cérébral », se contentent de répondre les éducateurs sollicités pour vulgariser ses principes. Le courageux Kévin Garnier, entraîneur de Chalon-sur-Saône, en Régional 1 (le sixième échelon national), se lance : « Il va très loin dans le travail de manipulation de l'adversaire, par exemple.

Défensivement pour récupérer le ballon, offensivement pour aller marquer. Dans ses principes, il y a aussi l'idée de s'entraîner de façon très intense en mobilisant en même temps les aspects tactique, technique, mental et athlétique dans les exercices. »

Personal branding

Julien Gourbeyre voit en lui un pionnier. Pas en raison de son parcours amateur - « Arrigo Sacchi ou Gérard Houllier n'ont pas été de grands joueurs » -, mais parce que Pierre Sage est « le premier à percer à la fois grâce à ses compétences et au personal branding ». « Il a travaillé son réseau jusqu'à se constituer une communauté d'aficionados, poursuit-il. D'ailleurs, quand il a perdu ses deux premiers matchs à la tête de l'OL, cette communauté a été très présente sur les réseaux sociaux pour le soutenir. » L'intéressé comprend l'idée que sous-tend l'analyse mais récuse toute stratégie : « Je partageais mon travail parce que j'aime le foot. En me disant que mes compétences me permettraient peut-être de faire partie d'un staff pro. Mais certainement pas à l'OL. Et certainement pas si vite. »

Après des passages dans les staffs d'Oyonnax, de Bourg-en-Bresse ou de Lyon-La Duchère, sa réputation enfle. Elle lui permet, en 2019, de trouver un poste élargi à la formation lyonnaise, à la tête des U16 notamment. Il entre dans les radars des agents et, début 2022, est proposé à Habib Beye, entraîneur débutant au Red Star (National), en quête d'un adjoint expert ès tactiques. Les deux hommes accrochent immédiatement. Expérience brève mais concluante. « En peu de temps, il a laissé une empreinte », apprécie le président du Red Star, Patrice Haddad.

« Enfin du bon sens »

L'été dernier, Pierre Sage décide donc de revenir à Lyon afin de diriger le centre de formation. « Quand j'ai appris que l'OL le nommait entraîneur principal, je me suis dit "enfin du bon sens", reprend Patrice Haddad. Trop souvent, les dirigeants n'utilisent pas des compétences qu'ils ont sous les yeux. » Sa capacité à gérer un vestiaire fourni en ego n'allait pourtant pas de soi. « C'est oublier que les joueurs d'aujourd'hui ont besoin de compétence, corrige Julien Gourbeyre. Dans les années 1990, ils obtempéraient sans protester. Désormais, ils veulent savoir pourquoi il faut se placer ici et pas là, courir, faire tel exercice... »

Répandu en Allemagne (Thomas Tuchel, Julian Nagelsmann...) ou encore au Portugal (José Mourinho, André Villas-Boas), ce profil d'entraîneur autodidacte, voire universitaire, reste une rareté en France. Mais des profils différents apparaissent, moins clinquants, comme Franck Haise (Lens), Régis Le Bris (Lorient), l'Italien Francesco Farioli (Nice) ou l'Espagnol Carles Martínez Novell (Toulouse).

Pour Pierre Sage, qui a validé un master de management du sport, le fil conducteur de son parcours a été de « rendre le savoir accessible à tous les éducateurs ». « Aujourd'hui, regrette-t-il, ce savoir est dans les formations fédérales, qui exigent des prérequis basés sur des années d'expérience de footballeurs ou de coachs. Et ça me peine. » Lot de consolation : il distille désormais le sien en prime time.

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