Rugby : Karim Ghezal, le touche-à-tout du Stade français

Karim Ghezal a castré du maïs, pris des cours à Sciences-Po et charpenté la conquête des Bleus. Il entraîne désormais le club parisien.
Solen Cherrier
Karim Ghezal avec le Stade français à Lyon le 11 novembre.
Karim Ghezal avec le Stade français à Lyon le 11 novembre. (Crédits : © ALAIN MOUNIC/PRESSE SPORTS)

Il a lâché quelques larmes, a revu le match une dizaine de fois, s'est posé une semaine, puis a replongé. Après quatre années en tant que coentraîneur des avants du XV de France, refermées sur le quart de finale de la Coupe du monde contre l'Afrique du Sud, Karim Ghezal a enfilé la doudoune de coach principal du Stade français. En première ligne mais pas seul puisque accompagné de Laurent Labit, désormais directeur du rugby du club parisien, déjà côtoyé à Montauban et au Racing quand il était joueur puis au sein du staff des Bleus. Le quadragénaire gersois voit cette aventure comme « la continuité » de ce qu'il avait déjà expérimenté.

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Avec Pierre Mignoni, qui lui a donné sa chance à Lyon au moment de raccrocher les crampons en 2016, puis avec Fabien Galthié, qui avait été convaincu au bout de deux heures de découverte mutuelle, il a toujours « eu l'opportunité de ne pas rester cantonné » à la spécialité qui a fait sa réputation : la touche. Son leitmotiv ? S'extirper du travail en silo. « C'est un danger de penser que tu vas gagner parce que tu as la meilleure mêlée ou la meilleure touche, avance-t-il d'un ton posé mâtiné d'un accent certifié Ovalie. Il faut être connecté les uns avec les autres, faire en sorte que chacun ne soit pas bloqué dans son domaine. »

Au Stade français, son premier dossier a été d'agencer le staff. Avant de s'attaquer à la méthodologie, qui doit « coller avec le territoire, la ville, le club où on est ». Surtout dans une institution atypique à la recherche de sa splendeur passée. « Si je fais du copier-coller de ce que j'ai fait en sélection ou à Lyon, ça ne marchera pas, précise-t-il. En revanche, l'expérience de chaque membre du staff permet de créer un modèle qui correspond à Paris. Il faut être innovant. Tout le monde joue un peu de la même façon. La différence va se faire au niveau de la culture, de l'état d'esprit. »

Ses sept premières semaines, au bilan comptable mitigé (trois victoires, trois défaites) et qui se prolongent avec la réception de Leicester en Champions Cup (aujourd'hui à 18 h 30), correspondent « exactement » à ce qu'il recherchait. Même la polémique née du déplacement à Pau (sortie nocturne non autorisée, altercation entre un joueur et un membre du staff adverse) est propice à positiver : « Ça nous a permis de mettre un cadre. » Karim Ghezal regarde assez peu dans le rétroviseur. « On se retourne quand c'est fini », formule-t-il. Et il débute à peine.

Avec les Bleus, il retient plus la façon dont le Grand Chelem 2022 a été construit que le titre en lui-même. Il a chanté La Marseillaise à quarante-quatre reprises. À chaque fois, il a pensé à sa famille, à son éducation, aux éducateurs de L'Isle-Jourdain (Gers). À la fierté de représenter son pays, car « il n'y a rien de plus beau ». Ne pas creuser trop profond : il ne voit pas pourquoi ces mots auraient plus de poids parce qu'il serait fils de harkis qui ne savaient ni lire ni écrire, dix enfants à la maison. « Je n'ai manqué de rien et ils m'ont donné des bonnes valeurs, tout simplement. »

Les meilleures idées que j'ai eues au rugby, c'est en faisant autre chose qu'elles sont venues

Le rugby s'est invité « par hasard » dans sa vie d'ado réservé et lui a « permis de devenir un homme » : « À 15 ans, on est venu me chercher, on m'a donné des crampons, il y avait des goûters, j'étais content. Ça s'est fait naturellement, comme tout ce que j'ai fait. » Le centre de formation du Stade toulousain. Les boulots d'été à castrer le maïs ou à peler l'ail. Le contrat en alternance dans une entreprise de produits verriers dans le cadre d'un BTS action commerciale qu'il n'a pas terminé, car il était l'heure de passer pro. Les diplômes d'entraîneur à la trentaine.

À Montauban et au Racing, il s'occupait des systèmes de touche avec d'autres coéquipiers. Il a constaté qu'il n'existait pas vraiment de méthodologie ni de spécialistes dans ce secteur clé d'un sport nourri à la data. Il a songé à animer des ateliers en tant que consultant. Puis a saisi l'opportunité offerte par Lyon un an avant la fin de son contrat, alors qu'il avait déjà testé son appétence pour la transmission auprès des jeunes. « Aujourd'hui, ça s'est développé, il y en a presque dans tous les clubs », constate l'ancien deuxième ligne proche du double mètre (1,94 mètre). Lui a élargi sa palette, et pas que dans le rugby.

En parallèle de ses activités, il s'est inscrit à Sciences-Po. Pour la culture générale avec des options qui lui parlaient : violence politique, développement durable et Chine. Pour l'aération du cerveau, surtout : « Les meilleures idées que j'ai eues au rugby, c'est en faisant autre chose qu'elles sont venues. » Les grands témoins invités par Fabien Galthié à Marcoussis l'ont donc inspiré. Parmi eux, Jean-Louis Aubert, qui « a emmené tout le monde alors qu'il arrivait dans un endroit qui n'était pas le sien ». Il est aussi allé voir d'autres sports pour se nourrir. Le football américain avec Laurent Labit pour la culture du travail aux États-Unis, la communication en course avec l'équipe cycliste Cofidis...

« Si tu ne restes que dans le rugby, tu as les œillères. Surtout quand les matchs s'enchaînent. Voir d'autres sports permet de prendre un peu de hauteur pour avoir une vision plus globale. La meilleure qualité d'un coach, c'est d'être lucide. » La semaine dernière, il a souhaité que l'administratif du Stade français participe à une réunion pour lancer la Champions Cup. Emmener tout le monde, lui aussi. Les chakras ouverts. « J'ai toujours eu le goût d'apprendre, resitue-t-il. Je ne sais pas ce que je ferai dans les dix prochaines années, et tant mieux, mais j'ai encore ça en moi. À 42 ans, on peut apprendre tous les jours. C'est ce que je retiens de mon parcours. »

Solen Cherrier

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