« Et là, une joueuse s’est mise à pleurer... » (Hervé Renard, selectionneur de l'équipe de France féminine de football)

ENTRETIEN - De son exploit avec l’Arabie saoudite à son immersion chez les Bleues, le sélectionneur globe-trotter revient sur son année folle.
Solen Cherrier
Hervé Renard avec l’équipe de France, le 22 juillet à Sydney (Australie) pendant le Mondial.
Hervé Renard avec l’équipe de France, le 22 juillet à Sydney (Australie) pendant le Mondial. (Crédits : FRANCK FIFE/AFP)

Mercredi, il a reçu « pas mal de messages ». Il en montre un, envoyé par son ancien adjoint : une vidéo d'Argentine-Arabie saoudite (1-2) le 22 novembre 2022. La première déflagration de la Coupe du monde au Qatar. Celle en Australie et en Nouvelle-Zélande avec l'équipe de France féminine, huit mois après, a été plus longue mais moins riche en émotions. Vendredi, avant de donner sa liste pour les deux ultimes matchs des Bleues en 2023 (Autriche vendredi et Portugal le 5), Hervé Renard, 55 ans, a remonté la bobine de ces douze derniers mois.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Il y a un an, vous battiez l'Argentine avec l'Arabie saoudite. Quel souvenir vous revient ?

Hervé Renard - Le stade magnifique. La musique avant le match. La première période difficile. Puis dix minutes où on ne sait pas trop ce qui se passe. Après, il faut s'accrocher parce que les vagues déferlent. Dans le couloir, j'ai dit au coach argentin [Lionel Scaloni] : « Vous avez perdu aujourd'hui, mais vous allez peut-être gagner le Mondial. » Cette défaite leur a sans doute fait du bien. On finit en perdant deux joueurs importants : notre gardien qui percute notre arrière gauche, qui a mis six mois à revenir. Ça nous a coûté très cher ensuite. L'objectif, c'était aussi les huitièmes de finale. Mais est-ce qu'il valait mieux se qualifier sans relief et se faire éliminer par la France ? Réussir un coup comme ça restera à jamais.

Un tournant dans votre carrière ?

Il y a eu les deux finales de la CAN [2012 avec la Zambie, 2015 avec la Côte d'Ivoire], mais si je devais ne retenir qu'un match, ce serait celui-là. J'espère qu'il y en aura d'autres.

La vidéo de votre gueulante à la pause a été virale. A-t-elle changé votre image ?

Peut-être, mais il n'y avait rien de calculé. Je rentre dans un vestiaire où je vois tout le monde tête baissée. Je ne sais pas ce qui me traverse la tête mais je m'assois et je fais comme eux pendant quelques secondes. Puis je me lève et ça part. C'est instinctif, rien d'autre.

Imaginiez-vous alors disputer une autre Coupe du monde huit mois plus tard ?

Jamais, c'est un concours de circonstances. Mais j'étais au bout d'un challenge. J'avais signé en Arabie saoudite en 2019 pour aller au Mondial 2022. Ensuite, j'ai prolongé [2027]. Mais dans le football, que ce soit pour les joueurs ou pour les entraîneurs, les contrats ne veulent plus dire grand-chose. Quand un coach est viré, on ne s'offusque pas. Quand il décide de partir... Parfois, on sent que c'est le moment de changer. Ça ne veut pas dire que je n'y retournerai pas un jour.

L'Arabie saoudite bouleverse désormais le marché des transferts. Étiez-vous au courant de ce qui se tramait ?

Juste après notre élimination, j'ai fait une réunion avec le prince ministre des Sports. Il y avait deux thèmes : l'équipe nationale et comment dynamiser le championnat. Aucun nom n'avait été évoqué mais c'était sûr qu'il y aurait des moyens, donc du lourd. Et ce n'est pas un feu de paille, ça va durer et s'amplifier. Qui plus est avec une Coupe du monde programmée en 2034.

Revenons à vous. C'est vous qui faites la démarche de postuler à la tête des Bleues ?

Oui, je n'ai rien à cacher. Le message, en gros, c'était : si vous pensez que ma candidature peut vous intéresser, faites-moi signe. Je n'étais pas sûr que ça puisse accrocher. Mais à partir du moment où je fais passer le message, il faut assumer. On fait une visioconférence, puis deux... Le poste est vacant puisque la Fédération [FFF] a décidé de changer [après la fronde de certaines joueuses contre Corinne Diacre]. Les choses avancent lentement mais ça se concrétise. Moi, je ne discute de rien : tout ce que vous me proposez m'ira [il gagnerait vingt fois moins qu'en Arabie saoudite]. Je ne suis pas venu pour ça. Donc je suis là jusqu'en août 2024, et après on verra.

Réussir un coup comme ça contre l'Argentine restera à jamais

La première nuit à Clairefontaine, que vous dites-vous ?

Il y a de l'émotion, mais je ne viens pas au château pour dormir. Il a fallu vite se plonger dans les objectifs puisque la Coupe du monde arrivait à grands pas. On a juste fait un stage avec deux matchs amicaux, puis c'était la préparation. On a passé cinquante-deux jours ensemble. Tout s'est merveilleusement bien passé, mais on a eu la déception de ne pas basculer dans le dernier carré. Alors on parle d'échec...

Rater autant de tirs au but en quart de finale contre l'Australie (0-0), c'est un échec mental, non ?

On ne peut s'en prendre qu'à nous-mêmes. Il nous a manqué quelque chose, pas grand-chose, mais on ne peut pas avoir notre destin en main et le laisser filer comme ça. Si on veut être très pragmatiques, le résultat c'est statu quo puisqu'on n'a pas franchi les quarts. Il faut aussi être fiers. De fantastiques opportunités arrivent pour aller chercher plus et faire basculer l'opinion.

Depuis le Mondial, le soufflé est un peu retombé ?

Beaucoup. Heureusement, on va jouer à Rennes à guichets fermés une qualification pour le Final Four [contre l'Autriche] : il faut remercier le public breton, et se sublimer. Les audiences télévisuelles sont bonnes donc il y a une petite effervescence, pas encore assez importante mais ça va monter crescendo. Il faudra aborder cette attente de façon beaucoup plus positive que lors de cette séance de tirs au but. Lorsque vous avez le soutien populaire, et on l'aura aux JO, il faut l'entretenir.

Clubs et sélections, vous avez une riche expérience. Pas avec les footballeuses. Ça a changé quoi dans votre approche ?

C'est une chose à laquelle je réfléchis beaucoup. Il y a toujours une barrière à ne pas franchir et, je l'avoue, il m'arrive d'être un peu décontenancé dans certaines situations. Heureusement, j'ai un staff fantastique. Seul, je ne serais parfois pas capable de gérer tous ces aspects nouveaux.

Qu'est-ce qui vous décontenance le plus ?

Le côté émotionnel. Un jour, avant un match, j'informe une joueuse qu'elle ne jouerait pas. Et là, elle s'est mise à pleurer. Je n'avais jamais vécu ça, j'avais l'impression d'avoir une de mes filles en face de moi et de l'avoir peinée alors que je prends juste une décision sportive. Ça m'a un peu perturbé. Il faut être beaucoup moins cash qu'avec les garçons, ce qui n'est pas facile pour moi. Mais c'est bien, ça me permet de faire un travail sur moi-même. Ça va me faire progresser.

En vingt mois, vous aurez vécu deux Mondiaux et des Jeux olympiques, c'est rare.

Si ça se fait, c'est bien. Mais on en est encore loin. On ne sait jamais ce qui peut se passer dans la vie.

Solen Cherrier

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