Ski alpin : la dinguerie Sarrazin

Rien n’arrête l’ovni français qui réalise le doublé à Kitzbühel, haut lieu de la descente. De l’anonymat à la légende en moins d’un mois.
Solen Cherrier
Hier, à l’arrivée à Kitzbühel (Autriche).
Hier, à l’arrivée à Kitzbühel (Autriche). (Crédits : CHRISTIAN MOSER/GEPA PICTURES/ICON SPOR)

Il s'appelle Cyprien Sarrazin et ce n'est pas un nouveau personnage d'Adèle Blanc-Sec, mais la nouvelle sensation du sport tricolore. Avant la première de ses quatre victoires de la saison, fin décembre, personne ne le connaissait au-delà du microcosme. Il écrit désormais l'Histoire. Vingt-quatre heures après avoir mis fin à vingt-sept ans de disette française à Kitzbühel (Autriche), alias la Mecque de la descente, il s'est un peu plus rapproché de Luc Alphand, qui avait lui aussi doublé la mise en 1995. Un exploit que seuls six autres skieurs ont réalisé.

Lire aussiDécouvrez une idée de tenue complète pour vos vacances au ski

Précision : à 29 ans, ce n'était que la quatorzième descente de sa carrière, réinventée il y a un an. Les qualificatifs ne manquent pas pour dépeindre l'exploit, on vous laisse les trouver. D'autant que, à la différence de vendredi, Cyprien Sarrazin a ajouté la manière. Le licencié du CO Dévoluy (Hautes-Alpes) a relégué le crack suisse Marco Odermatt, pourtant très content de sa manche juste avant, à près d'une seconde. Le reste bien au-delà. « Une dinguerie », jubilait-il la voix éraillée au micro d'Eurosport, devant Arnold Schwarzenegger, John Kerry et 60 000 personnes en folie. Dément, oui.

Favori sur cette Streif plus glacée et rapide que la veille ? Même pas mal. La pression glisse sur lui. Elle est pourtant présente, on n'enchaîne pas incognito six podiums (dont un Super-G) à Bormio (Italie), Wengen (Suisse) et Kitzbühel. Lui skie « avec [s]on cœur ». Content d'avoir trouvé un rival cette saison, orpheline d'Aleksander Aamodt Kilde, Odermatt commence à avoir le sourire crispé. « Cyprien est vraiment sur une autre planète », a-t-il reconnu au micro de la RTS. Sarrazin revient à 6 points dans la course au globe de la spécialité, remporté par Jean-Claude Killy (1967) et trois fois par Alphand (1995, 1996, 1997). Et il ne reste que quatre épreuves, dont deux à Chamonix dans deux semaines.

Après la retraite de Tessa Worley, la reconversion à la vitesse puis la blessure de d'Alexis Pinturault, le ski français attendait le slalomeur vosgien Clément Noël. Pas un énergumène ayant fini cinq fois dans les bâches l'an passé. Cyprien Sarrazin venait de se mettre à la vitesse et on ne peut pas dire que ce reset ait suscité beaucoup de curiosité à l'époque. Pas assez de résultats avant, rien de nouveau après. Il y avait pourtant des indices : deux top 10 et un meilleur chrono à l'entraînement sur la Streif, déjà. Pour des débuts en descente, ce n'était pas rien, disent aujourd'hui ceux qui ont l'œil et la science. De là à imaginer tout ça... Même la légende Killy avoue être passée à côté.

Cyprien est vraiment sur une autre planète

Marco Odermatt, tenant du globe de cristal

S'il faut chercher un parallèle, c'est dans la carrière de Luc Alphand qu'il faut fouiller. Et pas seulement pour l'appartenance à la « confrérie des Sudistes ». Sarrazin suit « les traces du maître », comme il l'a répété vendredi après son premier morceau de bravoure, avec le maître hilare à ses côtés. Comme lui, le skieur de Serre Chevalier s'est révélé sur le tard en délaissant les épreuves techniques, s'adjugeant la première de ses 12 victoires en Coupe du monde à 29 ans.

Sarrazin n'en avait, lui, que 22 quand il a inscrit son nom au palmarès d'Alta Badia (Italie), en slalom géant parallèle. Mais le parcours a été aussi « tortueux » que celui d'Alphand pour se hisser au sommet. Il y a le point de départ : les stations du Dévoluy, pas franchement des hauts lieux de la haute performance, même s'il grimpait au pic de Bure, à 2 709 mètres, avec son père, moniteur de ski et de VTT, et sa petite sœur. Il y a le profil : un skieur polyvalent mais trop foufou et irrégulier, orienté jeune vers les disciplines techniques où il avait un peu plus de résultats.

Et puis il y a les blessures, nombreuses. Le tibia à angle droit lors d'une sortie avec son père alors qu'il était en quatrième sport. Deux ans après sa victoire, une chute à Garmisch-Partenkirchen (Allemagne) lui cause un traumatisme crânien sévère. À peine sortie de galère, il se fracture le genou. Malgré une deuxième place au slalom géant d'Alta Badia, encore, fin 2019 puis la bascule vers la descente, le déclic ne vient pas. Car il y a aussi la tête. Après avoir raté les Mondiaux 2023 en France en raison d'un mal de dos, il se tourne vers une préparatrice mentale, la sophrologie et se fait accompagner par une psychologue.

Exit le « syndrome de l'imposteur », place au winner en série. « Je me suis trouvé en tant qu'homme et ça se voit sur les skis », soufflait-il après avoir triomphé à Bormio. S'il ne s'agissait que de ça, le mental, pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ? Kitzbühel a aussi mis en lumière ses prédispositions techniques, parfaites en descente en VTT, et athlétiques, l'endurance notamment, que son physique ne laisse pas soupçonner. Avec lui, il ne faut pas s'arrêter à la première impression mais savourer la dernière.

Solen Cherrier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.