Une leçon de « moinagement »

Pour son dernier dîner de l'année, le 5 décembre, le Cercle Humania a voulu prendre de la hauteur. Il a invité Hugues Minguet, moine bénédictin, ancien conseiller juridique de la Fiduciaire de France et co-auteur de L'éthique ou le chaos ?, paru en 1998. Plus que jamais d'actualité, son propos vise à concilier bien commun et sens individuel dans l'action. Une démarche qui s'applique aussi à l'entreprise.
(Crédits : DR)

Ora et labora (prie et travaille) : la règle de Saint-Benoît, qui rythme la vie d'Hugues Minguet, à la fois moine bénédictin et conférencier, responsable des séminaires Ethique et performance du MBA d'HEC et fondateur, en 1991, de l'Institut Sens et Croissance, doit-elle s'appliquer au monde séculier et à celui du travail ? Assurément, répond ce dernier comme le notait déjà Platon en alliant Otium et negotium. Invité à intervenir devant un parterre de dirigeants et de DRH lors du dernier dîner du Cercle Humania de l'année, le 5 décembre, il a souligné l'importance de l'éthique pour la bonne marche des affaires. En commençant par dire que la règle de Saint-Benoît est bien ancrée chez lui - puisqu'elle s'applique depuis le 6e siècle... « Il s'agit de réfléchir à la relation au travail et à la conciliation entre le bien de chaque personne et celui de la communauté. L'entreprise donne l'occasion à l'individu qui y travaille de se réaliser, et par réciprocité, celui-ci enrichit et construit la 'communauté par l'expression de ses talents' », a-t-il ajouté. Autrement dit, à l'organisation, par sa performance au travail. Une situation identique, en fait, à celle qui prévaut dans la société civile. Car si l'individu - sa liberté, son enrichissement, son bonheur - est privilégié sans se soucier du bien commun, la communauté en pâtit, tandis qu'à l'inverse, un système où tout est pensé uniquement pour le bien de la société écrase les individus et « confine au totalitarisme », relève-t-il.

Maintenir une éthique en entreprise

Mais si, comme Hugues Minguet l'affirme, « l'éthique est l'inter-fécondation entre la personne et la communauté », comment maintenir une position éthique ou morale, lorsque, dans l'entreprise, les salariés doivent parfois affronter le cynisme, voire les manipulations de certains membres de l'équipe, ou subir des pressions venues de leur hiérarchie ? Et comment les managers peuvent-ils tenir face au manque de moyens ou aux contraintes imposées par la direction, dans un contexte de concurrence exacerbée ou déloyale ? « On peut effectivement se poser la question : est-ce bien raisonnable de vouloir boxer avec un poing lié dans le dos ? », avance-t-il. S'il a l'humilité d'avouer, tranquillement, qu'il n'a pas toutes les réponses, Hugues Minguet propose toutefois quelques pistes d'actions à mettre en place pour vivre une éthique dynamique.

D'abord, en explorant la finalité de nos actions. En d'autres termes, quel est le sens de l'action et pour qui ? Certes, il faut faire attention à ne pas tomber dans l'illusion de la parfaite réalisation de soi par le seul travail. Mais il n'en reste pas moins que directions, DRH et managers doivent permettre à chacun de s'accomplir humainement à travers ses activités professionnelles. Comment ? En fournissant une vision et les moyens, tant humains qu'organisationnels, aux salariés, pour qu'ils puissent s'épanouir individuellement et contribuer, par là même, au bien de tous. Plus facile à dire qu'à faire...

Hugues Minguet donne des exemples et des contre-exemples tirés de son expérience d'accompagnement d'équipes de direction. En citant aussi bien des fournisseurs du monastère qui ne rendent pas le service attendu par manque d'organisation que des entreprises qui travaillent en silos, le service facturation relançant les clients alors que la comptabilité a déjà encaissé le paiement. Ou, au contraire, une ambiance joyeuse et bienveillante, remarquée dans le hall d'accueil d'un grand groupe, qui incarne une bonne culture d'entreprise.

Par ailleurs, DRH et managers ont intérêt à écouter la parole de tous les acteurs, cols bleus comme cols blancs. Saint Benoît préconise l'écoute des plus jeunes, du dernier arrivé qui a un regard neuf. Cela vaut pour les syndicats qui ; comme le sonar d'un bateau, signalent où sont les écueils. Benoît de Nursie invite aussi à écouter les râleurs. En remettant en cause nos pratiques, ils peuvent ouvrir, à l'occasion, une marge de progrès. L'écoute du plus faible doit être mise au cœur de notre action, car ils révèlent où sont les changements nécessaires. Par exemple, les chômeurs doivent être entendus. « Ils montrent que quelque chose ne va pas sur le marché de l'emploi », dit-il. La place accrue donnée à cette parole, son écoute plus attentive, au sein de la société comme dans l'entreprise, ne peut qu'être source de progrès, selon lui.

Instaurer la confiance

L'éthique se construit en travaillant sur quatre niveaux : le professionnalise, une organisation performante et respectueuse des personnes, une qualité de comportements et une qualité de finalités. La confiance est l'indice d'un vécu de qualité de comportement. « La défiance génère ce qu'elle craint, la confiance récolte plus qu'elle n'espère », remarque-t-il. C'est l'un des thèmes abordés dans le livre L'éthique ou le chaos ?, paru en 1998, qu'il a co-écrit avec Jean-Loup Dherse (décédé en 2010), un X-Mines passé par Péchiney, la Banque Mondiale et Eurotunnel, entre autres.

L'ouvrage n'a jamais été aussi actuel. Entre crise climatique, tensions sociales, montée des populismes et  multiplication des conflits armés, le chaos menace. L'éthique est la voie de l'espérance : elle nous permet de rester humains, de créer des entreprises vivantes, par et pour des hommes et des femmes vivants.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.