Deux cultures d'entreprises différentes pour deux success stories

Le Cercle Humania avait invité pour son dîner, le 16 mai dernier, Frédéric Mazzella, co-fondateur et président de BlaBlaCar, et Jean-Charles Samuelian-Werve, co-fondateur et directeur de l'assuretech Alan. Leur succès - les deux start-up, la première créée en 2006, la deuxième, en 2016, sont toutes deux devenues des licornes - repose, au-delà de la réponse apportée à un besoin, sur une culture d'entreprise bien spécifique. Explications.
(Crédits : DR)

Les débuts n'ont pas forcément été faciles... Frédéric Mazzella, co-fondateur et président de BlaBlaCar, s'en souvient. « Quand je présentais mon idée, celle d'une plateforme de covoiturage, certains pensaient presque tout haut : 'Il a fait normal sup, il est passé par Stanford, il a été chercheur à la Nasa et il fait un site web pour aider des beatniks à faire de l'autostop !', a-t-il, avec un certain délice, déclaré devant plus de 150 convives, lors du dernier dîner du Cercle Humania, au cours duquel il intervenait en compagnie Jean-Charles Samuelian-Werve, co-fondateur et directeur d'Alan, partenaire santé tout-en-un des individus et des entreprises, qui intègre sur une plateforme assurance complémentaire santé et prévoyance, médecin de famille, médecine du travail, thérapeutes, coaching... le tout pour booster la santé, le bien-être et l'engagement au travail. « Ce qui fait de nous le meilleur investissement RH qu'une entreprise puisse faire ! », assure le dirigeant d'Alan.

Depuis, évidemment, les investisseurs ont compris le modèle de BlablaCar. Au point que la start-up est devenue une scale up, puis une licorne, autrement dit, une jeune pousse valorisée à plus d'un milliard d'euros. En ce qui concerne BlablaCar, c'est plutôt 2 milliards de dollars, d'ailleurs. Quant à Alan, après une nouvelle levée de fonds en mai 2022, elle a carrément doublé sa valorisation, qui s'établit désormais à quelque 2,7 milliards d'euros. Certes, les deux sociétés séduisent les investisseurs et les clients - dans le cas de BlaBlaCar, ce ne sont pas moins de 100 millions de membres dans le monde, dans celui d'Alan, ce sont près de 400 000 salariés couverts, en France, en Espagne et en Belgique, à travers quelque 20 000 entreprises - mais le secret de leur réussite ne vient pas uniquement de la vision stratégique de leurs dirigeants, ni de la réponse apportée à un besoin, de mobilité pour BlaBlaCar, ou d'accès, en un clic, à une large gamme de produits d'assurance et de services santé, pour Alan. C'est leur culture d'entreprise, bien spécifique et parfaitement pensée, qui fait la différence, et surtout, qui attire les meilleurs talents pour booster la performance...

C'est d'ailleurs ce que les deux entrepreneurs de choc ont mis en avant au dîner du Cercle Humania. De fait, si les 550 salariés d'Alan en Europe et les 700 de BlaBlaCar, dans 12 pays à travers le monde, sont pleinement engagés dans la réussite de l'entreprise, d'autant que, de surcroît, ils en sont actionnaires, c'est que leur employeur cultive des valeurs qui les portent. Jean-Charles Samuelian-Werve, qui enlève sa veste sur scène pour être plus à l'aise et plus en intimité avec l'auditoire, révèle qu'il a réfléchi à la culture d'entreprise, fondée sur quelques grands principes de leadership, dès le début de l'aventure.

Transparence radicale

« Du fait que nous sommes dans l'assurance, explique-t-il, nous avons pensé à nos futurs salariés de la même façon qu'à nos futurs assurés. » Ce qui implique entre autres ce qu'il appelle « une transparence radicale », qui s'applique aussi bien aux informations, y compris financières, de l'entreprise, qu'aux salaires, accessibles à tous - « ce qui évite aussi les bruits de couloir », souligne-t-il -, sans oublier que les dirigeants et tous les membres du conseil d'administration sont tenus pour responsables de leurs actions et « jugés par les salariés », ajoute-t-il. Quant aux salariés eux-mêmes, pas question de leur dire ce qu'ils doivent faire. « Nous avons cassé le management hiérarchique, pour passer du contrôle au contexte », enchaîne-t-il.

Ce qu'il veut dire par là, c'est que si la communication est essentielle, l'autonomie l'est également. Ainsi, la prise de décision se fait souvent avec très peu de validation hiérarchique, mais avec les meilleures données disponibles pour décider - et sans forcément vouloir le consensus à tout prix, d'ailleurs... Autant de conditions qui permettent, selon lui, aux collaborateurs de se concentrer sur leurs tâches et sur l'impact qu'ils vont pouvoir avoir grâce à leur travail quotidien. En conséquence, le rôle de manager classique n'existe pas chez Alan. Certains jouent le rôle de coach, et Alan s'est même doté d'une école de coaching en interne, pour permettre aux équipes de s'améliorer via du feedback sur la performance donné toutes les deux semaines, la performance individuelle étant ensuite examinée tous les six mois par les pairs, tandis que d'autres sont gestionnaires de projets. Une façon, selon Jean-Charles Samuelian-Werve, de séparer les statuts et de faire en sorte que celui qui gère le travail des équipes au quotidien ne soit pas leur 'supérieur hiérarchique'...

A cela s'ajoute d'autres principes de base, comme le moins de réunions possible, grâce, en particulier, à des outils, asynchrones, de recueil d'idées - à cet égard, le co-fondateur d'Alan précise que ce sont les idées plutôt que leurs auteurs qui sont mises en avant - pour prendre ensuite des décisions, ce qui permet en outre d'archiver un vaste ensemble de données et de s'y référer lorsque la nécessité s'en fait sentir... Et bien sûr, Alan s'intéresse à la tech et à des outils à base d'intelligence artificielle et à ChatGPT pour interagir et dialoguer, à l'avenir, avec les « alaners ». « C'est cette culture, exemplifiée au quotidien, qui fait que les salariés se l'approprient et se sentent appartenir et engagés. Cet alignement est très puissant et ces valeurs se traduisent également par la qualité de nos produits », conclut-il.

Des valeurs qui permettent aussi de recruter les meilleurs talents. Plus de 350 personnes ont ainsi rejoint Alan ces derniers mois, car il n'est pas question, comme cela arrive parfois à des start-up, de se laisser dépasser par l'hypercroissance. « Nos critères  d'excellence se retrouvent aussi dans la manière dont nous recrutons », assure d'ailleurs le dirigeant. La culture d'entreprise est ainsi détaillée aux candidats, pour être sûr qu'ils comprennent - et qu'ils adhèrent. Les objectifs fixés aux ressources humaines ne sont-ils pas de recruter, engager et retenir ?

Des principes simples - et en anglais

Comme Jean-Charles Samuelian-Werve, Frédéric Mazzella a lui aussi pensé très tôt la culture de BlaBlaCar. « Il faut la penser en amont, conseille-t-il d'ailleurs, sinon, l'entreprise grandit de travers. » Mais cela n'empêche en rien les évolutions. « Entre une culture à 50 et une culture à 500, nous avons dû simplifier », avoue-t-il. Sur les dix grands principes de départ, trois ont survécu et trois autres ont été créés, les autres ayant été abandonnés. En outre, alors que la start-up était franco-française à ses débuts, son internationalisation l'a poussée à adopter l'anglais comme langue de travail. Frédéric Mazzella énonce en conséquence des principes dans cette langue, qui vont de « share more, learn more », pour incarner la notion d'apprentissage, d'entraide et de tolérance - y compris à l'échec, ou, pour les réunions, le « dream, decide and deliver », visant à explorer de façon informelle les possibilités, puis à décider d'une marche à suivre et enfin, à la mettre en pratique. Une culture simple, mais traduite tous les jours dans les détails du quotidien, qui donne du sens pour des talents dont les références culturelles et professionnelles peuvent être différentes en fonction de leur pays d'origine.

Frédéric Mazzella va d'ailleurs plus loin. Il a récemment créé, avec quatre partenaires, une nouvelle plateforme, Captain Cause, pour mettre en relation entreprises et associations, l'idée étant de développer le mécénat d'entreprise par ce biais. Les organisations mettent des fonds, mais sollicitent également l'avis des salariés pour financer des causes environnementales ou sociétales. Car il est temps d'agir... « Si un venture-capitaliste regardait le dossier « Terre », il ne mettrait pas d'argent dessus, trop risqué ! », dit-il. Après avoir contribué à décarboner le transport individuel avec BlaBlaCar, le voici donc de nouveau en croisade. Et comme  le dirigeant d'Alan, il estime que c'est le meilleur investissement RH qu'une entreprise puisse faire... Sens, cohésion d'équipe, fierté : les organisations semblent avoir bien compris l'intérêt de s'engager. D'ailleurs, si, en quelques mois, les fondateurs de Captain Cause dont déjà convaincu une centaine d'entreprises (dont Orange, M6, les TGV Lyria...) de financer les projets d'une centaine d'associations sélectionnées par la plateforme pour leur engagement en faveur de la transition écologique et sociale, d'autres devraient suivre, puisqu'à l'issue du dîner d'Humania, nombreux sont les dirigeants et DRH qui ont montré leur intérêt pour cette solution.

En fait, les deux dirigeants invités par le Cercle Humania prouvent que si le succès peut passer par diverses formules et des cultures d'entreprise différentes, il est universel. Les collaborateurs le savourent de la même façon, un peu partout dans le monde - tout comme ils apprécient le sens de leur travail et les initiatives, en faveur de la planète ou de la société civile, prises par leur employeur.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.