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Climat : la ville actrice de la transition énergétique

Aspen, Cap Town, Barcelone, Copenhague, Rotterdam, Malaunay… quel point commun entre ces différentes villes ? La prise en compte des questions climatiques via la réduction des coûts énergétiques, la production locale d’une énergie verte, la création de coopératives… (Cet article est issu de "T" La Revue de La Tribune - N°3 Février 2021)
La commune d’Aspen (7 000 habitants) nichée au cœur des Rocheuses dans le Colorado, réputée pour sa très chic station de ski, est à la pointe de la transition énergétique. En 2015, elle a été l’une des toutes premières villes américaines à utiliser une électricité issue à 100 % d’énergies renouvelables.
La commune d’Aspen (7 000 habitants) nichée au cœur des Rocheuses dans le Colorado, réputée pour sa très chic station de ski, est à la pointe de la transition énergétique. En 2015, elle a été l’une des toutes premières villes américaines à utiliser une électricité issue à 100 % d’énergies renouvelables. (Crédits : Jonathan Ross)

La commune d'Aspen avec ses quelque 7 000 habitants, nichée au cœur des Rocheuses dans le Colorado, est réputée pour sa très chic station de ski, considérée comme l'une des plus huppées de la planète. Si sa renommée repose principalement sur ses sports d'hiver et ses nombreuses enseignes de luxe, Aspen cultive aussi d'autres atouts moins connus du grand public. À la pointe de la transition énergétique, elle a été, en 2015, l'une des toutes premières villes américaines à utiliser une électricité issue à 100 % d'énergies renouvelables, provenant essentiellement de centrales hydroélectriques, mais aussi de champs éoliens et d'unités de biogaz. Son activité économique étant étroitement liée à la préservation de l'environnement, la station de ski s'est dotée, dès 2007, d'un plan climat. Une exception à l'époque.

Aujourd'hui, la prise en compte des questions climatiques à l'échelle des villes s'est largement répandue. Mi-2019, plus de 100 000 villes, représentant 10 % de la population mondiale, s'étaient engagées à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone (le principal responsable du réchauffement climatique), selon une étude de REN21 (Renewable Energy Policy Network for the 21st Century), un groupe de réflexion sur les énergies renouvelables. D'après ce même rapport, plus de 6 000 villes, essentiellement situées en Europe de l'Ouest, avaient déjà publié un plan climatique détaillé compatible avec les objectifs de l'Accord de Paris, qui vise à contenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C en 2100 par rapport à l'ère préindustrielle. Cinquante-huit villes dans le monde étaient même déjà alimentées par une électricité 100 % renouvelable en 2019, selon le décompte de l'Agence internationale des énergies renouvelables (Irena). Elles sont, par ailleurs, 318 à s'être fixé ce même objectif avec des échéances situées entre 2025 et 2050.

Ville en quête d'autonomie

Au-delà des chiffres, l'engagement des villes se traduit aujourd'hui par un mouvement de réappropriation de l'approvisionnement énergétique. Cap Town a ainsi obtenu gain de cause devant la justice contre le gouvernement national. La métropole sud-africaine peut désormais décider librement de son approvisionnement en électricité pour poursuivre sa stratégie ambitieuse de décarbonation. En Espagne, Barcelone a créé, en juillet 2018, sa propre entreprise énergétique, Barcelona Energía, pour fournir de l'énergie renouvelable produite sur place aux habitants de la ville et aux installations municipales.

Dans la même dynamique, Paris s'apprête à créer un nouvel opérateur public, baptisé Énergies de Paris, pour accélérer sa transition énergétique. Celui-ci aura pour mission « de catalyser nos objectifs de transition énergétique, notamment dans la dimension production et développement d'énergies renouvelables, mais aussi dans l'achat groupé d'énergie verte, où plusieurs expérimentations sont en cours », précise Dan Lert, adjoint à la mairie de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l'eau et de l'énergie.

Cette mobilisation des métropoles est loin d'être anodine. En témoigne la portée de certaines initiatives qui dépasse largement leurs frontières. En Espagne toujours, les ambitions de Barcelone en matière d'énergie solaire ont directement influencé le cadre réglementaire national. En 2000, la ville catalane a été l'une des premières en Europe à exiger que tous les bâtiments neufs et rénovés utilisent l'énergie solaire pour couvrir a minima 60 % des besoins en eau chaude des bâtiments. Par la suite, cette exigence a été étendue à l'ensemble du pays.

« Il y a une vraie tendance de fond. De plus en plus de villes se reconnaissent comme un acteur important de la transition énergétique », observe Rana Adib, à la tête du réseau REN21. « Par ailleurs, le rôle des villes ne se limite pas à la seule question de l'électricité, qui ne figure historiquement pas dans leur mandat. Elle s'étend aussi à l'efficacité énergétique des bâtiments, aux réseaux de chaleur et aux transports publics qui sont au cœur de leur périmètre d'action », ajoute-t-elle. Ainsi, un certain nombre de villes revoient aujourd'hui leurs ambitions à la hausse avec la volonté d'éliminer aussi les combustibles fossiles dans le chauffage, le refroidissement, les transports et l'industrie.

Ville résiliente

Comment expliquer cet engouement pour les énergies renouvelables ? Sur le plan climatique, les villes sont responsables de plus de 70 % des émissions mondiales de CO2. Elles ont donc un rôle crucial à jouer dans la lutte contre le réchauffement de la planète. Mais selon Rana Adib, les motivations sont beaucoup plus nombreuses et vont bien au-delà de cette prise de conscience climatique. Si les villes veulent accélérer leur transition c'est aussi pour des raisons économiques. L'objectif est de réduire les coûts énergétiques. « Au niveau des transports publics, l'énergie représente le deuxième poste après les ressources humaines. Et l'éclairage public peut représenter jusqu'à 10 % des coûts énergétiques des villes », souligne la spécialiste.

La lutte contre la pollution de l'air, responsable de 9 millions de morts prématurées à l'échelle de la planète, figure aussi parmi les premières motivations des métropoles. Pour répondre à cette problématique, Copenhague a, par exemple, mis en circulation quelque 400 bus électriques dans ses rues et s'apprête à électrifier ses ferries. Une démarche dans laquelle s'est aussi lancé le Grand port maritime de Marseille (GPMM). Objectif : raccorder au réseau électrique d'Enedis l'ensemble des ferries à quai, aujourd'hui très gros consommateurs de fioul lourd, avant la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Dans un souci de résilience face au changement climatique qui montre déjà ses effets, les villes cherchent également à sécuriser leur approvisionnement énergétique par le développement de réseaux d'énergies renouvelables, par nature décentralisés. Non seulement ces derniers sont plus résistants et flexibles que les réseaux centralisés face aux aléas climatiques, mais leur extension est aussi synonyme de créations d'emplois non délocalisables. Enfin, l'essor des énergies vertes peut constituer un levier pour accroître l'attractivité d'une localité. « Rotterdam, par exemple, a développé toute une stratégie de développement durable autour de son port et cela a un impact très important auprès des industriels qui s'y installent pour limiter leur propre empreinte carbone. Cette attractivité se traduit par des ressources supplémentaires pour la ville via les taxes », illustre Rana Adib. « Les villes des pays en développement, elles aussi, poussent le développement des énergies renouvelables mais pour des raisons différentes. Leur vraie motivation c'est de parvenir à une autonomie en électricité car bien souvent cet accès n'est pas garanti, même lorsqu'il existe un réseau », ajoute la spécialiste.

Une production locale

Dans les faits, pour augmenter la proportion d'énergies renouvelables dans leur consommation énergétique, les villes s'attellent surtout à réduire cette consommation. « La meilleure énergie, c'est celle que l'on ne consomme pas. Il faut à tout prix diminuer notre consommation. Aujourd'hui, la consommation énergétique de Paris c'est 31 Twh. Notre ambition c'est de diminuer cette consommation de 35 % en 2030, et de la diviser par deux à l'horizon 2050 », expose Dan Lert.

Ces enjeux autour de la consommation vont de pair avec le développement de la production. Ici, les métropoles s'appuient sur plusieurs leviers pour verdir leur approvisionnement dont l'achat d'énergie verte, via des certificats, et l'achat direct d'énergies renouvelables auprès de producteurs, via des contrats d'achat d'électricité renouvelable long terme (ou PPA en anglais).

Mais les collectivités entendent également produire localement une partie de cette énergie verte afin de limiter leur dépendance au réseau. La ville de Paris, par exemple, vise 45 % d'énergies renouvelables en 2030, dont 10 % produites localement. « L'enjeu c'est de réussir en dix ans ce que nous avons fait en 15 ans », résume Dan Lert. Aujourd'hui, les énergies renouvelables ne comptent que pour 21 % de la consommation énergétique de la ville. « La pente est raide », reconnaît-on au sein de l'exécutif parisien, alors que le foncier disponible pour développer de l'énergie solaire est une denrée rare.

Un des points clés pour relever le défi de la production locale repose sur l'acceptation citoyenne, car aujourd'hui encore les recours juridiques contre la mise en place de champs éoliens et les centrales solaires, dans une moindre mesure, sont nombreux. Par rapport aux grandes métropoles, les villes de campagne, « les petits poucets » ont une carte à jouer grâce aux liens de proximité noués avec leurs habitants, estime Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et président de la métropole Rouen Normandie, composée à 63 % de communes rurales. L'élu cite ainsi l'exemple de Malaunay en Seine-Maritime (lire notre article page 114). Une commune de 6 000 habitants située à une quinzaine de kilomètres de Rouen.

« En déployant des panneaux photovoltaïques sur la toiture de son église et de ses bâtiments communaux, elle a profondément fait évoluer son mix énergétique. En impliquant ses habitants, ses émissions de CO2 ont été divisées par quatre en l'espace de dix ans et sa consommation énergétique a baissé de 32 % », fait-il valoir. « Il y a un bénéfice économique, mais aussi un bénéfice citoyen avec un fort sentiment d'appropriation. Les habitants se sentent acteurs du changement », souligne le président de la métropole.

Coopératives énergétiques

Or cette volonté de participer activement à la transition énergétique se fait de plus en plus forte. Elle se matérialise par l'expansion des coopératives d'énergie citoyennes en quête de démocratisation énergétique. On en compte un peu plus d'un millier en Allemagne, et environ 300 en France. Si ces coopératives se sont d'abord formées dans les territoires ruraux, là où le foncier est plus largement disponible, ce mouvement s'étend désormais aux milieux urbains denses, comme à Grenoble, Toulouse, Nantes, Lille, Marseille, Lyon et même Paris et sa petite couronne.

Créée en 2016, EnerCit'IF est ainsi la première coopérative énergétique parisienne à avoir vu le jour. À l'aide de la ville, qui a mis à sa disposition des toitures, elle a installé ses premières centrales solaires en juin dernier et les premiers électrons ont été envoyés sur le réseau six mois plus tard. « La première motivation des 300 membres de la coopérative n'est pas la rentabilité financière, mais la volonté de participer activement à la transition et de se réapproprier la question énergétique. L'énergie est centrale dans notre société, mais elle reste encore très éloignée du citoyen », explique Patrick Gèze, président de l'association. Selon lui, ce mouvement citoyen, systématiquement mené en collaboration étroite avec les collectivités locales, permet d'avancer plus rapidement face à l'urgence climatique.

Aujourd'hui, les électrons produits par EnerCit'IF ne sont pas directement consommés par les citoyens producteurs, mais à terme la coopérative entend bien élaborer des projets d'autoconsommation collective. Un dispositif qui a un impact direct sur la facture du citoyen puisque l'électricité consommée par les membres de la communauté issue des énergies renouvelables est directement soustraite de leur facture. De quoi inciter à agir davantage pour la transition énergétique. Aujourd'hui, la France ne compte qu'une quarantaine d'expérimentations de ce genre.

Parmi elles, le projet Harmon'Yeu mené par Engie sur l'Île d'Yeu (Vendée) et inauguré en mars 2020. « On estime que sur une année cela permet à chaque foyer de réaliser 130 euros d'économies », indique Jean Bertrand-Hardy, directeur innovation de la branche d'Engie pour les particuliers. « C'est un investissement rentable, mais c'est aussi une forme de communauté énergétique qui crée du lien social entre voisins », souligne-t-il.

Si leur relation privilégiée avec les citoyens est un atout clé pour accélérer leur virage vers les énergies renouvelables, les villes disposent également d'un autre avantage : « Elles sont beaucoup moins soumises aux pressions qu'exercent les lobbys pro énergies conventionnelles, qui ciblent davantage les gouvernements. Par rapport aux États, les villes ont donc la possibilité de prendre des décisions politiques plus libres », assure Rana Adib. Reste qu'un certain nombre d'obstacles doivent encore être surmontés. « Il faut que les villes se sentent encore davantage actrices sur cette question de la transition énergétique et que le cadre réglementaire national les autorise à être actrices. Les villes doivent également être accompagnées dans cette transition. Notamment les plus petites, qui contrairement aux grandes, n'ont pas facilement accès à l'information et n'ont pas d'équipe dédiée », détaille Rana Adib. La question des moyens, et donc de l'accessibilité aux financements, est aussi cruciale pour les villes. Or, si la crise du coronavirus a renforcé leur motivation, elle n'a pas épargné leur budget.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°3 - Rêvons nos villes - Février 2021 - Découvrez la version papier

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