Coup d'envoi officiel. Les ministres français et allemand de l'Économie, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, ont dévoilé ce jeudi les contours du projet de cloud européen lors d'une conférence de presse en ligne.
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Pourquoi l'Europe veut-elle développer Gaia-X ?
Baptisé "Gaia-X", du nom de la déesse grecque de la Terre, ce projet de cloud européen a été initié par l'Allemagne et la France courant 2019. Le but : reconquérir la souveraineté numérique de l'Europe pour protéger les précieuses données des entreprises du territoire.
Actuellement, le marché du cloud est mondialement dominé par les géants américains (Amazon, Microsoft, Google...), mais aussi chinois (Alibaba). Les entreprises européennes stockent donc leurs précieuses données industrielles sur les infrastructures des mastodontes étrangers de la tech, ce qui suscite de vives inquiétudes concernant la sécurité de ces données.
Les Etats-Unis ont adopté en 2018 une loi extraterritoriale, baptisée Cloud Act (pour « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act »). Elle confère aux autorités américaines, dans le cadre d'une enquête pénale, le droit d'exiger des entreprises le transfert de données vers les États-Unis lorsque celles-ci sont stockées à l'étranger.
Pour donner aux entreprises européennes la possibilité de stocker plus facilement leurs données sur le territoire, sans craindre leurs transferts à l'étranger, Gaia-X vise donc à fédérer et faire émerger des services européens.
"Sans Gaia-X, il n'y a aucun espoir pour de nouveaux acteurs de percer sur le marché européen du cloud car celui-ci se fige naturellement en oligopole", estime-t-on à Bercy.
Sans compter que le marché du cloud n'est pas encore arrivé à maturité. Il a donc vocation à croître massivement dans les années à venir. La crise provoquée par le coronavirus au cours de ces derniers mois pourrait précipiter cette dynamique. "L'importance du marché du cloud a largement été confirmée au cours de ces derniers mois, en raison du développement intense du télétravail, ce qui a forcé de nombreuses entreprises à basculer rapidement vers des services sur le cloud", illustre-t-on à Bercy. En résumé : le cloud est plus que jamais un secteur stratégique.
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À quoi ressemblera Gaia-X ?
Gaia-X est pensé comme une place de marché permettant de mettre en relation fournisseurs de capacités de stockage et entreprises européennes. La plateforme va donc référencer et comparer différentes offres de cloud, tout en permettant à terme le partage de données. Les premiers services proposés par Gaia-X devraient être opérationnels d'ici le début de l'année 2021.
Parmi les principes fondateurs, figure la réversibilité. Gaia-X vise à permettre aux entreprises européennes de basculer facilement d'une offre de cloud à l'autre. Le but : sortir de la "dépendance excessive" aux géants du numérique, selon Bercy. "Il est bien souvent trop difficile de changer de prestataire. Sans compter que les fournisseurs opèrent parfois des changements unilatéraux de prix, ce qui est difficilement gérable pour les plus petites entreprises", qui se retrouvent alors dans une impasse.
Un autre principe sera la transparence. Les services proposés sur Gaia-X devront préciser la localisation des données. Pensé en réponse au Cloud Act, "il sera indiqué pour chaque service s'il peut être soumis, ou pas, à la législation extraterritoriale américaine. Ensuite, ce sera à l'entreprise de faire ses choix", souligne Bercy.
Actuellement, une quarantaine de "cas d'usage" sont à l'étude dans le secteur de l'automobile, de l'aéronautique, de l'énergie à la banque en passant par la santé.
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Qui se cache derrière Gaia-X ?
Pour l'instant, 22 entreprises ont officialisé leur implication dans le projet. Soit 11 sociétés françaises (dont EDF, OVH, Dassault Systèmes, Atos - anciennement dirigé par le commissaire européen Thierry Breton) et 11 allemandes (Siemens, SAP, Deutsche Telekom...)
Dans les mois à venir, elles vont devoir créer une entité légale, qui sera domiciliée en Belgique. Gaia-X fonctionnera en tant qu'association à but non lucratif. Côté financement, chaque membre fondateur va mettre sur la table un ticket initial de 75.000 euros, soit un budget total de départ de plus de 1,5 million d'euros. "Ensuite, chacune des entreprises va investir ses propres ressources pour consolider l'offre de services de Gaia-X", précise Bercy.
En clair, le projet sera largement porté par les acteurs privés. Une fois la phase de lancement passée, l'idée est d'intégrer des entreprises européennes d'autres États membres. Des prises de contact sont déjà en cours avec l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, la Pologne, ou encore la Finlande.
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Les géants américains et chinois seront-ils exclus par principe de Gaia-X ?
Paradoxalement, alors que le projet est censé permettre une reconquête de la souveraineté numérique européenne, les géants américains et chinois pourront prendre part au projet. "S'ils respectent les principes fondateurs, alors ces acteurs pourront y participer comme tout le monde", indique Bercy.
D'ailleurs, Amazon et Microsoft prennent déjà part aux groupes de travail techniques, servant à définir les normes et standards de Gaia-X. En revanche, aucun ne figure parmi les membres fondateurs. "La gouvernance du dispositif sera faite par des acteurs industriels européens", insiste le ministère, "mais il est important d'avoir les acteurs américains dans ces groupes techniques. Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises utilisent leurs services. C'est pourquoi nous devons discuter avec eux pour déterminer les méthodes permettant de passer d'un service à l'autre", justifie-t-on à Bercy.
Pour le ministère de l'Économie, il est possible de "rétablir le rapport de forces entre entreprises européennes et américaines pour que la relation de dépendance, observée depuis 30 ans, cesse".
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