« Avec OneWeb, Intelsat disposera d’une vraie couverture globale » (Thierry Guillemin)

Vice-président exécutif et directeur de la technologie de l’opérateur de satellites, Thierry Guillemin explique pourquoi le groupe s’est allié avec OneWeb, qui souhaite mettre en orbite quelques 900 micro-satellites pour connecter le monde entier.
Pierre Manière
Thierry Guillemin voit dans les avions, les bateaux de croisière et les voitures connectées, d'importants marchés pour les satellites de télécommunication.

Le projet semble tout droit sorti d'un roman de science-fiction. Le 25 juin dernier, OneWeb a levé la bagatelle de 500 millions de dollars. Ce premier tour de table donne le coup d'envoi d'un projet pharaonique : la mise en orbite de 900 micro-satellites de moins de 150 kg en orbite basse d'ici à 2019. But de la manœuvre ? Apporter le haut débit, à un prix « abordable » dans des zones « rurales ou sous-développées » partout dans le monde, affirme OneWeb. Plusieurs grands groupes ont choisi d'épauler cette société, dirigée par le milliardaire américain Greg Wyler, parmi lesquelles Airbus Group, Coca-Cola Company ou l'opérateur de satellites américains Intelsat. Ce dernier a signé un chèque de 25 millions de dollars. Surtout, il mise sur une coopération entre la constellation de OneWeb et sa propre flotte de satellites pour améliorer son offre. Vice-président exécutif et directeur de la technologie du groupe, Thierry Guillemin décortique le projet.

Pourquoi avez-vous décidé de vous joindre à l'initiative de OneWeb ?

Parce qu'elle correspond au projet d'Intelsat. On est depuis longtemps leader dans les télécommunications par satellites, et on regarde évidemment toutes les innovations avec beaucoup d'intérêt. Les constellations de petits satellites nous intéressent depuis longtemps. Ça a commencé dans les années 1990. A l'époque, il y avait beaucoup de projets... Mais à l'époque, les débouchés en termes de business n'étaient pas aussi solides qu'aujourd'hui. Idem pour la technologie, qui n'était pas encore mure... Les choses ont évolué. Aujourd'hui, ce qui nous intéresse particulièrement dans le projet OneWeb, c'est qu'il y a une très bonne complémentarité avec notre propre flotte de satellites géostationnaires. Cela permettra d'offrir au client - et en particulier au client mobile - des performances et des possibilités qu'il n'avait pas précédemment.

Concrètement, comment les deux flottes vont-elles cohabiter ?

Avec Intelsat, nous disposons d'une flotte d'environ 50 satellites en orbite géostationnaire. Ils sont donc situés sur un anneau autour de la Terre, au niveau de l'équateur, à une altitude d'environ 35.000 kilomètres. Cela nous permet de couvrir toutes les régions du monde. Le géostationnaire a un gros avantage : il ne bouge pas quand on le regarde depuis le sol, ce qui permet d'avoir un réseau terrestre extrêmement simple. Chacun de ces satellites couvre à peu près le tiers de la Terre, ce qui offre une très bonne capacité de distribution de contenus.

Avec OneWeb, on va d'abord gagner en complémentarité géographique. Car malgré leurs atouts, les satellites en orbite géostationnaires ne couvrent pas les régions polaires. Or dans les domaines aéronautique (avec les compagnies aériennes, en particulier) et maritime (avec la marine marchande), les régions polaires sont très intéressantes puisqu'elles figurent sur des routes internationales. Ainsi, les satellites de OneWeb, présents dans ces zones, constituent pour nous l'opportunité de disposer d'une vraie couverture globale.

En parallèle, OneWeb pourra bénéficier de notre avantage dans les régions équatoriales. De fait, toutes ces constellations de satellites en orbite basse ont un problème fondamental : ils ont des droits en terme de fréquences qui ont une priorité inférieure aux droits des satellites en orbite géostationnaire.

C'est-à-dire ?

Cela signifie qu'une constellation de satellites comme OneWeb n'a le droit d'opérer que dans la mesure où elle ne créée pas d'interférences avec les satellites géostationnaires. C'est une contrainte très importante sur une partie de la couverture près de l'équateur, qui concerne donc une large part de la population mondiale. Ainsi, en rendant les deux flottes interopérables, on donne la possibilité au client de passer des satellites de OneWeb à ceux d'Intelsat quand ils sont dans les régions équatoriales. Cela va donc permettre à OneWeb d'avoir accès à ces régions sans avoir à négocier des accords de non-interférence avec tous les opérateurs de satellites géostationnaires existants.

Quels sont, pour vous, les autres avantages de la constellation OneWeb ?

Les satellites à basse altitude sont accessibles dans un éventail de directions plus grand. Par exemple, il faut toujours regarder vers le sud se connecter à un satellite géostationnaire. Ainsi, si vous êtes en ville, avec des immeubles un peu hauts, la connexion peut être bloquée, alors qu'elle pourrait être possible avec un satellite de OneWeb. Bref, on va optimiser la gestion des deux flottes pour avoir à la fois l'efficacité du géostationnaire, mais aussi l'élévation, l'accès et l'angle de vue des satellites de la constellation en orbite basse.

Apporter de la connectivité et Internet aux avions, qu'est-ce que cela pèse en terme de marché ?

Le marché aéronautique représente à peu près 47.500 avions, et devrait doubler à l'échéance de 2024. A cette date, les revenus attendus des services de connectivités aux compagnies aériennes devraient avoisiner les 3,2 milliards de dollars. Aujourd'hui, 1.800 avions - souvent sur des lignes internationales - bénéficient de tels services, et Intelsat pèse la moitié du marché. D'ici à 2024, on estime que 24.000 avions seront équipés [pour offrir Internet aux passagers, Ndlr]. C'est donc un marché très important, qui devrait progresser de 28% par an... Pour l'heure, beaucoup de compagnies américaines montrent la voie. Mais pas seulement : en Europe, la compagnie allemande Lufthansa permet aux voyageurs d'accéder à Internet via Intelsat, par l'intermédiaire d'un système de communication développé par Panasonic.

Parmi les débouchés les plus prometteurs, il y a aussi le domaine maritime...

Sur ce créneau, il y a trois secteurs où nous sommes en position de leadership : la marine marchande, les bateaux de croisière, et le marché offshore. Ce dernier regroupe les plateformes pétrolières ou gazières, qui ont besoin d'envoyer des quantités importantes de données sur le continent.

Combien ce marché pèse-t-il ?

Je n'ai pas de chiffres en termes de revenus. Mais on estime qu'aujourd'hui, environ 31.000 bateaux ont potentiellement besoin de connectivité.

Les projets de constellations ne sont pas nouveaux. Mais il semble qu'on est arrivé au point où les avancées technologiques et la demande en connectivité permettent d'envisager avec sérieux de tels déploiements...

C'est tout à fait cela. Côté demande, 3 milliards d'individus n'ont toujours pas de connexion au réseau. En parallèle, la demande de connectivité liée à la mobilité explose. Il y a les avions et les bateaux. Mais parmi les marchés prometteurs, il y a aussi celui de la voiture connectée. Une voiture un peu sophistiquée embarque énormément de logiciels, et compte plus de lignes de code qu'un Dreamliner de Boeing. Actuellement, les fabricants de voitures sont obligés de faire revenir les voitures chez les concessionnaires pour effectuer les mises à jour. Cela coûte très cher, et il y a potentiellement un marché très intéressant pour les satellites...

Côté technologie, la miniaturisation permet de concevoir des satellites plus petits et moins chers. Grâce à leur taille réduite, on peut en empiler plusieurs sur un même lanceur, ce qui réduit le coût des mises en orbites. Dans les années 1990, le projet d'une constellation semblait très risqué. Cela reste un challenge technologique, mais cela apparaît désormais faisable.

Outre OneWeb, SpaceX souhaite aussi mettre en place un gigantesque réseau global d'accès à Internet via 4.000 micro-satellites. Etes-vous engagé dans une course de vitesse ?

On va voir. Pour l'instant, je crois qu'Elon Musk [le fondateur et dirigeant de SpaceX, Ndlr] regarde un peu ses options... Reste que Greg Wyler, le PDG de OneWeb, dispose d'un atout important : le nerf de la guerre dans les satellites de communication, c'est le droit à utiliser les fréquences disponibles. Quand on parle de constellation de petits satellites avec une couverture tout autour de la Terre, il n'est pas du tout facile de coordonner deux systèmes. En cas de difficulté, celui qui est là le premier dispose de la priorité d'utilisation des fréquences. Cela constitue un avantage énorme.

Google et ses ballons qui naviguent dans la stratosphère, Facebook et ses drones... les projets visant à offrir de l'Internet à tous et partout ont le vent en poupe. Quel regard portez-vous sur ces initiatives ?

On y est attentif. A terme, des collaborations sont possibles. On est très ouvert. Mais quand on parle de ballons ou de drones - qui ne se situent qu'à quelques dizaines de kilomètres d'altitude -, le challenge technologique est très élevé. Plus vous vous rapprochez du sol, moins la couverture est importante. Cela signifie qu'il il faut un nombre d'objets encore plus important que ce dont on parle avec les constellations... Résultat, les coûts augmentent, et notamment ceux liés au réseau terrestre. A chaque fois qu'on lance un satellite, un ballon ou un drone, celui-ci doit être connecté à une station sol, elle-même connectée au réseau. Sinon, ça ne peut pas fonctionner. Mais encore une fois, je suis très content de voir la Silicon Vallley s'intéresser à ces problématiques de connectivité. Et j'espère qu'à terme, nous pourrons bénéficier de leurs innovations.

Pierre Manière

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