Guerre des contenus, guerre des prix : le streaming en ébullition

L’arrivée des grands studios hollywoodiens Disney, NBCUniversal et WarnerMedia, va bouleverser le marché du streaming vidéo, dominé par les pionniers Netflix et Amazon.
Sylvain Rolland
En récupérant leur immense catalogue, les studios ont lancé une guerre des contenus, à laquelle se mêlent des trublions comme Apple. Par ricochet, le consommateur va devoir payer plus cher pour bénéficier des mêmes offres.
En récupérant leur immense catalogue, les studios ont lancé une guerre des contenus, à laquelle se mêlent des trublions comme Apple. Par ricochet, le consommateur va devoir payer plus cher pour bénéficier des mêmes offres. (Crédits : DR)

« Le marché est tellement vaste que notre principal concurrent, quand on y réfléchit bien... c'est le sommeil », affirmait en avril 2017, avec une pointe d'arrogance, Reed Hastings, le PDG de Netflix, face à ses investisseurs. Deux ans et demi plus tard, le dirigeant n'ose plus pareille provocation. Car la concurrence a changé de dimension : le streaming est pris d'assaut par les grands studios d'Hollywood, Disney en tête, dès le 12 novembre, en attendant NBCUniversal et WarnerMedia début 2020.

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Ces mastodontes déboulent avec un catalogue colossal et des moyens financiers conséquents pour rivaliser en quantité et en qualité avec Netflix et Amazon Prime Video (voir ci-dessous). Avec l'ambition, à terme, de leur damer le pion, comme l'affiche déjà crânement Disney. De quoi donner quelques insomnies à Reed Hastings ? Si Hollywood se réveille face aux trublions du Net que sont Netflix et Amazon Prime Video, c'est parce que le streaming vidéo par abonnement (SVoD) s'impose de plus en plus dans les usages.

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Désormais, la télévision se consomme aussi à la demande, n'importe quand, n'importe où et sur n'importe quel écran, du téléphone à l'ordinateur en passant par la tablette et le téléviseur.

« La souplesse de la souscription, la simplicité d'utilisation et l'accès à un immense catalogue ont fait entrer la télévision dans une nouvelle ère, décrypte Jean-Pierre Panzani, le directeur des opérations TV et Internet de Médiamétrie. Le spectateur reste attaché au direct et aux rendez-vous imposés par la télévision traditionnelle, mais il souhaite aussi une offre individualisée. On ne peut plus revenir en arrière », ajoute-t-il.

Le petit écran vacille

Signe de la démocratisation du streaming, plus de 200 millions d'Américains seraient abonnés à au moins une offre de SVoD, dont 60 millions à Netflix. Autrement dit : le streaming touche quasiment autant de monde aux États-Unis que la télévision traditionnelle, incarnée par les quatre grandes chaînes accessibles à tous NBC, CBS, Fox et ABC, filiales des grands studios d'Hollywood et principaux diffuseurs de séries depuis des décennies. Mais le petit écran vacille. L'audience moyenne des « big 4 » a chuté de 20 % entre 2014 et 2018 d'après le cabinet Nielsen, et leurs revenus publicitaires déclinent depuis deux ans.

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Plus grave, le basculement se fait surtout auprès des 18-44 ans, la cible préférée des annonceurs. Ainsi, 68 % des utilisateurs américains de Netflix ont moins de 44 ans (53 % pour la SVoD en général), alors que ce chiffre plonge à 24 % pour la télévision traditionnelle... Traduction : non seulement les chaînes de TV des studios se ringardisent, mais les trublions du streaming s'enrichissent sur leur dos ! D'après une étude de l'institut 7Park Data publiée en juillet, deux tiers du temps passé sur Netflix l'est devant du contenu acheté sous licence aux studios (80 % fin 2018). Netflix et Amazon - qui ne viennent pas d'Hollywood - en sont donc très dépendants... ce qui offre aux studios une opportunité pour revenir dans la course.

De fait, la guerre des contenus est déjà féroce. Menacé de voir son catalogue asséché, Netflix a investi 13 milliards de dollars en 2018 et 15 milliards en 2019 pour enrichir son offre, et n'hésite plus à annuler brutalement ses séries les moins populaires - quitte à provoquer la colère des fans - pour diriger l'argent vers de nouveaux projets.

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Course aux talents

La course aux talents prend également des proportions folles. WarnerMedia a déboursé 275 millions de dollars pour s'offrir JJ Abrams (Lost, Star Trek, Star Wars). Netflix a payé 200 millions de dollars pour débaucher les créateurs de Game of Thrones à HBO. Apple s'est assuré les prochains projets d'Oprah Winfrey et de Steven Spielberg, tandis qu'Amazon a lâché 250 millions de dollars pour obtenir les droits d'adaptation de la mythique saga Le Seigneur des anneaux. Désormais, même les vieilles séries populaires s'arrachent. WarnerMedia a chipé les droits de diffusion de The Big Bang Theory et de Friends à Netflix pour respectivement 1 milliard et 425 millions de dollars afin de nourrir sa future plateforme HBO Max.

JJ Abrams, réalisateur de la série Lost et de deux épisodes de Star Wars et de Star Trek

[Pour s'offrir JJ Abrams, le réalisateur de la série Lost et de deux épisodes de Star Wars et de Star Trek, WarnerMedia n'a pas hésité à débourser 275 millions de dollars.]

NBCUniversal a également sorti 500 millions de dollars pour récupérer les droits de The Office. À défaut de conserver ses plus grands succès, Netflix a débloqué à son tour 500 millions de dollars pour obtenir Seinfeld, comédie culte de la chaîne NBC, à partir de 2021. L'inflation est délirante  : Hulu avait payé 130 millions de dollars en 2015 - la somme paraissait énorme à l'époque - pour acquérir les droits de cette série achevée il y a vingt ans. Les mouvements de catalogue vont donc être nombreux dans les prochains mois.

Combien est-on prêt à payer pour le streaming ?

Par ricochet, la guerre des contenus va aussi impacter les consommateurs. Si les acteurs actuels - principalement Netflix et Amazon Prime Video - perdent des séries populaires, il faudra s'abonner à de nouveaux services pour bénéficier d'un catalogue aussi attractif qu'aujourd'hui. La question devient donc : combien est-on prêt à payer pour le streaming ? Aux États-Unis, où la facture moyenne pour les chaînes de télévision s'élève à 107 dollars par mois, une étude de Deloitte estime que les Américains sont déjà abonnés à quatre services (en comptant les multiples offres thématiques qui pullulent outre-Atlantique), et qu'ils seraient prêts à doubler ce nombre en rognant sur le budget dédié au câble.

En France, la donne est très différente. La télévision traditionnelle domine encore très largement dans les usages - plus de 40 millions de Français l'ont regardée en septembre 2019 - et le marché du streaming y est encore beaucoup plus limité, même si Médiamétrie indique que 17,2 millions de Français sont familiers avec l'usage. D'après une étude de l'institut Harris et du cabinet NPA Conseil, parue fin octobre, le panier moyen que les Français disent pouvoir consacrer aux services de streaming, actuels ou à venir, n'est que de 11 euros par mois. Un montant très faible, bien que probablement sous-estimé étant donné que l'usage de streaming est encore loin d'être général, contrairement aux États-Unis. En l'état, il est tout de même difficilement compatible avec l'abonnement simultané à plusieurs services. Les nouveaux entrants, y compris Canal+ et Salto, devront donc muscler leur jeu pour convaincre.

Lire aussi : Netflix, Disney+ : les Français partagés face à la multiplication des offres de streaming

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ZOOM

« Netflix des cathos », « Netflix porno »... La SVoD de niche explose

En 2016, le pape François encourageait les fidèles à devenir des « citoyens du numérique » pour diffuser la parole divine. Il joint désormais le geste à la parole en soutenant VatiVision, le « Netflix des catholiques » créé par l'Officina della Comunicazione (qui produit des programmes pour la chaîne TV du Vatican), et la société italienne Vetrya. Prévu pour le premier trimestre 2020, le service de SVoD s'adresse aux 1,3 milliard de catholiques dans le monde et leur proposera des films, séries et documentaires liés à la foi. Loin d'être une exception, de plus en plus de nouveaux services de niche misent sur la richesse d'un catalogue spécialisé. Du porno (AdultRental, Xillimité) au manga (Crunchyroll, ADN), en passant par la musique (Medici.tv pour le classique, Qwest TV pour le jazz) et le cinéma d'auteur (LaCinetek, Tënk), il y en a pour tous les goûts.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 01/11/2019 à 12:17
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Vu que des parties de pétanque sont diffusées sur la TNT, à mon avis le truc à de l'avenir. La pollution électrique est un autre domaine.

à écrit le 01/11/2019 à 11:05
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"« Le marché est tellement vaste que notre principal concurrent, quand on y réfléchit bien... c'est le sommeil »" A comparer avec le "mon boulot c'est de vendre du temps de cerveau disponible à coca cola" de Lelay Il est vaste dans la tête de...

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