« Beaucoup de patrons ne voient pas l'IA générative comme un outil de destruction du travail » (Martin Pavanello, Mister IA)

ENTRETIEN. Comment les entreprises peuvent-elles concrètement utiliser les outils d'intelligence artificielle générative, comme ChatGPT, Midjourney, Bard, Heygen ou Copilot ? Que recherchent les dirigeants en intégrant cette technologie ? Quel impact sur l'emploi ? La Tribune fait le point avec Martin Pavanello, cofondateur et PDG de la startup Mister IA, spécialisée dans l'audit, la formation et l'implémentation d'outils d'IA générative dans les entreprises.
Sylvain Rolland
Martin Pavanello, CEO de Mister IA.
Martin Pavanello, CEO de Mister IA. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Mister IA était à l'origine d'une newsletter pour démocratiser l'intelligence artificielle générative. Désormais, c'est une startup à mi-chemin entre le conseil et la formation, et vous levez 1 million d'euros pour vous développer. Pourquoi ce virage ?

MARTIN PAVANELLO - Je suis un passionné d'intelligence artificielle et j'adore le format de la newsletter. Donc logiquement, j'ai lancé Mister IA en février 2023 sous cette forme. Je me suis rendu compte que l'arrivée de ChatGPT en novembre 2022 est vraiment un game changer pour populariser l'intelligence artificielle et transformer les entreprises. J'ai aussi réalisé que beaucoup de personnes s'intéressent à l'IA générative, mais peu comprennent vraiment comment ça fonctionne et surtout, comment s'en servir correctement. La newsletter avait donc vocation à décrypter les actualités, comme l'arrivée d'une nouvelle fonctionnalité de ChatGPT ou le projet d'une entreprise comme Carrefour dans l'IA générative, présenter les derniers outils et encourager les gens à s'en servir. Au bout de deux mois, on était la plus grosse newsletter en France sur le sujet, avec deux éditions par semaine et 20.000 abonnés.

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Avec mon frère, nous avons senti un vrai besoin et nous nous sommes interrogés sur l'évolution de la newsletter et la monétisation de nos services. Nous nous sommes rendu compte que notre newsletter était plébiscitée par les entreprises. Alors nous sommes allés voir nos clients pour comprendre leurs besoins. Il y a beaucoup de travail, car un sondage récent établit que 72% des Français estiment ne pas savoir se servir de l'IA générative.

Quels services proposez-vous ?

Depuis juin, nous avons transformé Mister IA en startup avec trois volets : l'audit et le conseil ; la formation ; et le réseau. Nous avons aujourd'hui une cinquantaine de clients, qui se répartissent à 40% sur l'audit/conseil et à 60% sur la formation.

Côté audit et conseil, il s'agit d'envoyer des consultants dans un service d'une entreprise pour déchiffrer ce que font les collaborateurs, identifier les outils utilisés, les livrables, les tâches répétitives, etc. A partir de cet audit, nous recommandons des outils d'IA générative. Ce sont des missions peu onéreuses - 15.000 euros pour l'audit d'un service -, et notre principal argument est qu'on s'engage à ne rien déstructurer : on ne propose pas un nouveau CRM, ni un nouveau cloud. Il s'agit juste d'intégrer les outils pertinents d'IA générative pour améliorer la productivité de 5% à 10% et faciliter le travail des collaborateurs.

Le volet formation consiste à tenir nos clients à jour dans l'IA générative, qui est un domaine qui évolue à toute vitesse, en leur expliquant qui sont les nouveaux acteurs, quelles sont les nouvelles fonctionnalités et comment s'en servir et les implémenter. Nous proposons un abonnement annuel - entre quelques centaines d'euros et 5.500 euros par an pour une trentaine de collaborateurs - à une plateforme de e-learning, qui contient des vidéos et des tutoriels dédiés à des cas d'usage concrets.

Par exemple, il y a un tuto qui explique comment un directeur des ressources humaines peut utiliser ChatGPT pour faciliter ses recrutements, ou comment un sales [vendeur, ndlr] peut utiliser des outils d'IA générative pour faire des résumés de réunion et mieux cibler les prospects. Nous apprenons également aux équipes à prompter, c'est-à-dire à savoir bien écrire les commandes qui permettent aux IA génératives de générer des contenus. Savoir prompter correctement est crucial. Enfin, tous les deux mois, nous proposons des formations pour faire le point sur les nouveaux outils qui sortent en permanence, car l'IA générative est une vraie jungle.

Enfin, nous lançons en cette rentrée un club de dirigeants, sous la forme d'un dîner tous les mois entre les patrons clients de Mister AI, pour se rencontrer et échanger sur l'IA afin de mieux saisir les enjeux, l'évolution de l'écosystème et les stratégies à mettre en place. Ce membership coûte 4.500 euros par an.

Concrètement, comment les entreprises utilisent-elles l'IA générative ?

Nos clients sont essentiellement des PME et des grands groupes, comme Swiss Life, la Caisse des dépôts, la Société Générale ou encore des majors dans l'immobilier. Les cas d'usage peuvent être très variés. Une fois que les salariés maîtrisent les deux ou trois outils d'IA générative que nous leur proposons et qui sont adaptés à leur métier, c'est un vrai soulagement pour eux.

Un outil d'IA générative très apprécié est le résumé et la synthèse de réunions. Une fois configuré, l'outil peut être branché sur le logiciel de visioconférence, il enregistre les conversations, identifie qui dit quoi, puis fait un résumé, une synthèse et établit la liste des actions à réaliser pour chacun avant la prochaine réunion. De leur côté, les équipes des ressources humaines apprécient la génération automatique de fiches de poste. Pour les équipes juridiques, nous proposons des outils de lecture, de correction et d'amélioration de contrats, par exemple.

L'IA générative est aussi très utile pour le service client. Par exemple, nos clients dans l'immobilier gèrent des milliers d'appartements. Donc le téléphone sonne toute la journée. Nous leur avons fourni des solutions sur-mesure d'IA générative pour répondre automatiquement aux demandes.

Pour nos clients fonds d'investissements, qui travaillent beaucoup sur la data financière, nous les orientons vers des solutions d'IA générative pour créer automatiquement et manipuler des fichiers Excel ou PowerPoint, rechercher et inventer des formules spécifiques, ou analyser des fichiers PDF pour en extraire l'information pertinente. Cela fait gagner beaucoup de temps aux analystes et aux stagiaires.

Comment décidez-vous de conseiller tel outil plutôt qu'un autre ? Avez-vous des partenariats avec certains acteurs de l'IA générative, comme OpenAI ou Google ?

Nous n'avons aucun partenariat avec des leaders du secteur, mais ce n'est pas quelque chose que nous excluons à l'avenir, car nous voulons nous positionner comme tiers de confiance entre les meilleurs outils du marché et les entreprises. Cela ne changera pas notre manière de procéder, qui est de proposer à nos clients le meilleur des outils du marché en fonction de leurs besoins. Nous pouvons aussi aider nos clients à développer eux-mêmes les outils dont ils ont besoin.

Concrètement, nous travaillons avec AODocs pour les contrats, Noota pour le résumé de réunion, Copilot pour les développeurs, Heygen pour la création de vidéos, Midjourney pour les équipes marketing... L'objectif n'est pas de multiplier les logiciels, car cela fait peur aux collaborateurs, mais d'apporter un maximum de valeur avec un minimum d'outils. Mieux vaut utiliser par exemple ChatGPT, Midjourney et deux-trois autres en fonction des besoins et des services, qu'une suite de 15 produits. Notre proposition de valeur vient aussi de notre connaissance pointue de chaque outil du marché, ce qui nous permet de choisir le meilleur pour chaque usage et pour chaque client.

Quelles sont les motivations des dirigeants d'entreprise vis-à-vis de l'IA générative ?

Leur but premier est que leurs collaborateurs gagnent en productivité. Ce n'est pas, ou plus, un effet mode : les dirigeants comprennent que l'intelligence artificielle générative est un sujet structurant, une vague de fond. Ils voient que les plus grosses entreprises investissent beaucoup et qu'il peut y avoir de gros gains de compétitivité. Ils comprennent aussi que l'utilisation de l'IA générative va être un avantage concurrentiel.

Mais pour la première fois, il y a quelques semaines, une grande entreprise, l'Américain Onclusive, a licencié plusieurs centaines de personnes en France pour les remplacer par un logiciel d'IA générative. Qu'en pensez-vous ?

Pour moi la grande destruction du travail par l'IA relève davantage du fantasme que de la réalité. La question, c'est l'évolution des métiers. Ces emplois étaient-ils en sursis avant l'émergence de l'IA générative ? Dans certains secteurs, on voit que les recrutements de certains profils ralentissent, que la situation macroéconomique se tend, notamment dans le secteur du conseil dans lequel évolue Onclusive. Est-ce une corrélation ou une causalité ? C'est une question complexe, je n'ai pas la réponse, probablement un peu des deux.

Personnellement, je ne crois pas que l'IA générative détruira beaucoup d'emplois à moyen terme. Personne n'a intérêt à annoncer de grands plans de licenciement, car cela dégrade l'image des entreprises et ne donne pas confiance au client, qui aura toujours besoin d'une relation humaine avec ses partenaires. Je remarque que les gains de productivité recherchés par les entreprises sont surtout pour réduire la charge de travail, donc améliorer la qualité du travail, et automatiser les tâches les plus répétitives, mais pas dans une logique de remplacement des salariés. Je n'ai pas entendu à ce stade parmi mes clients la volonté d'utiliser l'IA pour réduire la masse salariale.

Beaucoup de patrons veulent gagner 10-15% de productivité et en profiter pour passer à la semaine de quatre jours par exemple, pour rester compétitif dans la guerre des talents qui est toujours une réalité dans les entreprises, surtout pour les postes tech. Y a-t-il des entreprises qui vont licencier grâce à l'IA ? Certainement. Mais je pense que beaucoup de patrons ne voient pas les choses comme ça.

En revanche, je pense que l'impact sur l'emploi sera à plus long terme. Dans une dizaine d'années, quand l'IA se sera généralisée et que les collaborateurs auront été formés aux logiciels d'IA générative, on ne recrutera plus que 3 ou 4 personnes contre 10 aujourd'hui.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

Sylvain Rolland

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Commentaires 6
à écrit le 18/10/2023 à 12:00
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Bonjour, Si ça se termine comme au Japon : plus de technologie et moins d'immigration, mol ça me va tout à fait. Et se servir de l'IA pour gérer les expulsions.

à écrit le 17/10/2023 à 17:20
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Tout chef d'entreprise , de l'artisan commerçant au dirigeant de grand groupe est attentif à toutes les innovations quelque domaine qu'elles concernent à défaut ils mettraient en péril leurs entreprises à l'exemple de Kodak leader mondial du développ...

à écrit le 17/10/2023 à 13:48
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« Beaucoup de patrons ne voient pas l'IA générative comme un outil de destruction du travail » Il y a la liste des métiers qui seront supprimé par l'IA sur le net .

à écrit le 17/10/2023 à 13:14
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"Beaucoup de patrons ne voient pas l'IA générative comme un outil de destruction du travail". Ben tu m'étonnes mon n'veu, le haut patronnat est devenu un "financier", pas un économiste. Et pour un financier, seul le profit importe au détriment du fa...

à écrit le 17/10/2023 à 12:29
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Question: depuis quand "les patrons" s'occupent de la pérénnité des emplois ? De leurs entreprises, oui. Après que travail soit humain ou pas... Cf analyse avant migration vers la Chine il y a une génération ???

le 17/10/2023 à 14:50
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"s'occupent de la pérennité des emplois" mais s'inquiètent parfois que leur salariés ne font plus corps avec leur travail & entreprise, sachant qu'ils sont remplaçables par fonction identique, jetables en fait, ou comme un(e) intérimaire à durée inco...

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