
Nouvelle ère pour ChatGPT, le célèbre agent conversationnel nourri à l'intelligence artificielle générative. Lundi 28 août, son éditeur, OpenAI, a mis en ligne ChatGPT Enterprise, une version dite « améliorée » du chatbot. L'entreprise proposait déjà une API [une interface permettant de connecter un logiciel à un autre, ndlr] plébiscitée par des entreprises. La version professionnelle de ChatGPT permet toutefois un « niveau de sécurité et de confidentialité des données vraiment adapté aux entreprises », d'après le billet de blog présentant cette nouvelle offre.
« ChatGPT Enterprise supprime toutes les limites d'utilisation et fonctionne jusqu'à deux fois plus rapidement » revendique OpenAI, qui promet aussi « des capacités avancées d'analyse de données » et des « options de personnalisation » selon le secteur du client, pour un prix à la carte, en fonction des usages. Et la direction d'OpenAI de claironner, un peu vite : « Aujourd'hui marque une nouvelle étape vers l'adoption de l'IA dans le cadre du travail ».
La sécurité et la confidentialité des données, la grande faiblesse de ChatGPT
Si le potentiel de l'intelligence artificielle générative en entreprise pourrait se révéler colossal d'après de nombreuses études, tout reste encore à faire, ou presque, pour ChatGPT en entreprise.
Concrètement, la version professionnelle de ChatGPT ressemble à Bing Chat Enterprise, déjà proposé par Microsoft - le principal investisseur d'OpenAI - et basé sur GPT4, la dernière version du service. Comme le module grand public, ChatGPT Enterprise se conçoit comme un outil de productivité : l'utilisateur effectue une demande (un « prompt » dans le jargon), puis le logiciel, grâce à ses milliards de données d'entraînement, est capable d'y répondre en quelques secondes sous la forme d'un texte construit et structuré. Dans le monde professionnel, ChatGPT permet ainsi, par exemple, d'élaborer des présentations commerciales ou marketing, de rédiger des comptes-rendus ou des fiches de poste, d'analyser des documents et d'en faire des synthèses, de créer des graphiques, voire de générer du code informatique, entre autres usages.
« Des équipes ont adopté ChatGPT dans 80% des entreprises du Fortune 500 », se félicite OpenAI. Une manière de suggérer que le chatbot est déjà très bien implanté dans le monde professionnel.
Mais la réalité est plus contrastée, comme l'explique à La Tribune un membre de la direction d'une grande banque française. « Certains geeks s'amusent avec ChatGPT, mais ils ne font rien d'important avec l'outil. On ne peut rien lui donner de stratégique ou de confidentiel », explique ce cadre dirigeant, en faisant référence à la fuite de données de Samsung en avril dernier, liée à l'utilisation de ChatGPT par des employés. Dans la foulée, plusieurs groupes majeurs, dont Apple, Amazon et donc Samsung, ont de fait interdit à leurs équipes l'usage de l'IA générative.
C'est justement cet écueil que ChatGPT Enterprise tente d'éviter. « Vous possédez et contrôlez vos données commerciales. Nous n'entraînons pas ChatGPT sur vos données ou conversations professionnelles, et nos modèles n'apprennent pas de votre utilisation », assure OpenAI, tout en promettant l'adéquation du service avec les différentes normes de sécurité des données.
Certains utilisateurs déplorent également le manque de fiabilité de ChatGPT. « Mon chef m'a demandé d'utiliser ChatGPT pour générer du code. Au premier abord c'était propre, mais en regardant de plus près je me suis aperçu qu'il a mélangé des langages de programmation différents », déplore un ingénieur informatique à La Tribune.
Plus généralement, ChatGPT fait face au défi de la confiance. D'après une étude de Pew Research publiée fin août, deux tiers des personnes interrogées en entreprise s'inquiètent du manque de régulation de l'IA générative, et 52% des Américains interrogés se sont dits plus inquiets qu'excités par l'usage croissance de l'intelligence artificielle. D'après une autre étude de l'éditeur en cybersécurité BlackBerry, 82% des entreprises françaises envisagent d'interdire ChatGPT et les applications d'IA générative sur les appareils professionnels, à cause des risques liés à la sécurité des données et à la vie privée.
Perte de vitesse et recherche d'un modèle économique
Le lancement d'une version professionnelle mieux sécurisée et garantie sans exploitation des données pourrait donc être un atout pour OpenAI afin de casser cet engrenage de la défiance. D'autant plus que ChatGPT plafonne ces derniers mois en termes d'utilisation, après avoir connu un engouement exceptionnel lors de son lancement, le 30 novembre 2022.
D'après l'entreprise SimilarWeb, qui analyse la fréquentation des sites web, le rythme d'utilisation de ChatGPT a reculé de 10% en juin, puis de 10% encore en juillet. Cette chute peut s'expliquer en partie par la volatilité des utilisateurs : SimilarWeb estime qu'environ le quart d'entre eux ont entre 18 et 24 ans. Et alors que ChatGPT a atteint les 100 millions d'utilisateurs dès février dernier, il reste bloqué à ce stade six mois plus tard.
Attaquer le marché professionnel est donc crucial pour OpenAI, qui cherche toujours son modèle économique. A cause de la puissance de calcul nécessaire pour faire fonctionner ChatGPT, OpenAI dépense plus de 700.000 dollars par jour en coûts d'exploitation, et a investi plus de 540 millions de dollars en 2022 dans le développement produit. Au total, l'entreprise a levé 11,3 milliards de dollars auprès d'une quinzaine d'investisseurs, dont Microsoft. Au regard de ces coûts, son chiffre d'affaires est famélique : à peine 30 millions de dollars l'an dernier et 200 millions de dollars prévus cette année. Autrement dit, la rentabilité est encore une perspective lointaine.
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