Bobby Kotick (Activision Blizzard), le grand méchant capitaliste du jeu vidéo

À L'AFFICHE. Bobby Kotick a transformé une entreprise en faillite au début des années 1990 en un géant du jeu vidéo, racheté pour 68,9 milliards de dollars par Microsoft vendredi. Après trente-trois ans de services, le dirigeant d'Activision Blizzard quittera son poste le 1er janvier 2024 par la grande porte, mais il laissera un des bilans les plus contrastés. Adoré par les actionnaires, Bobby Kotick a été détesté par les joueurs, qui accusent sa recherche permanente de profit et son management brutal d'avoir corrompu leurs jeux vidéo préférés.
François Manens
En trente-trois ans, Bobby Kotick a transformé une entreprise au bord de la faillite en un géant aux profits inégalés.
En trente-trois ans, Bobby Kotick a transformé une entreprise au bord de la faillite en un géant aux profits inégalés. (Crédits : D.R.)

Clap de fin pour l'une des personnalités les plus controversées du monde du jeu vidéo. Bobby Kotick, directeur général historique d'Activision Blizzard, va quitter son poste au 1er janvier 2024. Ce vendredi, après deux ans de rebondissements, le feu vert du régulateur britannique au rachat de l'éditeur de jeux vidéo par Microsoft pour 69 milliards de dollars pousse le dirigeant vers la sortie. De quoi relancer le débat sur cette personnalité pour le moins clivante. En trente-trois ans à la tête de l'entreprise, Bobby Kotick n'a, en effet, cessé de diviser : les joueurs le détestent, les actionnaires l'adorent. Incarnation du capitalisme le plus froid dans un monde de passionnés, le dirigeant a hissé son entreprise dans le top 5 du secteur, quitte à piétiner les désirs de ses clients, les joueurs. Aujourd'hui, Activision Blizzard dispose à son catalogue de licences parmi les plus célèbres -et rentables- de l'histoire du jeu vidéo, à l'instar de World Of Warcraft, Call of Duty ou Candy Crush. Plus que jamais critiqué depuis 2021, Robert Kotick (de son état civil) va finalement sortir par la grande porte. Selon le New York Times, il partirait avec plus de 400 millions de dollars en poche grâce à l'opération.

Entrepreneur visionnaire

En 1991, lorsque Kotick embarque avec lui un groupe d'investisseurs pour racheter Activision pour la modique somme de 400.000 dollars, l'entreprise, criblée par plus de 30 millions de dollars de dettes, se trouve au bord de la faillite. Et pour cause : elle vient de rater son virage stratégique dans l'édition de logiciels généralistes, marqué par l'adoption du nom Mediagenic. L'homme d'affaires administre un véritable remède de cheval : 142 des 150 employés son licenciés, le nom original de l'entreprise fondée en 1979 est relancé et les locaux sont transférés à Santa Monica, en Californie. A l'époque, le marché du jeu vidéo ne convint pas encore les marchés financiers, et l'opération laisse sceptique.

Mais à peine six ans plus tard, l'entreprise redevient déjà rentable, grâce à une stratégie d'acquisition de studio de développement très agressive. Sur la bonne voie, Kotick insiste : Activision achète pas moins de neuf studios entre 1997 et 2003, et plus d'une vingtaine sur la décennie suivante. A force de multiplier les paris, l'éditeur touche le gros lot en 1999, avec son premier carton planétaire : Tony Hawk's Pro Skater, un jeu de simulation de skateboard, qui sera décliné en plusieurs opus et deviendra sa première licence à dépasser le milliard de dollars de chiffre d'affaires.

Puis, en 2003, Kotick réalise un des meilleurs coups de l'histoire du jeu vidéo. Il achète le studio Infinity Ward et son jeu de tir Call Of Duty pour 5 millions de dollars. Décliné sur une vingtaine de jeux différents depuis, la licence dépasse le milliard de dollars de vente dans les premiers jours de chaque sortie dès 2013, et cartonne encore aujourd'hui. Le 8 juillet 2008, Activision fusionne avec le Français Vivendi, qui possède le studio Blizzard et l'écrasant succès World of Warcraft. La nouvelle entité est détenue à 52% par Vivendi, qui débourse 18,9 milliards de dollars dans l'opération.

La fusion porte ses fruits : Activision Blizzard s'impose dès 2010 comme le plus gros éditeur de jeux vidéo au monde, devant le japonais Nintendo et l'Américain Electronic Arts. A l'été 2013, le groupe rachète plus de 429 millions d'actions à Vivendi, pour près de 6 milliards de dollars, ce qui le fait sortir du giron français.

La rentabilité avant tout

Contrairement aux figures de la Silicon Valley, Kotick n'a pas le profil du « geek » timide. Au contraire, c'est avant tout un homme d'affaires. Un portrait publié dans le New York Times en 2012 dépeint un homme exubérant, au comportement de brute. A la tête d'Activision, l'entrepreneur se montre inflexible, voire même sournois, comme lorsqu'il organise tout un plan pour écarter les cofondateurs d'Infinity Ward à moindre frais. Kotick ne joue pas aux jeux vidéo : il cherche simplement à les rendre le plus rentable possible.

Résultat, quand Activision rachète un studio, il ne touche que rarement aux équipes ou aux décisions artistiques. L'apport de l'éditeur se résume avant tout à une large expertise de marché, afin de s'assurer que les jeux vidéo produits se vendront. Autrement dit, les développeurs peuvent faire ce qu'ils souhaitent... tant que le jeu rapporte le plus d'argent possible. Dans les communautés de joueurs, tous les changements jugés négatifs -comme l'apparition de microtransactions dans World of Warcraft- sont imputés au génie du mal de Kotick. Mais en parallèle, les investisseurs se frottent les mains : Activision Blizzard dégage des profits toujours plus importants, et le cours de l'action s'envole.

Une aubaine pour l'entrepreneur, puisque sa rémunération est indexée sur les performances de l'entreprise. Elle augmente de façon exponentielle dans les années 2010 au point d'atteindre 154 millions de dollars sur l'année 2020. Bobby Kotick devient le dirigeant le mieux payé des Etats-Unis et gagne plus que ses homologues des éditeurs Ubisoft, Electronic Arts, Roblox et CD Projekt réunis. Mais cette rémunération fait rapidement tâche : la presse américaine met en lumière la situation d'employés sous-payés au point de peiner à se nourrir correctement et le groupe licencie à la pelle.

Intouchable malgré les scandales

En 2021, suite à un scandale interne déclenché par de graves accusations de harcèlement sexuel contre plusieurs cadres de l'entreprise, une association d'employés demande le départ express du dirigeant. Dans la foulée, le site réputé et spécialisé Kotaku publie un portrait au vitriol -c'est peu dire- du financier et tranche : « Le CEO d'Activision Blizzard aurait dû démissionner il y a longtemps. »

Les accusations de harcèlement sexuel ne concernent pas directement l'homme d'affaires, mais elles exposent la culture toxique de son entreprise. Le Wall Street Journarapporte que Kotick avait connaissance de plusieurs affaires, et a décidé de les ignorer. Dans le même temps, la presse américaine déterre ses anciens déboires. En 2006, il a menacé son assistante de « la faire tuer » dans un message laissé sur sa boîte vocale. L'enquête interne de l'entreprise a conclu qu'il « n'y avait pas de preuve », malgré les articles étayés. En 2017, il serait intervenu pour empêcher le licenciement d'un de ses directeurs de studio, accusé de harcèlement sexuel par une employée. Ou encore, il aurait licencié une femme employée dans l'équipage de bord de son jet privé, après qu'elle a accusé le pilote d'agression sexuelle.

Le scandale autour de l'entreprise s'est poursuivi jusqu'en cour de justice, mais puisque son bilan financier s'avère une fois de plus irréprochable, Bobby Kotick parvient à se cramponner à son siège, moyennant tout de même une réduction de 99,6% de son salaire, « tant que les objectifs d'égalité homme femme ne sont pas atteints ».

La prise de contrôle de Microsoft tombe finalement à pic, en offrant une issue de facilité à la situation de Kotick. Elle va permettre à l'entreprise de tourner la page sur plus de trente ans d'une histoire, et de repartir sur des bases plus saines. Une nouvelle page blanche d'Activision Blizzard s'ouvre, déjà acclamée par les joueurs.

François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 14/10/2023 à 9:21
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Ben il a la tête d'un comptable ! C'est la force des américains les leurs sont normaux ça se voit moins que les européistes qui sont petits gros blonds chauves à lunettes. Le déclin européen face à la puissance américaine en sommes. Bah ça passe larg...

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