« OVHCloud a beaucoup à prouver, un chemin de pénitence l'attend en Bourse »

Les analystes consultés par La Tribune ne s'attendent pas à des débuts euphoriques pour le champion français du cloud sur Euronext. L'entreprise fondée par Octave Klaba a beaucoup d'arguments en sa faveur, à commencer par des performances financières solides, un excellent management et un positionnement stratégique autour de la souveraineté numérique pertinent dans un marché du cloud très porteur. Mais OVHCloud reste un nain face aux géants américains et a encore beaucoup à prouver, notamment sa capacité à réussir son virage vers le PaaS (Plateform as a service), à s'implanter à l'international, et à changer son image pour devenir un service perçu comme plus « premium » auprès des clients. A la mi-séance de sa première journée de cotation, le titre gagnait 6,49 %.
Sylvain Rolland
(Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

Alors qu'il s'apprête à introduire OVHCloud sur la Bourse d'Euronext, Octave Klaba, le fondateur et président du conseil d'administration du champion européen du cloud, se serait bien passé d'un tel coup du sort. Mercredi matin, une panne informatique - la deuxième en six mois après l'incendie d'un datacenter près de Strasbourg - a mis hors jeu pendant une bonne heure les sites internet de milliers de ses clients à travers le monde.

Au final, rien de grave : la réaction a été rapide, efficace et transparente. Il ne s'agissait d'ailleurs même pas d'une véritable panne car les serveurs d'OVHCloud n'ont jamais cessé de fonctionner. Le dysfonctionnement était la conséquence d'une regrettable erreur humaine d'un ingénieur lors d'une opération de maintenance informatique, qui a rendu les sites introuvables via le protocole de connexion IPv4.

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Pas d'euphorie en vue lors de l'IPO

Massivement relayé par les médias, ce deuxième incident en six mois pourrait-il impacter de manière significative l'introduction en Bourse d'OVHCloud, prévue vendredi 15 octobre ? « En soi, cette panne n'est pas grave, ne révèle pas une fragilité de fond et a été rapidement réglée. Les investisseurs savent qu'une panne peut arriver, et d'ailleurs ça arrive même aux géants américains », relativise Jacques-Aurélien Marcireau, co-directeur des gestions actions chez Edmond de Rothschild Asset Management. « Ce qui est plus gênant, c'est que c'est le deuxième incident en six mois. Cela ne vient pas consolider la confiance des clients et des investisseurs, déjà un peu attaquée par l'incendie de mars », ajoute-t-il.

Même si cet épisode est mauvais en termes d'image pour le groupe basé à Roubaix, il n'influera qu'à la marge sur le soutien ou pas des marchés, s'accordent les analystes consultés par La Tribune. « Les investisseurs regardent surtout toute une série de critères financiers tangibles comme l'Ebitda, le multiple de valorisation, puis le management, la stratégie de l'entreprise et les perspectives d'évolution du secteur, avant de prendre en compte un petit incident informatique vite réglé », explique l'analyste financier Jean-Christophe Liaubet, associé chez Fabernovel, un cabinet de conseil spécialisé dans le numérique.

Mais si les investisseurs devraient se montrer indulgents envers la panne, le grand saut d'OVHCloud en Bourse ne s'apparente pas à une sinécure pour autant. « Je serais très surpris qu'il y ait une euphorie, car beaucoup de facteurs, qui tiennent à la fois à l'entreprise elle-même et au contexte actuel de crispation sur les marchés, font d'OVHCloud un investissement un peu risqué », estime Frédéric Rozier, gestionnaire de portefeuille chez Mirabaud France.

« Le succès de l'entrée en Bourse d'OVHCloud est très important pour l'ensemble de la French Tech, la dimension symbolique est très forte pour montrer la voie aux autres. Mais les marchés ne vont pas signer un chèque en blanc. Je ne crains pas un raté car l'IPO a été bien préparée, mais le plus probable est que les investisseurs attendent de voir si OVHCloud va tenir ses promesses au cours des prochains trimestres. L'entreprise a encore beaucoup à prouver. Je pense qu'un chemin de pénitence l'attend en Bourse avant une éventuelle consécration », analyse Jacques-Aurélien Marcireau.

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La souveraineté numérique, l'atout numéro 1 d'OVHCloud

Après avoir espéré une valorisation de 4 milliards d'euros et une levée de fonds de 400 millions d'euros, Octave Klaba et son directeur général, Michel Paulin, visent finalement, d'après le document d'introduction en Bourse, une valorisation de 3,7 milliards d'euros, à un prix de 18,5 euros par action, et espèrent lever sur les marchés autour de 370 millions d'euros. L'enjeu est énorme pour OVHCloud, qui a besoin d'argent pour financer sa trajectoire ambitieuse de croissance, fixée à 25% par an sur les quatre prochaines années.

Née en 1999, forte de 1,6 million de clients et d'un chiffre d'affaires de 650 millions d'euros en 2020, la pépite de Roubaix dispose de quelques cartes maîtresses dans son jeu pour séduire les investisseurs.

La première est son statut de leader européen du cloud. OVHCloud occupe une place unique : d'un côté il est très loin des géants américains, car le chiffre d'affaires d'Amazon Web Services, de Microsoft Azure et de Google Cloud se compte en dizaines de milliards de dollars par an. Mais OVHCloud est tout de même le leader européen dans le domaine des infrastructures cloud (IaaS pour infrastructure-as-a-service, ndlr) et le seul acteur du Vieux Continent capable de se tailler une place sur ce marché en pleine croissance dominé par les Américains.

A l'heure où les entreprises et les organisations doivent accélérer leur transformation numérique et basculent dans le multicloud, c'est le moment pour OVHCloud d'accélérer pour changer de dimension et séduire ces nouveaux clients. D'autant plus qu'Octave Klaba joue à fond la carte de la souveraineté numérique, un thème porteur et au cœur des préoccupations de l'Union européenne et de ses Etats membres.

L'entreprise a ainsi pu passer la barrière de la labellisation SecNumCloud de l'Anssi, infranchissable pour la plupart des autres acteurs français, afin de proposer des offres dans le cadre de la stratégie « cloud de confiance » imposée par l'Etat. Ce sésame lui permet de signer un partenariat avec Google pour proposer une offre commune destinée aux opérateurs de services essentiels (OSE), et un autre avec le français Whaller pour équiper en outils cloud les administrations publiques.

« Le positionnement stratégique d'OVHCloud est son principal atout car il incarne la formation d'une solution européenne, dans un secteur en hyper-croissance qui offre des taux de rentabilité très élevés malgré les énormes besoins d'investissements », confirme Frédéric Rozier, de Mirabaud.

OVHCloud n'est pas survalorisée

En revanche, deux des quatre piliers dans la stratégie de croissance d'OVHCloud rendent les analystes plus sceptiques. Il s'agit de sa capacité à concurrencer les géants du secteur en dehors de l'Europe, et de réussir sa diversification dans le Paas (platform-as-a-service), c'est-à-dire compléter son offre pour proposer aussi le matériel et les systèmes d'exploitation nécessaires pour permettre aux clients de développer eux-mêmes leurs logiciels métiers, comme le font les leaders mondiaux du secteur.

Ce marché du PaaS est énorme - 50 milliards d'euros par an d'après Michel Paulin, le directeur général d'OVHCloud -, en forte croissance, et l'entreprise affiche des objectifs ambitieux : elle souhaite proposer 40 suites de logiciels et 80 services d'ici à fin 2022.

Mais la décorrélation entre les ambitions d'OVHCloud et la réalité de ce qu'il fait aujourd'hui dans le PaaS pourraient préoccuper les investisseurs. « OVHCloud part de loin dans le PaaS donc le marché se pose des questions », nous indique un autre analyste qui souhaite rester anonyme. « L'enjeu du recrutement des talents, qui est un énorme nuage noir pour toute l'industrie de la tech et qui est crucial pour réussir dans le PaaS car il faudra embaucher des centaines d'ingénieurs, et le défi de la croissance externe, sont forcément des facteurs de risque pour les investisseurs », ajoute Jean-Christophe Liaubet, de Fabernovel.

Mais les analystes notent aussi qu'OVHCloud, tout en affichant une grande confiance dans sa capacité à délivrer ses belles promesses, a opté pour une valorisation raisonnable. Fixée à 3,7 milliards d'euros, elle équivaut à 14 fois l'Ebitda (263 millions d'euros en 2020), ce qui n'est pas excessif dans la tech.

« Dans le meilleur des cas, si OVHCloud délivre les 25% de croissance annuelle qu'il promet et pose bien les jalons du PaaS et de l'international, sa valorisation pourra facilement atteindre entre 6 et 7 milliards d'euros dans les prochaines années », estime Jean-Christophe Liaubet.

Mais pour l'heure, impossible d'écarter le scénario noir où l'entreprise déçoit, n'arrive pas à passer un cap de croissance, et doit relever des fonds dans quelques années sur la base d'une valorisation plus basse. D'autant plus qu'en terme d'image, OVHCloud ne s'est pas encore vraiment relevée de l'incendie de son datacenter de Strasbourg, en mars dernier, qui lui a coûté 55 millions d'euros en coûts opérationnels et gestes commerciaux auprès des clients, mais dont on n'a pas encore vu les éventuelles conséquences sur le « churn », c'est-à-dire la rétention des clients au moment du renouvellement de leur contrat. Une donnée que les investisseurs regardent de près.

Une culture du risque tech encore à construire en Europe

D'où le « chemin de pénitence » exprimé par Jacques-Aurélien Marcireau : dans la plus pure tradition des entreprises tech, OVHCloud incarne à la fois une belle opportunité pour des investisseurs audacieux qui voudraient soutenir une entreprise pleine de potentiel, mais aussi un vrai risque tant le chemin est incertain.

« Parce que notre écosystème tech est plus récent et moins puissant, les investisseurs européens n'ont pas la même culture du risque que leurs homologues américains. En Europe on valorise davantage l'exécution que la vision, on a la culture de la rentabilité de court terme plutôt que celle de la conquête du marché », ajoute Jean-Christophe Liaubet.

A cela s'ajoute aussi le timing, que les analystes ne trouvent pas idéal.

« Les précédentes introductions tech françaises de l'année [Believe et Exclusive Networks, ndlr] ont été décevantes, le marché au niveau mondial sature des IPO tech, les craintes sur la croissance mondiale tendent les Bourses, et les taux ont tendance à remonter ce qui pénalise le secteur de la tech qui a besoin de gros investissements », note Frédéric Rozier, de Mirabaud.

Et un autre analyste de résumer : « pour moi, OVHCloud arrive en Bourse trois mois trop tard ou deux mois trop tôt ». Un timing déconcertant, mais qui ne devrait pas trop pénaliser la licorne française. D'autant plus que d'après nos informations, de nombreux investisseurs dits « Tibi », c'est-à-dire les bancassureurs mobilisés par Emmanuel Macron pour investir dans les pépites de la tech, devraient ne pas rater l'occasion de soutenir la figure de proue de la French Tech dans le grand bain de la Bourse.

Lire aussi Cloud de confiance : Whaller et OVHCloud s'allient pour proposer enfin une solution 100% souveraine

Sylvain Rolland

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Commentaires 11
à écrit le 15/10/2021 à 16:53
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Les grosses boites (Thales, Orange, Atos...) ont mangé des dizaines millions d'euros d'argent publique en subvention et le cloud souverain n'est toujours pas là mais vous ne dites rien. OVH, c'est un gars tout seul qui a monté sa boite avec son li...

à écrit le 15/10/2021 à 14:19
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malgré toute la "communication" (certains oseraient dire propagande), le cloud souverain à la française n'a que le nom... - serveurs: made in USA - logicels serveurs: made in USA - logiciels réseaux: made in USA - routeurs: made in USA - antiv...

à écrit le 15/10/2021 à 10:42
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La naissance s'est très bien passée. 5 % à l'intro. Vive la French Tech'

à écrit le 15/10/2021 à 10:10
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Les acteurs économiques français modestes veulent un cloud souverain fiable, hors les 2 incidents qui sont survenus montrent le contraire. Lorsqu'un contrat de sauvegarde est souscrit, les sauvegardes sont stockées certes en 3 exemplaires mais dans l...

à écrit le 14/10/2021 à 18:47
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OVH est une bulle alimentée par la presse française et les politiques à l'occasion. Quand on compare avec la concurrence sérieuse c'est juste nul, c'est gribouille fait du Cloud. Et on a vu ce que cela donne avec les pannes à répétition et cela ne ...

le 14/10/2021 à 22:06
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Dites nous où vous bosser pour qu'on sache si vous êtes de bonne foi....

le 15/10/2021 à 13:11
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en tant qu'utilisateur professionnel, je confirme, cf. mon commentaire !

le 15/10/2021 à 13:11
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en tant qu'utilisateur professionnel, je confirme, cf. mon commentaire !

le 15/10/2021 à 14:34
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Les entreprises savent choisir

à écrit le 14/10/2021 à 17:56
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Bon après fb a été en panne pendant 6 heures et ça n'a pas fait grand chose. C'est comme les cyber guerres à savoir déporter les batailles sur le terrain virtuel, le rêve de tous les pacifistes !

à écrit le 14/10/2021 à 17:05
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"un chemin de pénitence l'attend en Bourse " Et la génuflexion pour les clients

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