David vs Goliath dans la publicité : les startups françaises se révoltent contre Apple

L'association France Digitale, qui fédère 1.800 startups, a déposé une plainte auprès de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) contre Apple. Elle l'accuse d'afficher de la publicité ciblée au sein de ses propres applications sans recueillir le consentement des utilisateurs, au mépris du règlement RGPD et au contraire de ses propres exigences via-à-vis des développeurs d'applications. Explications.
Sylvain Rolland
France Digitale s'attaque aux pratiques d'Apple concernant la publicité ciblée au sein de ses propres applications. Le géant de Cupertino est accusé de ne pas demander le consentement de ses utilisateurs, pour récolter des données personnelles qui sont ensuite utilisées pour proposer de la publicité ciblée sur ses applications maison (l'App Store, Apple News ou Bourse).
France Digitale s'attaque aux pratiques d'Apple concernant la publicité ciblée au sein de ses propres applications. Le géant de Cupertino est accusé de ne pas demander le consentement de ses utilisateurs, pour récolter des données personnelles qui sont ensuite utilisées pour proposer de la publicité ciblée sur ses applications maison (l'App Store, Apple News ou Bourse). (Crédits : Dado Ruvic)

Le début de la fin de l'omerta pour les startups françaises face à Apple ? L'association professionnelle France Digitale, qui fédère environ 1.800 startups, a déposé une plainte, mardi matin, auprès de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). Celle-ci va pousser le régulateur des données personnelles à se pencher sur les pratiques de la firme à la pomme concernant la publicité ciblée, estimées illégales par le lobby des startups. "Apple ne joue pas selon les règles, ce qui pénalise le secteur de la publicité en ligne, et il est temps de le dénoncer", tonne à La Tribune Nicolas Brien, le directeur général de France Digitale. La démarche est un vrai coup de poing, car c'est la première fois que des startups, via une organisation sectorielle, attaquent frontalement la plus grande entreprise technologique au monde, avec laquelle ils entretiennent pourtant une dépendance économique complexe via l'Apple Store, unique porte d'entrée vers les utilisateurs d'iPhones.

Lire aussi : Monopole de l'Apple Store : la grogne monte

"Ciblage publicitaire illégal de 10 millions de Français"

Concrètement, le géant de Cupertino est accusé de ne pas demander le consentement de ses utilisateurs pour récolter des données personnelles qui sont ensuite utilisées pour proposer de la publicité ciblée sur ses applications maison (l'App Store, Apple News ou Bourse).

La notion de consentement explicite, c'est-à-dire l'acceptation de l'utilisation des données personnelles en toute connaissance de cause, est au cœur du Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en 2018 dans l'Union européenne. Mais depuis la récente mise à jour des paramètres des iPhones et des ordinateurs Mac, Apple active l'option "publicités personnalisées" par défaut sur ses appareils. D'après la propre documentation d'Apple, cette option permet la diffusion de publicités ciblées basées sur l'exploitation d'informations personnelles et techniques, sur la géolocalisation de l'appareil ou encore sur l'utilisation des historiques de recherche et de navigation.

"Si la Cnil nous donne raison, l'approbation par défaut et présumée par Apple du consentement de l'utilisateur constituerait un ciblage publicitaire illégal de 10 millions de Français, donc une infraction majeure au RGPD et à la directive e-privacy", déclare Nicolas Brien, qui dénonce également le manque d'information de l'utilisateur sur le traitement appliqué à ses données personnelles.

Informé de la plainte, Apple a réagi avec une virulence toute aussi grande dans un communiqué. "Les allégations de la plainte sont manifestement fausses et seront considérées pour ce qu'elles sont : une piètre tentative de ceux qui traquent les utilisateurs pour détourner l'attention de leurs propres actions et tromper les régulateurs et les décideurs politiques".

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Apple arroseur arrosé

Alors que les trois autres Gafa -Google, Amazon, Facebook- sont très souvent attaqués pour leur pillage des données personnelles des internautes, Apple, lui, s'est construit depuis des années une image robuste de défenseur de la vie privée. Le géant américain communique abondamment sur son attachement au respect des données personnelles, et ne rechigne pas sur les moyens pour apparaître aux yeux de l'opinion publique comme une entreprise vertueuse et responsable. Les multiples scandales sur son éthique, notamment sur l'exploitation des métaux rares qui se retrouvent dans ses téléphones, ou sur les conditions de travail des ouvriers des usines asiatiques qui fabriquent ses appareils, n'ont pour l'instant que peu écorné son image.

Avec cette plainte, France Digitale dénonce donc l'hypocrisie de la marque à la pomme et attaque surtout son image :

"Si les faits sont avérés, cela révèle un "deux poids deux mesures" inacceptable sur le marché de la publicité en ligne. Cela voudrait dire qu'Apple se permet sur ses propres applications une collecte systématique des données personnelles de ses utilisateurs, à des fins de publicité ciblée, alors que les applications tierces respectent la loi. Les développeurs ont un profond sentiment d'injustice", ajoute Nicolas Brien.

Si Apple promet qu'il respectera également la législation pour ses propres applications, ce sentiment d'injustice existe depuis longtemps. A l'exception d'une poignée d'applications phares comme Netflix ou Spotify, suffisamment attractives pour déclencher un téléchargement grâce à leur seule notoriété, la quasi-totalité des développeurs d'applications doivent passer par l'Apple Store pour accéder au marché. Apple est donc un "gatekeeper" (gardien) sur la distribution d'applications et des contenus accessibles sur ses smartphones. Cette position incontournable s'accompagne d'une taxe jugée déraisonnable par les développeurs : Apple a fixé une commission de 30% sur toutes les ventes réalisés par les applications qu'il héberge, à laquelle les développeurs ne peuvent pas échapper sous peine d'être exclus.

Lire aussi : Cookies : la Cnil serre (un peu) la vis pour donner un vrai choix aux internautes

Guerre ouverte entre le secteur de la publicité numérique et Apple

La récente initiative unilatérale d'Apple pour contraindre encore plus la publicité ciblée dans les applications qu'il héberge, a donc été vécue comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Le géant américain déploie depuis plusieurs mois une série de changements annoncés à l'occasion de la sortie de son nouveau système d'exploitation mobile, iOS 14. La polémique se situe autour de la fonction baptisée "App tracking transparency", qui compte demander systématiquement l'autorisation de l'utilisateur pour laisser les développeurs d'applications utiliser l'identifiant publicitaire de l'appareil (IDFA). Cet identifiant est une suite unique de numéros que le géant américain attribue à chacun de ses appareils, et qui est utilisé par les éditeurs d'applications et les annonceurs pour pouvoir cibler finement les publicités en fonction des habitudes des utilisateurs.

S'il est loin d'être un acteur dominant de la pub, le groupe de Tim Cook vend tout de même des annonces personnalisées sur l'App Store ou encore Apple News grâce aux données récoltées dans son propre écosystème. Or, pour ses propres applications, aucune fenêtre de consentement ne sera automatiquement mise en avant auprès de ses utilisateurs...

De quoi provoquer la colère du monde de la publicité numérique, très dépendant de l'utilisation des données personnelles. Même Facebook est monté au créneau. Interrogé par La Tribune, le président de l'association professionnelle Interactive Advertising Bureau, Nicolas Rieul, dénonçait en février une mesure "inutile" : "le consentement est déjà demandé de façon très granulaire depuis l'entrée en vigueur en 2018 du RGPD. Apple tente d'agir comme un régulateur privé".

Apple réalise cette mise à jour dans son propre intérêt et c'est pourquoi cela pose un problème de concurrence selon nous. Il ne s'applique pas les mêmes règles pour ses propres services, et donc, il s'octroie un avantage", affirme le dirigeant.

En octobre, quatre associations de professionnels de la publicité en ligne et du marketing avaient donc déposé une plainte devant l'Autorité de la concurrence en France, lui demandant des "mesures provisoires" pour empêcher Apple de causer avec sa mise à jour "un préjudice grave au secteur de la publicité mobile". A l'inverse, l'ONG autrichienne de défense de la vie privée, None of your business (NOYB) avait porté plainte contre Apple en Allemagne et en Espagne pour avoir laissé jusqu'ici les applications utiliser l'IDFA sans un consentement spécifique.

Lire aussi : Facebook accuse Apple de nuire aux TPE... et à ses revenus publicitaires

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 10/03/2021 à 8:25
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Apple est américain. Elle en a pas grand chose à faire du rgpd, comme nos start-ups du digital d'ailleurs. Là, c'est juste parce que ça les arrange.

à écrit le 10/03/2021 à 8:14
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Je pense que tout le monde est allé sur la page d'accueil de google qui a vite fait de se débarrasser de cette rgdp pourrave, parce qu'on a pas envie de perdre du temps à y paramétrer nos choix du coup on valide accepter sans hésiter et reste à l'ère...

à écrit le 09/03/2021 à 18:01
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600 milliards, c'est le montant des investissements publicitaires dans le Monde. 600 milliards qui pourraient être investis dans des actions plus utiles. George Orwell disait de la publicité que c'était "remuer un bâton dans une auge à cochons", c...

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