La startup normande Selfee transpose le modèle du circuit court alimentaire à l’électricité

Elle a tout du « game changer ». Une startup rouennaise a mis au point une solution d’intermédiation unique qui permet aux collectivités d’acheter des électrons « verts » produits localement à un prix maîtrisé. Son modèle, conforté il y a quelques jours par une troisième levée de fonds, est directement inspiré des circuits courts alimentaires. Une idée lumineuse. Explications.
Selfee vient de finaliser un tour de table de 11 millions d'euros.
Selfee vient de finaliser un tour de table de 11 millions d'euros. (Crédits : DR)

Acheter des kilowatts renouvelables comme on achète des choux ou des carottes bio pour une cantine scolaire, avec la certitude qu'ils sont produits localement. Quantité d'acheteurs publics se sont cassés les dents sur cette équation qui était jusqu'ici insoluble faute d'instrument ad hoc. La donne pourrait bien changer grâce à la solution imaginée, à leur intention, par un nouvel opérateur sur le marché de l'électricité. Fondée par deux expertes du négoce de l'énergie déçues par les imperfections du système des « garanties d'origine », Selfee (Rouen et Paris) est parvenue à transposer le modèle du circuit court alimentaire vers celui, autrement plus complexe, de la fourniture d'énergie verte.

Pour bien comprendre, il faut garder en mémoire la définition exacte du circuit court : à savoir l'existence d'un intermédiaire -et d'un seul- entre le producteur et le consommateur. C'est précisément cette notion qu'avaient en tête Sandra Magnin et Dominique de Maricourt lorsqu'elles ont créé leur entreprise en 2017. « Contrairement au modèle traditionnel de fourniture d'électricité, l'organisation de circuits courts passe par la suppression des intermédiaires et la transparence des échanges. C'est ce que nous cherchions à faire », soulignent-elles. Pari gagné.

Un intermédiaire unique

Fidèle à sa philosophie originelle, Selfee se positionne comme un intermédiaire unique entre les producteurs d'électricité d'origine renouvelable et les consommateurs. Pour réussir ce tour de force, son équipe exerce simultanément trois métiers très techniques (et très méconnus) du négoce : celui de fournisseur, celui d'agrégateur et celui de responsable d'équilibre. Grâce à quoi, elle est en mesure de corréler consommations et productions à l'instant T et de se porter garante des transactions en temps réel.

« Une ville ou une agglomération qui exploite une centrale solaire ou un parc éolien par exemple est assurée que l'électricité qu'elle produit en propre alimente effectivement ses bâtiments publics », explique Sarah Magnin.

L'entreprise (qui ne communique pas sur son chiffre d'affaire) peut ainsi fournir de l'énergie à des prix en adéquation avec les coûts locaux de production de l'électricité.  En clair, de limiter l'exposition de ses clients aux fluctuations du marché. Pas exactement un point de détail dans le climat actuel.

A la clef, des économies substantielles pour les collectivités concernées. Parmi les premières à avoir adopté la solution, l'agglomération du Grand Chatellerault a ainsi calculé qu'elle économisait près de 100 euros par MWH consommé en alimentant en direct une partie de son patrimoine bâti grâce à une centrale solaire.

Le courant passe entre les urbains et les ruraux

Le système présente un autre avantage. Il répond à une préoccupation majeure des exécutifs locaux qui rêvent de mutualiser la production et la distribution d'électrons verts à l'échelle d'un territoire, métropole ou région. Autrement dit, de créer des synergies entre les secteurs urbains mécaniquement plus consommateurs et les zones rurales plus susceptibles de produire de l'énergie.

Manifestement, la mayonnaise prend. A Chatellerault par exemple, la mise en oeuvre du modèle a ouvert la voie à des solidarités nouvelles entre villes et campagnes, comme le constate Philippe Eon, directeur des stratégies de l'agglomération. « Lorsqu'il y a deux ans, je prononçais le mot éolien, cela donnait des boutons aux élus des petits villages. Cette expérimentation réussie d'économie circulaire a radicalement changé leur état d'esprit ».

Vers un changement d'échelle

Au terme de plusieurs années de R&D avec une dizaine de collectivités pilotes dont Nantes et Brest, Selfee se prépare à changer d'échelle. Faute de garanties financières suffisantes, la société pouvait difficilement, jusqu'ici, candidater aux appels d'offre les plus importants mais ses deux co-fondatrices viennent  de finaliser une levée de fonds de 11 millions d'euros auprès d'Everwatt et du Crédit Agricole Normandie Seine, actionnaires historiques, auxquels s'est joint la nouvelle entité « Transitions et Energies » de la banque verte.

Cet apport d'argent frais doit leur donner les moyens « d'industrialiser » leur solution d'autoconsommation territoriale et de co-investir dans des unités de production aux côtés d'agglomérations ou de Régions. « Les élus locaux disposent d'un vrai pouvoir pour influer sur la transition énergétique. Nous voulons faire en sorte qu'ils se l'approprient », résume Sandra Magnin. Sage recommandation.

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Commentaires 4
à écrit le 07/04/2023 à 0:23
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C'est absurde, il faudrait que selfee tire ses propres câbles électriques pour prétendre alimenter directement la ville.

le 07/04/2023 à 12:52
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Bonjour, Merci pour votre commentaire. Le commerce de l'électricité étant fondé sur une dissociation des flux contractuels et des flux physiques, le réseau public joue un rôle de mutualisation des flux physiques. Il est donc possible de fournir l'é...

à écrit le 06/04/2023 à 16:13
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"L'entreprise peut ainsi fournir de l'énergie à des prix en adéquation avec les coûts locaux de production de l'électricité." L'idée est très bonne et peut aider à créer un cercle vertueux. Mais il faut éviter que d'autres operateurs deviennent cli...

le 07/04/2023 à 12:47
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Bonjour, Merci pour votre commentaire. Vous avez raison, il est en effet essentiel de construire des engagements de long terme, directs, entre producteurs et consommateurs. Selfee intervient comme exécutant de ce contrat et ne peut donc pas céder l...

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