Levées de fonds : grosse chute à venir au 2è trimestre pour la French Tech

Grâce à un mois de janvier exceptionnel qui rattrape la baisse de février et la chute depuis la mi-mars, la French Tech enregistre un nouveau record de fonds levés au premier trimestre. Son dernier avant un bon moment ? Les spécialistes s'attendent à un plongeon au deuxième trimestre.
Sylvain Rolland
Avec seulement 42 opérations (63 il y a un an, baisse d'un tiers), pour un montant de 326 millions d'euros levés (contre 423 millions en mars 2019, baisse de 23%) la chute est réelle en mars et annonce un deuxième trimestre morose.
Avec seulement 42 opérations (63 il y a un an, baisse d'un tiers), pour un montant de 326 millions d'euros levés (contre 423 millions en mars 2019, baisse de 23%) la chute est réelle en mars et annonce un deuxième trimestre morose. (Crédits : DR)

Dernier rayon de soleil avant la tempête ? Habituée à enchaîner les records depuis des années grâce à un écosystème d'innovation bouillonnant, la French Tech vacille sous l'effet du coronavirus, qui a mis au pas l'économie mondiale en confinant la moitié de la planète. Mais le capital-risque français ne plongera pas dans la crise sans un dernier baroud d'honneur. D'après le Baromètre du capital-risque du cabinet de conseil EY, les startups tricolores ont levé 1,63 milliard d'euros au premier trimestre 2020. C'est un énième record, avec une progression de 20% par rapport au premier trimestre 2019 (1,36 milliard d'euros), alors que le nombre d'opérations reste stable (190 contre 189).

Cocorico ? Pas du tout. Car il y a dans ces chiffres un avant et un après crise du coronavirus. L'avant est glorieux : le mois de janvier a été exceptionnel à tous les niveaux, avec 898 millions d'euros levés, soit une progression de 95% (!) sur un an et 55% des montants du trimestre. En février, alors que les craintes sur l'économie mondiale se faisaient plus vivaces, la French Tech a connu un premier recul de 16% sur un an en valeur (407 millions contre 481 millions l'an dernier), mais rien de particulièrement inquiétant après l'euphorie de janvier et d'autant plus que le nombre d'opérations continuait d'augmenter (74 contre 58), signe de la vivacité du financement d'amorçage et des Séries A (la première levée de fonds institutionnelle).

Lire aussi : La French Tech a levé 5 milliards d'euros en 2019 mais le plafond est encore loin

Chute brutale depuis la mi-mars et le début du confinement

Avec seulement 42 opérations (63 il y a un an, baisse d'un tiers), pour un montant de 326 millions d'euros levés (contre 423 millions en mars 2019, baisse de 23%) la chute est réelle en mars et annonce un deuxième trimestre morose. Et encore, cette baisse est atténuée par le fait que les deux tours de table les plus importants du mois -les 180 millions du champion du "coliving" Colonies et les 50 millions de MWM, leader mondial des applications musicales- pèsent à eux deux 71% du montant total. "Si on retire ces deux levées de la première partie du mois qui sont un peu l'arbre qui cache la forêt, l'ensemble du mois de mars est mauvais avec seulement 7 startups qui lèvent plus de 5 millions d'euros", remarque Franck Sebag, associé chez EY et spécialiste du capital-risque. Qui poursuit :

"Il y a un vrai coup de frein sur les levées de fonds depuis le début du confinement, à la mi-mars. Les investisseurs sont plus attentistes, un peu plus réticents au risque, et ils se replient sur le refinancement de leur portefeuille. De leur côté, beaucoup de startups voient leur business plan remis en cause par la crise mondiale. Elles doivent s'adapter voire pivoter leur activité, leurs valorisations baissent et elles ont logiquement plus de mal à lever des fonds, surtout celles en phase d'amorçage ou de Série A et celles qui évoluent dans les secteurs les plus touchés", ajoute-t-il.

Baromètre capital-risque T1 2020

Lire aussi : Coronavirus : les fintech tricolores plient mais ne rompent pas... pour le moment

Un deuxième trimestre difficile en vue

Le confinement jusqu'au 11 mai au moins, et la reprise partielle des activités après cette  date couplée à la crise économique mondiale, devraient impacter fortement les levées de fonds au deuxième trimestre. "L'activité ne s'arrête pas, il y a encore des demandes car la French Tech a un socle solide, mais le ralentissement est très clair", confirme Arthur Porré, cofondateur et managing partner du cabinet de conseil Avolta Partners.

L'an dernier, la French Tech avait levé 514 millions d'euros au mois d'avril, 516 millions en mai et 812 millions en juin, soit 1,84 milliard d'euros au deuxième trimestre. Cette année, il serait déjà surprenant d'atteindre la moitié de cette somme. Effectivement, au 21 avril, les startups hexagonales ont levé, d'après nos calculs, environ 215 millions d'euros pour une vingtaine d'opérations (contre 514 millions en avril 2019).

Les startups en refinancement, dont le business model est déjà établi et qui ont déjà des fonds d'investissement à leur capital, représentent presque la moitié de ces startups et une grande partie des fonds levés (193 millions d'euros). Il s'agit de Vestiaire Collective (59M), Alan (50M), Dynacure (50M), Slite (10M), Certideal (8M), MyLight Systems (6,5M), Creads (5,5M) ou encore Libeo (4M). Cette liste révèle en ricochet l'effondrement spectaculaire des levées d'amorçage et des Série A.

"Les fonds regardent les opportunités de nouveaux investissements, mais peu feront un chèque sur un deal qui arrive en ce moment sur leur table. Si les startups n'ont pas un besoin urgent de cash, il vaut mieux attendre juin pour lancer les démarches", ajoute Arthur Porré.

Les startups déjà bien établies réussissent, elles, à lever de l'argent pour faire face à la crise. Certaines privilégient leurs actionnaires historiques plutôt que de nouveaux entrants pour ne pas trop abîmer leur valorisation, qui chute en moyenne de 20% d'après les estimations des connaisseurs du secteur.

C'est pourquoi les experts ne croient pas à un effondrement du capital-risque au deuxième trimestre, mais plus à une forte baisse, probablement de moitié. Pour Arthur Porré, le vrai "trou d'air" arrivera un peu plus tard :

"Jusqu'à mi-avril, les deals annoncés étaient ceux qui avaient été signés avant la crise ou au tout début, et dont la communication a été repoussée pour des raisons évidentes. Désormais, on entre dans une deuxième phase, plutôt des tours de refinancement pour tenir si la crise devait durer. Le vrai trou d'air risque d'arriver un peu plus tard, quand les deals qui devraient être en préparation en ce moment auraient dû être signés et annoncés. Tout est vraiment au ralenti en ce moment".

Franck Sebag confirme. "Il y a aura encore de grosses levées de refinancement au deuxième trimestre et au-delà, mais globalement l'écosystème va prendre une claque, surtout les startups au stade de l'amorçage et de la Série A. Et celles qui vont réussir à lever devront sûrement se contenter de moins que ce qu'elles auraient obtenu avant la crise, à des conditions moins avantageuses", explique-t-il.

Entre 3 et 4 milliards d'euros levés en 2020 ?

D'après des experts consultés par La Tribune, le montant record de 5 milliards d'euros levés en 2019 ne sera donc pas atteint et encore moins dépassé en 2020. Les plus pessimistes sur une maîtrise de la pandémie et un retour "à la normale" dans les prochains mois, pensent que la French Tech atteindra péniblement 3 milliards d'euros de fonds levés à la fin de l'année. Leur scénario prévoit que les montants levés seront divisés par deux par rapport à l'an dernier sur les trois prochains trimestres.

De son côté, Avolta Partners a établi pour La Tribune une estimation à 3,6 milliards d'euros, soit un retour au montant de 2018 (3,62 milliards d'euros), en partant du principe d'un rebond à partir de l'automne, pour retrouver progressivement des niveaux comparables à l'année dernière d'ici le début de l'année 2021. Une estimation également jugée crédible par EY, qui tablait mi-avril sur une fourchette comprise entre 3,5 et 4 milliards d'euros.

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 24/04/2020 à 20:24
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Malheureusement je n'ai pas pu lire cet article reservé aux abonnés, ça avait l'air marrant. "Les spécialistes s'attendent à un plongeon au deuxième trimestre." Le ton est donné.

à écrit le 23/04/2020 à 11:18
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Va falloir être meilleur dans le développement avec peu ! C'est possible, disons que j'ai pu le faire dans le passé, le tout est d'avoir les bonnes personnes dans l'action. Vous vous figuriez que tout cela ne serait pas une réalité! Et comme la...

le 23/04/2020 à 15:37
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Point de vue franco-francais ou entreprendre releve du parcours du combatant. Pour votre info, il y a bcp de pays ou il est assez simple de trouver un financement si votre idee est reellement novatrice que vous parlez un anglais plus que fluente, et...

à écrit le 23/04/2020 à 8:22
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La french tek (en bois!) La french fable (de la foutaise! les fables de la foutaise!)

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