Sortie de route contrôlée pour Vade, l'ancienne star montante de la cybersécurité française

Vade, spécialiste français de la protection des boîtes email, se portait bien, mais pas assez pour atteindre seul ses ambitions de croissance. Alors la startup, considérée comme un des fleurons de la French Tech, a accepté l'offre de rachat de son concurrent allemand Hornetsecurity. L'objectif : créer un groupe capable de résister aux leaders internationaux sur le marché européen.
François Manens
Vade est racheté par l'allemand Hornetsecurity.
Vade est racheté par l'allemand Hornetsecurity. (Crédits : Vade)

Fin de l'aventure pour une des figures de la French Tech. Vade, ancienne étoile montante de la cybersécurité avec ses logiciels de protection des boîtes email, s'est fait racheter par son concurrent allemand, Hornetsecurity. L'histoire entrepreneuriale se termine sur une bonne note : les plus de 200 employés de la startup, qui était rentable et affichait plus de 20% de croissance annuelle, devraient être conservés par Hornetsecurity.

La fulgurante ascension de Vade (fondé en 2013) avait reçu un grand coup de frein au début de la décennie. En cause : un procès lancé par son concurrent Proofpoint, perdu en première instance, suivi par l'échec d'une levée de fonds de 70 millions d'euros, sous fond de pandémie de coronavirus. Son dirigeant et cofondateur George Lotigier, figure de l'écosystème, ne nourrit pour autant pas de regrets. Une fois n'est pas coutume dans la cybersécurité, une pépite de la French Tech va contribuer à l'émergence d'un champion européen, qu'elle estime porteur des mêmes valeurs. Mais est-ce suffisant pour consoler un écosystème encore marqué par le passage de ses pépites Alsid (Tenable) et Sqreen (Datadog) sous giron américain ?

Vade renonce à sa levée de fonds

En 2023, Vade n'était pas à vendre. Au contraire, l'entreprise cherche alors des investisseurs pour accélérer, et envisage même de faire de la croissance externe. Mais très vite, cette recherche se heurte à un écosystème du financement qui tourne encore au ralenti, et à des investisseurs qui hésitent à miser sur un dirigeant en fin de carrière. A 64 ans, George Lotigier fait part de son envie de passer le flambeau, et hésite à faire monter en compétence un nouveau dirigeant, plus jeune et capable de garantir aux investisseurs une présence à cinq ans. Un troisième obstacle se dresse quoiqu'il en soit sur sa route. « Pour grandir en Europe, il nous fallait gagner des parts sur le marché allemand. Mais nous nous sommes rendus compte que c'était impossible, car il était déjà dominé par Hornetsecurity », raconte l'entrepreneur.

Son homologue allemand, qui revendique 60% du marché local, n'avait de son côté même pas effleuré le marché français. Mais il devait y faire un passage obligatoire pour alimenter ses ambitions européennes. En pleine expansion, deux options s'offraient à Daniel Hoffman, cofondateur et directeur général de Hornetsecurity : se lancer de zéro sur le marché, ou acquérir un acteur français. Rapidement, il s'est donc retrouvé avec George Lotigier autour de la table.

« Nous nous sommes demandés pourquoi nous, deux entreprises fondées en Europe, nous faisons de la concurrence, alors que nous pouvons joindre nos forces contre le reste des concurrents, à commencer par les entreprises américaines. Nous avons donc décidé de consolider un acteur européen avec la taille et l'expertise pour faire face à la concurrence internationale », raconte Daniel Hoffman.

Naissance d'un géant européen... à l'accent américain

L'évidence s'impose : Hornetsecurity, 400 salariés, est deux fois plus gros que Vade et commercialise une suite de produits de cybersécurité élargie à l'ensemble du cloud, là où le Français se concentre sur la protection des boîtes mail. Les entrepreneurs s'arrangent ainsi pour que le premier avale le second, pour un montant non communiqué. L'accord arrange bien George Lotigier, qui en profite pour vendre ses parts et raccrocher sa casquette de dirigeant pour se concentrer sur celle d'investisseur, tout en gardant tout de même une place au conseil de surveillance d'Hornetsecurity.  Les principaux investisseurs de Vade (Tikehau Capital, Auriga Partners, CyberK...) à l'exception d'Isai selon Les Echos, deviennent actionnaires minoritaires de l'entreprise allemande dans l'opération.

Mais la belle histoire des deux entreprises européennes liguées contre le reste du monde a un peu de plomb dans l'aile. La stratégie de croissance externe de Hornetsecurity, fondée en 2007 à Hanovre (Allemagne) où elle a toujours son siège, s'appuie grandement sur la puissance financière de deux investisseurs américains, PSG Equity (depuis 2020) et TA Associates (depuis 2022), venus en soutien du fonds norvégien Verdane (depuis 2016). En acceptant un accent américain à son capital, l'entreprise allemande a pu réaliser pas moins de sept opérations d'acquisition depuis 2018, en comptant Vade, et ainsi dynamiter sa croissance. Mais cette particularité fait grincer des dents dans un écosystème français très attaché aux questions de souveraineté.

De son côté, Daniel Hoffman compte bien jouer cette carte de la souveraineté et l'argument de la particularité européenne. « Quand nous regardons le marché, nous avons assez de place pour grossir en Europe pendant cinq à huit ans. C'est notre priorité, et une cible déjà considérable », ambitionne-t-il, épaulé par son homologue français, qui ajoute « nous voulons multiplier notre chiffre d'affaires par cinq ou plus dans les cinq ans à venir. Notre objectif est de surpasser notre concurrence dans chaque indicateur financier [chiffre d'affaires, croissance, profitabilité, ndlr] et nous avons l'impression qu'ensemble, nous sommes sur une autoroute pour y parvenir ».

Le procès, seule ombre au tableau

Le Hornetsecurity nouveau look affiche un chiffre d'affaires annuel qui se compte « en centaines de millions d'euros » et une croissance organique « entre 20% et 50% », soit les taux respectifs de Vade et sa nouvelle maison mère sur l'année passée. L'entreprise allemande, qui compte désormais 600 salariés, prévoit de s'appuyer sur le marché déjà acquis par Vade pour commercialiser sa gamme de dix produits de cybersécurité. Les deux alliés ne se chevauchent que sur deux produits de protection des emails et travaillent déjà à les fusionner.

Financièrement, Hornetsecurity prend donc relativement peu de risques. D'autant plus que, comme lui, Vade était profitable. Seule ombre au tableau : l'épine du procès intenté aux Etats-Unis par Proofpoint (le numéro un du marché) contre Vade pour « violation du secrets des affaires » et « contrefaçons de droit d'auteur », perdu en première instance, avec à la clé des dommages et intérêt de 13,5 millions de dollars. Au cœur de l'affaire se trouve le recrutement comme directeur technique d'un ancien employé de Cloudmark (devenue une filiale de Proofpoint) par la startup française. Mais l'affaire n'est pas encore terminée puisque Vade a fait appel sur la décision prononcée en 2021. Insuffisant pour inquiéter Daniel Hoffman, qui déclare avoir « regardé en détail la situation », et « ne pas la craindre », suite aux différents audits du rachat.

François Manens

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