En 2023, la French Tech plie mais ne rompt pas

ANALYSE. Malgré la chute des valorisations et des levées de fonds, et la nette augmentation de la mortalité et des plans sociaux chez les startups, la French Tech a su faire preuve de résilience en 2023. L'emploi global progresse dans la tech française, et certains secteurs comme les greentech et les deeptech, ont réussi à tirer leur épingle du jeu.
Sylvain Rolland
Les startups françaises avaient levé 4,26 milliards d'euros au premier semestre 2023, moitié moins qu'en 2022 à la même époque.
Les startups françaises avaient levé 4,26 milliards d'euros au premier semestre 2023, moitié moins qu'en 2022 à la même époque. (Crédits : French Tech)

Après une décennie d'euphorie, la French Tech a connu sa première vraie crise en 2023, dans le sillage de la tech mondiale. Les tensions sur l'énergie, l'inflation, la fin de la politique monétaire accommodante des banques centrales, et l'augmentation des tensions géopolitiques, ont mis fin à l'appétence démesurée pour le risque des investisseurs.

Conséquence : l'écosystème tech français et mondial est retombé sur Terre en 2023. Finies, les valorisations exorbitantes et la croissance à tout prix. À quelques exceptions notables comme l'intelligence artificielle générative, qui a concentré une vague délirante d'investissements, investisseurs comme entrepreneurs sont revenus à l'essentiel : la croissance maîtrisée et la recherche de rentabilité. Mais cette nouvelle donne a aussi fait office de révélateur et rebattu certaines cartes. Des consolidations sectorielles se sont mises en marche, et de nouveaux gagnants de crise ont émergé, à l'image de l'intelligence artificielle, mais aussi des greentech ou encore des deeptech, dont les innovations répondent aux grands enjeux économiques, climatiques et sociétaux de l'époque.

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Chute des valorisations et des levées de fonds

Conséquence directe du choc de financement dans la tech, les startups françaises avaient levé 4,26 milliards d'euros au premier semestre 2023, soit moitié moins (!) qu'en 2022 à la même époque. La raison : un effondrement des « méga-levées », ces tours de table supérieurs à 100 millions d'euros. Seules 7 méga-levées ont été annoncées au premier semestre 2023, contre 23 sur la même période en 2022, pour un montant de 975 millions d'euros contre 3,6 milliards d'euros, soit deux tiers de moins. En revanche, l'amorçage, c'est-à-dire le financement des innovations à leur naissance, se maintenait bien. « L'argent est toujours là, il est juste moins déployé », expliquait à La Tribune Franck Sebag, associé chez EY, en juillet dernier.

Si les chiffres de l'ensemble de l'année 2023 ne sont pas encore connus, le deuxième semestre semble avoir poursuivi les tendances du premier. Les experts anticipent une année entre 7 et 9 milliards d'euros pour la French Tech, contre 13,5 milliards d'euros en 2022. Soit une chute vraisemblablement d'un tiers, au pire de quasiment la moitié.

Et encore, la France s'en sort plutôt bien. En Europe, il faut s'attendre à une chute de moitié en 2023, d'après le fonds britannique Atomico, soit un retour aux niveaux de 2019-2020, avant l'emballement de la période post-Covid. D'après son décompte, les startups européennes devraient cumuler 45 milliards de dollars (41 milliards d'euros) d'investissements cette année, contre 85 milliards en 2022 et 100 milliards en 2021.

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Mortalité des startups en nette hausse

Corollaire des difficultés nouvelles des startups pour lever et surtout relever des fonds dans un contexte de crise, les plans sociaux et les défaillances d'entreprises technologiques se sont multipliés en 2023.

Les chiffres des défaillances d'entreprise tech manquent, mais tous les spécialistes du secteur s'accordent pour dire que le taux de mortalité a explosé en 2023, même s'il partait de très bas. Les exemples de Lucine, l'une des pépites les plus prometteuses dans les thérapies numériques qui a fini au tribunal de commerce en décembre, ou la faillite de Defymed, deeptech engagée depuis une décennie dans la création d'un pancréas artificiel, sont quelques exemples parmi d'autres de ces pépites à forte valeur ajoutée technologique mais dont la rentabilité était trop lointaine pour pouvoir relever des fonds dans un contexte si tendu.

La chute française la plus spectaculaire est celle du néo-assureur Luko : valorisée 250 millions d'euros l'an dernier, il a fini au tribunal du commerce en décembre 2023, et fait l'objet d'une proposition de reprise de la part d'Allianz pour... 4 euros (!). Pourtant, Luko revendique 500.000 clients grâce à un positionnement agressif qui challenge les géants de l'assurance, et a levé 72 millions d'euros depuis sa création, dont 50 millions en 2020 pour conquérir l'Europe. Mais le durcissement macro-économique a empêché la pépite de réussir une méga-levée de fonds de 100 millions d'euros fin 2022, ce qui a plongé l'entreprise dans la crise, la menant en moins d'un an à la banqueroute.

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Multiplication des plans sociaux, mais résistance de l'emploi tech en France

2023 n'a pas non plus été avare en plans sociaux. Et si beaucoup sont passés sous le radar, les plus grandes pépites de la tech française et européenne n'ont pas pu cacher leurs difficultés. L'exemple le plus marquant est sans aucun doute Spotify, icône de la tech en Europe, qui a même annoncé pas moins de trois (!) plans de suppressions d'emplois cette année. Le dernier, en décembre, a touché 1.500 personnes, pour 2.300 emplois supprimés au total.

En France, les plans sociaux dans les grosses et moins grosses startups se sont également multipliés. Ynsect, Back Market, Payfit, ManoMano, OpenClassrooms, Sunday, Ledger et bien d'autres ont supprimé des effectifs en 2023 après des années fastes, le plus souvent pour réduire leur cash burn et montrer aux investisseurs leur capacité à s'adapter à la nouvelle donne macroéconomique.

Pour autant, d'après le baromètre de l'association professionnelle Numeum, l'emploi global dans les startups en France a encore progressé en 2023. De janvier à octobre, plus de 22.000 emplois ont été créés dans les pépites de la French Tech. C'est moins que les 23.000 emplois créés au seul premier semestre 2022, mais cela révèle que la tech reste, malgré les turbulences, une vague de fond dans l'économie, promise à une inévitable croissance au fur et à mesure de l'avancée de la révolution numérique, qui est encore loin d'être achevée.

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Les cleantech, greentech, deeptech et startups industrielles tirent leur épingle du jeu

Enfin, comme dans toute crise, il y a ceux qui en profitent. Après une décennie sous le signe de l'innovation numérique (applications, logiciels...), les années 2020 s'imposent comme la décennie des innovations technologiques à portée industrielle et au service de la transition énergétique et climatique. Ainsi, les deeptech, les greentech, les climate tech, bénéficient, à rebours du reste du marché, de l'attention renouvelée des investisseurs.

D'après le baromètre du capital-risque d'EY du premier semestre 2023, le secteur des cleantech (qui inclut les solutions environnementales et énergétiques) explose en 2023 : 1,2 milliard d'euros d'investissements au premier semestre, contre 926 millions l'an dernier. De leur côté, les deeptech (innovations de rupture sur la base de technologies issues de la recherche), les startups industrielles, et les startups du monde de la santé, ont fait partie des rares secteurs à ne pas chuter en 2023 par rapport à 2022. Au contraire, les investissements dans les fintech ont chuté de plus de 80% sur un an, et ceux dans les services internet ont chuté de plus de deux tiers.

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