Comment rendre le "streaming" moins dangereux pour la planète ?

La dématérialisation des contenus est un désastre pour l'environnement. Les bonnes pratiques d'éco-conception et de réduction du gaspillage pourraient ne pas suffire.
François Manens
(Crédits : Reuters)

Sur Internet, le streaming vidéo consomme près de 60 % de la bande passante mondiale, dont 15 % pour Netflix et 11 % pour YouTube, d'après une étude récente de Sandvine. Les Spotify, Apple Music et autres Deezer ont aussi fait basculer l'industrie musicale dans le streaming. Et même le jeu vidéo s'y met : après le français Blade, Google va se charger de démocratiser le cloud gaming, le jeu vidéo en ligne accessible sur n'importe quel support, avec sa plateforme Stadia révélée le mois dernier. La tendance est à la dématérialisation. Mais ce n'est pas mieux pour la planète.

Contrairement à celui des DVD et des CD, l'impact environnemental du streaming est invisible à l'oeil nu. Des écrans utilisés aux réseaux qui transportent les données, en passant par les data centers qui les stockent, la question du coût environnemental revient à chaque niveau de la chaîne du streaming. Aujourd'hui trop énergivore, il devra adopter des démarches d'optimisation et d'éco-conception tant au niveau des équipements que des couches logicielles. Sinon, la facture environnementale explosera sous l'augmentation de la demande et du poids grandissant des technologies.

Réduire le "gras numérique"

Cette prise de conscience est récente. « Pour calculer le CO2 émis par le streaming, il faut additionner le temps d'utilisation du terminal [écran ou écouteur, ndlr], le coût environnemental de la fabrication de l'équipement, sa consommation énergétique, le nombre de données échangées sur le réseau, la définition de la vidéo, la qualité du réseau utilisé (wi-fi ou 4G)... », liste Caroline Vateau, directrice du département « Numérique responsable » du cabinet de conseil spécialisé APL.

Un calcul très complexe. Grâce à des bases de données publiques et privées, l'entreprise sait mesurer, en « kilogramme équivalent CO2 », le coût environnemental des services numériques. Sa mission est ensuite de réduire le « gras numérique ». La chasse aux « serveurs fantômes » qui mobilisent des ressources qu'ils n'utilisent pas, l'optimisation des systèmes de climatisation des data centers ou encore la traque des applications métiers les plus consommatrices pour changer les usages sont ses principales armes. L'objectif : réduire de 30 à 50 % l'empreinte environnementale de ses clients, qui recherchent de plus en plus des certifications « green IT » pour « montrer patte verte » auprès de leurs propres clients.

En démocratisant ces nouveaux usages, les géants du Net sont en partie responsables de cette nouvelle pollution numérique. Mais ils sont aussi les principaux avocats d'un changement des pratiques. Google et Facebook visent à alimenter leurs centres de données avec 100 % d'énergies vertes et testent de nouvelles techniques pour ne plus recourir à la climatisation.

Malgré tout, le chantier est colossal. Netflix a indiqué qu'en 2016 l'ensemble de ses services et ceux de ses partenaires avaient consommé plus de 140 millions de kilowatts par heure. Soit l'équivalent de l'énergie nécessaire à 350000 réfrigérateurs moyens. Pour se rattraper, l'entreprise finance des énergies renouvelables et achète des compensations carbone. Mais Netflix reste un grand pollueur, épinglé en 2017 par un rapport de Greenpeace. La réduction de la consommation électrique devient l'un des principaux enjeux.

Pour Anne-Cécile Orgerie, chargée de recherche au CNRS, des économies faciles sont possibles. « On estime que 50 % de l'énergie des serveurs est utilisée quand ceux-ci ne font rien. Pour les réseaux, c'est encore pire, la part grimpe à 80 %. Le réseau est surdimensionné, avec de nombreuses redondances, pour pallier le pic de la demande et les pannes », révèlet-elle. Autrement dit, les data centers consomment bien plus que ce dont ils ont besoin. C'est pourquoi, avec son laboratoire de l'Irisa, Anne-Cécile Orgerie intervient sur une couche logicielle, le middleware, sorte de système d'exploitation des serveurs. Leurs innovations permettent d'éteindre certains « bouts » de serveurs qui ne sont pas utilisés.

La scientifique travaille également sur des modèles de prédiction de la consommation, pour rallumer les serveurs au bon moment. « Les technologies capables d'éteindre et de rallumer de façon efficace les serveurs existent, mais elles ne sont pas utilisées. Le coût abordable de l'électricité n'incite pas non plus aux bonnes pratiques », regrette-t-elle. Emmanuel Freund, le cofondateur du PC dans le cloud Shadow, rencontre aussi ces problématiques. « Notre public de joueurs se connecte surtout entre 16 heures et 22 heures, donc 40 % de nos infrastructures ne sont pas utilisées pendant une grande partie de la journée », estime-t-il. Ses équipes travaillent donc à trouver des applications supplémentaires pour améliorer le taux d'utilisation et la rentabilité des serveurs.

Un PC dématérialisé

L'espoir peut-il venir des nouvelles technologies, les greentech qui pourraient démocratiser les énergies propres et leur stockage ? Anne-Cécile Orgerie alerte : « Quels que soient les progrès, ils seront vite dépassés par l'augmentation de la demande. Les nouvelles technologies comme la 4K et bientôt la 8K, le streaming de jeux vidéo, l'arrivée du réseau mobile 5G, vont aussi aggraver la facture environnementale », met-elle en garde. La 4G, par exemple, consomme 23 fois plus que le wi-fi d'après une étude de l'université du Michigan.

Pour la 5G, ce sera pire. De même, les écrans 4K, plus précis que le full HD, nécessitent des fichiers plus lourds, et consomment plus d'électricité. Enfin, la taille des jeux vidéo n'a cessé d'augmenter et dépasse allègrement les 50 gigaoctets aujourd'hui, voire la barre des 100 dans le cas du dernier opus de la franchise populaire Call of Duty. Des fichiers extrêmement lourds à transporter dans le cloud. « On a perdu les bonnes pratiques de codage de quand on comptait la ligne sur disquette. Il faut de l'éco-conception, même côté logiciel », préconise la chargée de recherche.

« Il faut comparer le streaming avec ce qui existe, tempère Emmanuel Freund. Nous, on remplace un ordinateur avec ses composants créés à partir de métaux lourds et très rarement recyclés. » Il estime qu'en réunissant tous les PC dans un data center, son PC dématérialisé Shadow diminue la consommation électrique d'au moins 15 %. Reste la question du poids des jeux vidéo dernier cri. Pour qu'ils n'accaparent pas trop de bande passante, la startup française alloue une partie de sa R & D à la réduction du flux.

« Plus on diminue le besoin de flux, plus notre service est robuste et stable. Pour diffuser de la 4K aujourd'hui, on n'a même plus besoin de la fibre », explique-t-il.

Un avantage comparatif par rapport à Stadia de Google, qui requiert pour l'instant une connexion deux fois plus rapide. « Dans le futur, on pourra regarder de la 4K avec un débit de 5 kilobits par seconde, contre 15000 aujourd'hui », s'enflamme-t-il. Une telle prouesse permettrait à la fois de réduire l'embouteillage des réseaux et de faciliter l'accès au streaming. À moins que la solution la plus efficace soit la sobriété numérique. Caroline Vateau nous interroge :

« A-t-on vraiment besoin d'accéder à la vidéo partout, tout le temps ? »

Bonne question..

François Manens

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Commentaires 2
à écrit le 04/05/2019 à 0:42
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Voici d'excellentes et saines questions, que l'on a trop souvent oublié de se poser... au nom même du "zéro papier" et de la prétendue "dématérialisation" (en réalité si trompeuse, comme on le voit ici, tant les serveurs, les stockages et les réseaux...

à écrit le 02/05/2019 à 8:53
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Bah on continue d'autoriser les perturbateurs endocriniens dans notre alimentation et notre quotidien alors que l'on sait qu'ils sont cancérigènes hein... Mais comme d'habitude plutôt que de dénoncer la poutre que l'on a dans l'oeil on préfère mo...

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