La bataille pour devenir le prochain « Netflix » du livre fait rage

Scribd et Kindle aux États-Unis, YouScribe et Youboox en France... Les plateformes de lecture en streaming affichent une croissance annuelle à deux chiffres, mais aucune ne s'impose encore.
François Manens
A la recherche du bon business model. Afi nde résister aux Américains, les plateformes française Youboox et YouScribe partagent respectivement leur chiffre d'affaires avec les éditeurs à hauteur de 50% et 60%.
A la recherche du bon "business model". Afi nde résister aux Américains, les plateformes française Youboox et YouScribe partagent respectivement leur chiffre d'affaires avec les éditeurs à hauteur de 50% et 60%. (Crédits : Pixabay)

Qui sera le Netflix ou le Spotify de la lecture en streaming ? Si l'écoute de musique et la télévision en ligne et sur abonnement changent les usages du grand public, le marché du livre en streaming se cherche encore un modèle. Alors que le Salon du livre (devenu Livre Paris) ouvre ses portes ce vendredi 15 mars au Parc des expositions à Paris, les acteurs de la librairie numérique fourbissent leurs armes, dans un marché physique du livre qui résiste encore à la révolution digitale. Le marché de l'édition réalise un chiffre d'affaires total de 4 milliards d'euros et connaît une lente érosion annuelle, mais le livre physique continue de représenter 95 % de parts de marché en volume comme en chiffre d'affaires (source Institut GSK).

Brider le modèle illimité

Avec 47,8 millions de dollars levés et un million d'abonnés depuis janvier, Scribd, créé en 2007, semble le plus disposé à endosser le rôle de « Netflix du livre ». Son catalogue est alimenté par les cinq plus grosses maisons d'édition américaines (Simon & Schuster, HarperCollins, Penguin Random House, Macmillan et Hachette). Pour 8,99 euros par mois, on y retrouve des best-sellers, des classiques, la collection « Pour les Nuls », l'autobiographie de Michelle Obama, ou encore le dernier livre de l'humoriste et youtubeur aux 20 millions d'abonnés Shane Dawson. Côté magazines et livres audio, l'offre s'avère tout aussi impressionnante. La version française de la plate-forme existe depuis quelques années, mais son catalogue reste intégralement anglophone. La jeune pousse se concentre sur ce marché gigantesque, tiré par les États-Unis et l'Inde. Avec succès : le compteur d'abonnés explose avec plus de 50 % d'abonnés supplémentaires d'une année à l'autre.

Problème : contrairement à la musique ou à la vidéo, qui se consomment de plus en plus en ligne, le papier résiste bien dans les usages. Les éditeurs ne se sentent donc pas obligés de proposer leur catalogue en streaming. Par conséquent, ils ne vendent pas de licences globales. Ils choisissent ce qui atterrit sur Scribd et se font payer en fonction du nombre de vues que leurs livres réalisent en ligne. Autrement dit, plus un livre est populaire sur Scribd, plus sa facture aux maisons d'édition devient salée. C'est la logique du restaurant buffet : une fois le ticket d'entrée payé, tout ce que consomme le client réduit sa marge, jusqu'à la faire passer en négatif... Netflix, lui, ne rencontre pas ce problème. Comme il achète des licences d'exploitation pour ses films et séries, il paye le même montant, que le contenu ait été visionné une seule fois ou 40 millions.

Pour réussir, Scribd a dû brider son modèle de lectures illimitées. Trois ans après le lancement de l'offre, certains lecteurs voraces lisaient, selon le fondateur de la startup, pour une valeur « jusqu'à 100 fois supérieure à leur abonnement » en romans d'amour. La jeune pousse a donc testé, sans succès, un modèle de forfait, avec trois livres du catalogue en plus d'une sélection faite maison. Puis elle a rétropédalé vers le modèle illimité, en intégrant un plafond similaire aux forfaits mobile Internet « illimités ». Au-delà d'un certain seuil de livre lus, l'accès au catalogue se réduit à certaines références.

Les Français préfèrent le paiement à la page lue

Pour résister aux Américains, les français Youboox - créé en 2010 - et YouScribe brandissent un business model totalement différent. Youboox partage 50 % de son chiffre d'affaires (8,7 millions en 2018) avec les éditeurs, et le répartit entre eux en fonction du nombre de page lues. YouScribe monte à 60 %. « Ce type de modèle devrait rapporter plus aux éditeurs que la vente à l'unité », anticipe le fondateur de YouScribe, Juan Pirlot de Corbion.

Pourtant, leurs catalogues de livres, pauvres en grands noms, font pâle figure face à Scribd et Amazon. Contrairement à Scribd, aucun des deux ne parvient à convaincre les géants français de l'édition d'alimenter leur catalogue grand public. N'espérez donc pas trouver des Levy, Nothomb, Houellebecq ou Gavalda sur ces plateformes. Même si Hélène Mérillon, la fondatrice de Youboox, observe un changement de posture des trois plus grands éditeurs, avec qui elle est « en discussion », elle a dû faire sans. Son service s'appuie sur un tissu de 500 maisons d'édition, de plus petite taille, parfois locales. « Les lecteurs trouvent leur bonheur alorsqu'onn'apasledernierHachette », défend-elle. Plus de 100.000 abonnés paient entre 9,99 euros et 11,99 euros (avec la presse) par mois afin d'accéder à un catalogue de 30000 références.

L'Afrique, nouvel Eldorado ?

Pour se développer, les Français se tournent vers le « B to B ». Youboox s'est allié avec AccorHotels, YouScribe démarche les universités. Plus récemment, ils se sont liés avec les opérateurs télécoms : Free et SFR pour Youboox, Orange pour YouScribe. Avec ces partenariats, ils obtiennent un accès indirect à des dizaines de millions de clients potentiels. Ces accords donnent aux jeunes pousses une nouvelle force de frappe pour s'adresser à l'ensemble de la francophonie, et surtout au gigantesque marché africain.

YouScribe va lancer dans les prochains mois une offre au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Cameroun. « Notre modèle est plus attendu dans des pays où la diffusion du livre est limitée. Ces populations n'ont que peu de librairies, mais sont connectées », explique Juan Pirlot de Corbion. La startup proposera un abonnement à la journée ou à la semaine, avec en plus des contenus locaux, et le paiement sera intégré à la facture Orange. De leur côté, les éditeurs acceptent d'ouvrir leur catalogue plus largement qu'en France, puisqu'ils ne vendent que très peu de livres sur le territoire. « Il faut que le potentiel du marché africain se concrétise », espère Hélène Mérillon. Avec plus de 300 millions de francophones aujourd'hui, et près de 750 millions attendus en 2050, les pays africains pourraient faire basculer le rapport de force avec les éditeurs en faveur des plateformes. Une telle diffusion ferait définitivement émerger un « Deezer du livre ».

EN CHIFFRE :

4 milliards d'euros : le chiffre d 'affaires total de l'édition en France (Source Institut GSK)

Les lecteurs de livres numériques sont de plus en plus technophiles :

  • Tablette : 35 %
  • Smartphone : 34 %
  • Ordinateur portable : 33 %
  • Liseuse : 23 %
  • Ordinateur fixe : 22 %

François Manens

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Commentaires 2
à écrit le 20/03/2019 à 14:56
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Youboox ignore ses clients, donc fuyez ce service...

le 21/11/2020 à 13:01
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100% d'accords, et en plus ce sont des menteurs. Leur application n'est pas compatible avec les liseuses Android (ni inkbook, ni tea, ni vivlio...), à fuir.

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